La chronique de l’étudiant: Entre Sorbonne et Bouzareah, on navigue, on navigue …

La chronique de l’étudiant: Entre Sorbonne et Bouzareah, on navigue, on navigue …

Réveil-matin, 5H. La nuit a été courte. Au hasard d’un partage de connexion, Rachid a découvert, vers 23H, qu’il a cours le lendemain à 8h30. Le prof avait prévenu le délégué, qui a donc posté un message sur la page Facebook du groupe durant la soirée. Rattrapage d’un cours annulé pour cause de réunion administrative impromptue et non communiquée aux étudiants, qui s’étaient déplacés pour rien ce jour-là.

Après avoir eu son bac, Rachid est parti étudier à Paris. Mais après trois années passées là bas, sa famille et ses amis lui manquaient. Gros coup de blues « El Ghorba » et retour au bled après sa licence.

Rachid qui ne connait pas grand monde n’a pas été prévenu. Sans cette connexion partagée, il n’aurait rien rattrapé.

Sommeil court suivi donc, le matin, par la course vers le train, puis le bus. A Audin, ce sera le Cous.

Rachid n’en finit pas, depuis son retour de France, de faire systématiquement des comparaisons entre « ici » et « la bas ». Et le « ici », dit-il, n’a pas forcément à rougir par rapport au « là-bas ». Par exemple, prendre gratuitement un transport, de plusieurs endroits d’Alger, vers les différentes FAC et cités universitaires, est inimaginable ‘là-bas’.

Les choses ne se passent pas comme prévu. Il s’était installé, fatigué de sa courte nuit, sans même faire semblant de dormir pour ne pas céder sa place à des personnes plus … adaptées. Il s’était assoupi.

Réveil brutal, après un arrêt, le bus ne redémarrera pas. Panne sèche. Les voyageurs descendent en pestant contre ce bus gratuit, mais dans un état déplorable; et qui fait peine à voir.

Rachid n’avait ni le temps de se plaindre et encore moins d’attendre le bus du salut. Il devait arriver à temps. Taxi donc. A 8H45, il était à la fac. Pas le temps de boire un café ou de grignoter quelque chose, il fallait chercher la salle. Le professeur, lui-même, ne savait pas où aura lieu son cours. Rachid devait donc taper à toutes les portes des classes du bâtiment pour trouver la salle.

C’est finalement au dernier étage qu’il finit par les trouver, à 9H10. Trop tard. Il s’apprêtait à faire demi-tour mais croisant quatre autres étudiants de son groupe, il a décidé de les suivre. Le professeur, conscient, et surtout habitué de la désorganisation totale, n’a pas bronché. Il est même revenu sur les deux derniers points du cours, pour les cinq retardataires. Derniers arrivés, mal placés. Rachid est au fond, il ne voit rien, n’entend rien.

A ce moment précis, il n’a pu s’empêcher de refaire la comparaison entre la Sorbonne et « ici ». Arriver en retard de 40 minutes et pouvoir assister au cours est impensable, là-bas. Mais les étudiants sont prévenus par e-mail ou même parfois par SMS lorsqu’un cours est annulé, ou reprogrammé. Et de toute façon, les cours sont rarement annulés…

Ah ! le « naviguage »

Ce jour-là, le professeur attribuait la note « d’assiduité et participation » aux étudiants. Notée sur 5, elle représente donc 25% de la note du contrôle continu, elle-même comptant pour 60% (et l’examen 40%) de la note globale. Un rapide calcul mental : cette note de participation compte pour 15% de la note globale. Et là, surprise, toute la classe a eu 5.

Le professeur, visiblement de bonne humeur, a donné les 5 points à tout le monde, sous réserve qu’ils aient assistés à trois séance au moins. La règle dispose qu’au-delà de trois absences non justifiées (ou cinq absences même justifiées), l’étudiant est exclu du module. « Ici », on sait que le zéro absence est presque impossible entre cours « inopinés », changements d’emplois du temps … Voire même les cours qui débutent avant l’heure quand le professeur précédant n’est pas là… Pratique courante, intéressante, mais qui peut poser problème si tout le monde n’est pas prévenu. Et c’est là tout le problème.

Contrairement, à sa fac « là-bas », les professeurs et les élèves sont « ici » dans un système de compréhension, différent de la banale relation prof/émetteur étudiant/récepteur. Les enseignants comprennent les problèmes et en tiennent compte. Les étudiants font du « naviguage » mais cette ingéniosité ne sert pas à progresser, à faire plus. Elle permet juste de limiter la casse, d’essayer de couvrir les plaies béantes causées par la désorganisation, l’incompréhension de l’autre et une absence de savoir-faire quelque part, au niveau supérieur.

Rachid, qui n’est rentré que récemment, se dit que cette capacité qu’ont les Algériens de naviguer pourrait être tellement utile au pays entier (ou à la fac) si elle ne servait pas à limiter les dégâts …