La Chine sous le choc après le massacre de la gare de Kunming

La Chine sous le choc après le massacre de la gare de Kunming

L’assaut mené samedi soir vers 21 h 30 par un commando armé de couteaux sur des passagers de la gare de Kunming, la capitale du Yunnan, dans le sud-ouest du pays, a plongé la Chine dans l’horreur. Vingt-neuf personnes sont mortes dans cette attaque et près de 130 ont été blessées.

Quatre des attaquants, dont une femme, ont été tués par la police. Une autre femme aurait été arrêtée. D’autres assaillants se seraient possiblement enfuis. Une partie des victimes se trouvaient dans le hall où s’achètent les billets de train, un lieu où ne s’exercent pas les contrôles de sécurité qui régissent les accès aux gares en Chine.

D’autres ont été blessés sur l’esplanade de la gare, au centre de la ville. Les témoins interrogés par la presse chinoise racontent avoir vu surgir des assaillants vêtus de noir, le visage pour certains couvert d’un masque, et armés de long couteaux et de sabres, tuant souvent d’un coup leurs victimes, sans hésiter et de manière très rapide.

Sur Weibo, le Twitter chinois, des images d’un sol maculé de sang et d’équipes médicales mobilisées ont circulé.

Un homme qui tentait de protéger sa fille de 6 ans a été « tranché du cou à la poitrine » a raconté un des témoins au quotidien Nouvelles de Pékin. Un autre témoin, nommé Qi-wen, a raconté s’être réfugié dans un magasin de téléphones portables alors qu’il était poursuivi par un homme et une femme masqués. Les « terroristes » l’ont alors nargué. Certains ont décrit les attaquantes comme très jeunes. Tous racontent des scènes de panique et de chaos. La blogosphère chinoise a été la première à rendre compte de ce qui se passait à Kunming et d’innombrables photos de victimes et de bagages abandonnés au milieu de flaques de sang ont été diffusées sur Weibo, le microblog chinois.

LES OUÏGOURS ACCUSÉS PAR LES AUTORITÉS

Les autorités chinoises ont d’ores et déjà attribué l’attaque à des « séparatistes » et des « terroristes » du Xinjiang, la région autonome ouïgoure des confins occidentaux chinois, à plus de 1 500 kilomètres de Kunming. Peu de détails ont été révélés à ce stade sur leur identité et sur les circonstances du carnage.

Turcophones et musulmans, les Ouïgours vivent mal l’intensification de la répression et des contrôles policiers, notamment depuis les affrontements interethniques d’Urumqi en 2009 : des dizaines de cas d’attaques à l’arme légère (couteaux et cocktails molotov) contre des forces de police et des commissariats ont été répertoriés ces deux dernières années au Xinjiang, tandis qu’une famille de trois Ouïgours (un homme, sa femme et sa mère) se sont immolés fin octobre dans une voiture devant la porte de la Paix céleste à Tiananmen, au cœur de Pékin.

Cet attentat, aux circonstances troubles, avait fait deux morts et avait choqué par son audace et sa portée symbolique. Cette fois, la Chine semble entrer dans l’ère du terrorisme de masse, indiscriminé, du type de celui qui ensanglante le Caucase depuis plus d’une dizaine d’années, même s’il reste « artisanal » pour ce qui est des armes utilisées.

LA « STABILITÉ » AU XINJIANG, UNE PRIORITÉ

Dans une étude consacrée au terrorisme en Chine dans le numéro de l’hiver 2013 de la revue Strategic Studies Quarterly, le chercheur Philip B. K. Potter, de l’université du Michigan, prévenait que la dynamique de contrôle politique et social du Xinjiang qui jusqu’à aujourd’hui immunisait la Chine contre des actes terroristes à grande échelle était en réalité de moins en moins tenable. Car le découplage entre un Xinjiang de plus en plus verrouillé et le reste du pays, où les grands centres de population urbains baignent dans un environnement médiatique beaucoup plus ouvert, rendait ces derniers plus exposés à « une exploitation terroriste ». Car, note M. Potter, les alliances entre les groupuscules islamistes ouïgours longtemps isolés et la mouvance Al-Qaida retranchée dans les zones tribales du Pakistan ont donné lieu à une « fertilisation croisée » qui diffuse en Chine de nouvelles tactiques.

