«Le cinéma algérien, par le biais d’individualités, donne tout de même l’impression d’être dans une recherche de thématique et de forme en offrant des questionnements.»
Drôle d’attitude envers nos cinéastes en Algérie! Invitée à nous parler à la Cinémathèque algérienne de «La création et le renouvellement des idées dans le cinéma algérien», dans le cadre d’un cycle consacré au reportage et au documentaire initié en collaboration avec le Centre méditerranéen du cinéma et de l’audiovisuel de Marseille, un fait anecdotique dévoilé par Fatima-Zohra Zâamoum n’a fait que conforter l’état et conditions de traitement de nos artistes en Algérie. Un mépris clairement affiché à leur égard.
L’auteur du film expérimental Z’har vient d’achever un nouveau long métrage intitulé, Kedach thabni (Combien tu m’aimes), une production cent pour cent algérienne. Jusque-là tout est normal ou presque. Là où le bât blesse est quand notre cinéaste souligne son marasme du fait que la télévision algérienne s’est octroyé le droit de faire diffuser son film sans son autorisation, soit le 2 août dernier, à minuit, en plein Ramadhan et d’amputer son film de 27 minutes! Un remontage décidé sans consultation ni préavis.
Comment peut-on qualifier ce geste émanant de la Télévision algérienne. Seul juge, le lecteur. Une preuve à l’appui, concrète hélas, de ce qu’elle venait d’énumérer auparavant parlant des contraintes liées au manque de considération à l’auteur et l’absence de diffusion des films nationaux dans notre pays, a fortiori dans des salles de cinéma où le produit cinématographique algérien ne trouve pas preneur et est quasiment absent.
Pis encore,dans un pays qui se respecte, un film a le temps de faire d’abord ses preuves dans les festivals avant d’être diffusé à la télé. Des normes universelles applicables à tout le monde… sauf chez-nous il faut croire! Quelle mouche a piqué l’Entv pour déroger à cette règle professionnelle des plus élémentaires? Manque de matière? Le nouveau film de Fatma-Zohra Zaâmoum devait- il servir de bouche-trou alors qu’il est prévu de se présenter en compétition officielle lors du prochain festival de Tribka à Doha? Drôle de sabotage…
La thématique de cette conférence prenait ainsi de ce fait tout son sens. En préambule, notre enseignante en histoire de l’art à Paris VII dira que chaque époque produit des idées et pour ce faire, le cinéma pour avancer doit être enseigné dans les écoles et les universités.
Ce qui n’est pas hélas! appliqué en Algérie. Si les années 1970 avec leur période des indépendances a connu une floraison de films où les personnages étaient pour la plupart des héros, aujourd’hui, a-t-elle souligné, on fabrique des personnages qui n’arrivent pas à surmonter les contraintes de la vie et sont aliénés.
Le cinéma algérien de l’époque était donc riche en idées. Et donner pour exemple ce 7e art pourtant minoritaire qu’elle affectionne tant, porté à l’époque par des films tels Tahia ya Didou (commande détournée) ou encore un peu après par Brahim Tsaki. Car pour Fatma-Zohra Zâamoum, le cinéma dominant reflète généralement les idées de la majorité officielle.
«Nous avons une époque qui n’a pas d’idées», tranche-t-elle sans pour autant être pessimiste car si en effet, le cinéma algérien n’existe pas vraiment – tout en gardant des réserves – il existe aujourd’hui une certaine synergie d’idées émanant d’individualités qui, elles, tendent à se démarquer par des nouvelles thématiques et façon de faire.
Pour Fatma-Zohra Zaâmoum, le renouvellement des idées dans le sens révolutionnaire ne s’est pas opéré aujourd’hui dans le monde et on assiste à l’éclosion d’un cinéma qui s’adresse plus à une société de consommation, en raison de cette indigence des idées. Celle-ci «prétend apporter des idées. C’est pourquoi il est bon aujourd’hui dans nos sociétés modernes de parler de l’homosexualité, de la femme etc et c’est le genre minoritaire qui se trouve mis en vedette», indique-t-elle. Les attentes de ce renouvellement, le Nord les a placées sur le Sud, dit-elle
«On attend de voir des surprises venant des pays du Sud. Mais piégés parfois par leur financement, le cinéma algérien notamment tente de reproduire les mêmes idées». Et de renchérir: «Le cinéma algérien tout de même donne l’impression d’être dans une recherche de thématique et de forme en offrant des questionnements».
Pour l’auteur de le Doker Noir Sembene Osman, il y a indubitablement «une panne d’idées au niveau mondial. On tourne autour du consommable», souligne-t-elle encore. Chez nous, elle ajoute, «il est insensé que les cinéastes fassent face à deux obstacles en même temps, c’est-à-dire la morale (l’autocensure) et le politique. C’est l’un ou l’autre mais pas les deux». En gros c’est le manque de respect à l’auteur et son «oeuvre qui se trouve fragilisée» de facto dont il est question ici. Chose qui nous conduit à nouveau, au gâchis dont a fait l’objet son tout nouveau film Kedach thabni, un film où tous les moments de respiration ont été supprimés réduisant son long métrage à un format de téléfilm! Aberrant et scandaleux.
Comment peut-on voir dans ce cas une oeuvre artistique s’épanouir? se demande-t-on alors. «On ne fait pas de différence, chez nous, entre un film pour adultes et un autre pour enfants, la télé produit des films pour adolescents. Le problème majeur du manque de renouvellement d’idées est dû à la stigmatisation».
Le cas du film Viva Laldjérie, qui a choqué en partie l’opinion publique à sa sortie, est patent. Où se situe donc la liberté de création de l’auteur quand le scénario de son film est soumis à des amputations?
Outre le problème du manque d’archivage de nos films, Fatma-Zohra Zaâmoum évoquera celui de lignorance et cette «religiosité» qui prévaut dans notre société tout en proposant comme solution à ce fléau, l’introduction de l’éducation à l’image dans les écoles.
«La vulgarité ce n’est pas en montrant une femme nu mais en se moquant de l’intelligence du spectateur en l’abreuvant de sketchs comme moyen de divertissement», finira-t-elle par souligner.