La chute de Tripoli avait permis la mainmise des islamistes : le domino libyen a fait tomber le Mali et failli faire s’effondrer l’Algérie

La chute de Tripoli avait permis la mainmise des islamistes : le domino libyen a fait tomber le Mali et failli faire s’effondrer l’Algérie

La guerre en Libye, qui a capté l’attention du monde entier, depuis le soulèvement de Benghazi jusqu’au lynchage hyper médiatisé de Kadhafi, aura été le domino qui devait faire tomber le reste du Maghreb et des pays de la région saharo-sahélienne. Aujourd’hui encore, on en reste à observer les contours, les effets visibles et les arrière-plans qui sont passés presque imperceptibles.

Pour les analystes les plus méticuleux dans l’étude de ce qu’on peut appeler actuellement la géo-dislocation du Sahara et du Sahel, la Libye a été le domino qui a été déterminant dans la chute du Mali. Près de 1000 soldats, dont des officiers de haut niveau, comme le colonel Mohamed Ag Nejm, sont revenus au Mali, avec armes et bagages. Et ce sont ces militaires qui avaient les premiers déclaré la guerre contre Bamako, et ce sont ces mêmes militaires que la France protègent aujourd’hui en entamant des négociations secrètes avec eux, alors que sur le terrain des opérations, ils sont une quantité négligeable face aux autres groupes armés. Ce sont aussi les arsenaux de guerre libyens volés dans les casernes de Kadhafi qui ont été convoyés vers le Mali, le Niger, le Soudan, le Tchad, et même l’Algérie.
Christian Caryl est chercheur au Legatum Institute, collabore à Foreign Policy, mais reste surtout connu pour être le rédacteur en chef de Democracy Lab. Ses écrits sont souvent lus avec l’attention que requiert son rang, d’où l’utilité de son dernier rapport, publié au début de la sédition au Mali, et qui est totalement inaperçu dans le monde arabe, pourtant principal acteur et victime des conclusions du document.
Le Mali : victime collatérale de la Libye…
Pour Caryl, et jusqu’à une date récente, « le Mali constituait un des plus beaux succès de l’Afrique de l’Ouest. Tout à coup, le pays vacille ». Pourquoi ? Caryl donne des raisons qu’il est allé chercher sur le terrain des opérations : « La situation est particulièrement ironique si l’on considère que ce sont les décisions politiques occidentales -des politiques bien intentionnées, qui avaient pour objectif de débarrasser le monde d’une incarnation du Mal – qui ont contribué aux problèmes du Mali.
Durant les vingt dernières années, ce pays de douze millions d’habitants s’en est tenu, avec ténacité, aux principes démocratiques. En 1991, les Maliens ont renversé une dictature militaire et tenu une Conférence nationale qui a élaboré une Constitution garantissant la liberté de la presse, une décentralisation poussée, et la tenue d’une élection présidentielle tous les cinq ans. Depuis, les habitants de ce pays majoritairement musulman ont toujours réussi à adhérer à ces principes. »
Mais comment les rebelles -qui avaient déjà mené des rebellions dans les années1990 et à nouveau entre 2007 et 2009-  ont-ils soudainement réussi à remporter cette victoire époustouflante?
Les explications sont probablement complexes, mais un facteur saute aux yeux : la chute du régime de Mouammar Kadhafi en Libye, un pays proche du Mali.
Kadhafi avait à sa disposition des arsenaux énormes d’artillerie et de véhicules blindés, des moyens que ne possédaient pas ses opposants. Difficile d’imaginer la victoire des rebelles sans l’aide de l’OTAN…Kadhafi a finalement été capturé et tué le 20 octobre. Et quelques semaines après la chute de Kadhafi, les rebelles ont lancé leur offensive dans le nord du Mali.
Il est donc clair que la guerre civile en Libye a été une cause immédiate du succès de la rébellion touarègue. Mais jusqu’à quel point peut-on accuser les actions occidentales? Est-ce que les interventions, bien intentionnées, contre Kadhafi, ont libéré des forces qui ont conduit à la chute de la démocratie malienne? »
Caryl n’en donne pas des réponses claires, mais ses idées, ses conclusions corroborent, une à une, celles établies par Alger et envoyées, sous forme de rapport, à l’ONU.
La Libye entre les mains des seigneurs de la guerre