A l’instar de l’incident de Tiananmen du 28 octobre, qui avait eu lieu juste avant un important rendez-vous politique (le troisième plénum du Comité central du Parti communiste chinois), l’attaque sanglante de Kunming intervient deux jours avant l’ouverture officielle, lundi, de la session parlementaire annuelle chinoise, moment de l’année où l’ensemble des agences de sécurité chinoise œuvrent à assurer une « stabilité » maximale à travers le pays.

Elle pourrait donc s’avérer embarrassante pour la nouvelle direction du parti, qui a fait de la « stabilité » au Xinjiang une priorité, tout en exagérant à souhait le rôle des « forces hostiles extérieures » dans le malaise ouïgour. Un certain nombre d’internautes se sont ainsi interrogés, à mots voilés, sur les failles du renseignement chinois.

La question est d’autant plus sensible en interne que le parti est en train de mener à bien une purge sans précédent des réseaux de l’ancien grand manitou de la sécurité, Zhou Yongkang, purge qui s’était justement accélérée ces dernières semaines avec des arrestations majeures et des révélations de plus en plus explicites dans les médias officiels chinois. L’autre grand point d’interrogation concerne les répercussions de l’attentat sur le Xinjiang et sur les relations entre Ouïgours et Hans, l’ethnie chinoise majoritaire, qui forme près de 40 % de la population au Xinjiang contre 45 % pour les Ouigours.

Malgré l’idéologie officielle d’union sacrée des « nationalités » – le vocable vient de l’Union soviétique –, la cohabitation entre Ouïgours et Hans est devenue beaucoup plus tendue depuis les évènements d’Urumqi de juillet 2009, qui avaient fait près de 200 morts, en majorité des Hans. Le gouvernement chinois, qui est largement acquis à la « circonscription han », comme l’expliquait le chercheur Kendrick Kuo dans Foreign Affairs en janvier dernier, veut toutefois éviter d’attiser la haine contre les Ouïgours.

En revanche, l’attentat sert la rhétorique officielle qui a toujours été d’attribuer systématiquement à des « terroristes », des « séparatistes » et des « fondamentalistes » tout incident au Xinjiang, que ce soit une manifestation collective ou des actes de protestation voire de vendetta contre les autorités locales, nourrissant une spirale de la violence.

Enfin, le choix de Kunming par les supposés terroristes ouïgours ne laisse pas d’interroger : le Yunnan, province touristique frontalière de l’Asie du Sud-Est, est distant du Xinjiang de 1 500 kilomètres, et en est séparé par les immenses régions et provinces du Tibet, du Sichuan et du Qinghai. Rien ne justifie a priori que des militants ouïgours ciblent la gare de Kunming (ce n’est pas du Yunnan que proviennent par exemple les migrants hans au Xinjiang), si ce n’est l’importance de la ville comme centre touristique.

A moins que des circonstances particulières ne soient entrées en jeu : en octobre dernier, le service ouïgour de Radio Free Asia (la radio américaine soutenue par le Congrès et l’un des seuls médias étrangers à couvrir le Xinjiang), avait rapporté qu’une centaine de Ouïgours avaient été arrêtés dans le Yunnan lors d’un coup de filet visant des fugitifs de la région de Hotan, qui cherchaient à passer au Laos.

Les personnes recherchées, au nombre de sept, tous des hommes, sont soupçonnées d’avoir assassiné des ouvriers chinois travaillant sur le chantier d’un barrage en mai 2013 à Karakash (non loin de Hotan). Elles n’ont apparemment pas été appréhendées. L’affaire avait toutefois été totalement étouffée, car ni l’assassinat des ouvriers ni les arrestations de Ouïgours au Yunnan n’ont jamais fait l’objet de communications officielles. Ce qui laisse peu de chances à cette « piste » d’être ouvertement révélée et explorée dans les jours qui viennent…