Depuis la chute de Tripoli et la mort de Kadhafi, Tripoli n’a jamais pu asseoir son autorité sur le pays et les groupes armés sont véritablement le seul et unique service de sécurité opérationnel. Le maintien de Seif el-Islam Kadhafi dans une prison de Zenten est la preuve la plus accablante que ce sont les brigades islamistes qui font la loi en Libye, ni les autorités libyennes, ni le défunt Conseil national de Transition, ni le Président du Congrès général national, ni le Président du Conseil exécutif, et encore moins l’actuel chef du gouvernement Ali Zeidan, ne sont aptes à faire asseoir une quelconque autorité sur les groupes armés, pour la simple raison que tous, sans exception, ne sont qu’une autorité formelle, qui doit réfléchir cent fois avant de quitter sous très bonne escorte ses bunkers de Tripoli et se hasarder entre les villes.
Un pays peuplé d’anciens de Guantanamo…
Washington, tout comme Paris et Londres, ont depuis plus d’une année élaboré des rapports de sécurité rendus publics, dans lesquels il est prouvé que Benghazi est devenu « le fief mondial » du terrorisme islamiste. Près de 72 anciens détenus de Guantanamo vivent comme des seigneurs à Benghazi, Derna, El Bayda et ailleurs dans les fiefs de l’Est libyen, berceau de l’islamisme radical et violent en Libye depuis le début des années quatre-vingt.
Des dizaines d’anciens d’Afghanistan vivent aussi librement à Benghazi. Ajoutez à cela 300 islamistes purs et durs de l’ancien Groupe islamiste combattant libyen-GICL-, allié du GIA durant les années1990, et qui ont été libérés au terme d’un deal entre Seif el-Islam et Abdelhakim Belhadj, en janvier 2011. Or, ce sont bel et bien ces 300 islamistes qui, un mois plus tard, ont donné un coup de starter à la révolution libyenne, largement appuyée par la puissance de feu franco-atlantiste, et c’est ce Abdelhakim Belhadj, qui a séjourné dans les maquis algériens durant les années 1990, dans les fiefs de Chréa, à Blida, qui a marché sur la capitale libyenne et s’est autoproclamé Gouverneur général de Tripoli.
Des anciens détenus de Guantanamo sont devenus tout à coup chefs de guerre à Tobrouk, Darna, Benghazi, Zenten, Sabha et Misrata. « Le New York Times », dans une de ses livraisons de l’été 2011, donnait des statistiques ébouriffantes. Benghazi a fourni entre 1982 et 1986 le grand nombre de kamikazes à l’Irak, et le plus grand nombre de détenus à Guantanamo Bay, était originaire de Libye, et précisément de Benghazi et Darna.
L’Algérie en ligne de mire
Les enregistrements vidéo d’Al Qaida, Commandement général et AQMI, ont dévoilé au grand jour les relations puissantes entre les chefs insurgés en Libye et Al Qaida. Une des vidéos, disponible en ligne, est de Abdelmalek Droukdel lui-même. D’une durée de 12 minutes, intitulée « Félicitations pour la victoire des fils d’Omar al-Mokhtar », elle fait encore la part belle aux rebelles libyens. Cette fois, ce n’est pas un officier juridique, ni un responsable de la communication qui font l’éloge des rebelles, mais du chef d’AQMI lui-même, qui recevait ses ordres d’un chef libyen, Abou Yahia al-Libi, tué par un drone l’année dernière dans les zones tribales du Waziristan.
Durant toute la durée de la sédition, et même après, nous avions assisté à des appels répétitifs lancés par « Abou Yahia Al-Libi », un des chefs d’Al Qaida -commandement général, puis de Aymane al-Zawahiri lui-même, soutenant les révolutions arabes, puis de « Abou Mouslim Al-Djazaîri », une des références du salafisme djihadiste, appelant les rebelles à faire allégeance à AQMI, puis de « Youssef Abou Oubayda Al-Annabi », un des lieutenants de Droukdel, et occupant les fonctions d’exégète juridique et de membre du Conseil consultatif d’AQMI, -« majlis al-aâyâne », appelant les rebelles à s’appuyer sur les réseaux d’AQMI, « présente à vos côtés ». Le geste le plus significatif était l’opération lancée par AQMI contre l’Académie de Cherchell, et « offerte en cadeau aux rebelles libyens ».
Même si le nouveau maître de Tripoli, Abdelhakim Belhadj, ancien chef du Groupe islamique combattant libyen- GICL- et ancien allié actif du GIA algérien, promu au rang de Gouverneur militaire de la ville de Tripoli, se garde d’afficher ses relations avec AQMI, le fait est là : ces appels répétitifs et coordonnés renseignent sur un plan d’action pro-Al Qaida en Libye, en relation avec certains chefs islamistes du GICL, devenus chefs des rebelles à Benghazi, Darna, Tobrouk, Misrata et Ajdabya. Ce sont ces chefs qui ont assassiné le général Younès, ce sont ces chefs qui veulent « exporter » la guerre en Algérie, et ce sont ces mêmes chefs qui ont assassiné l’ambassadeur américain à Benghazi. Les autorités de Tripoli le savent, car elles connaissent ces chefs un à un, mais n’osent même pas penser les approcher…
Fayçal Oukaci