La chaîne al-Jazeera est au centre d’une vive polémique qui l’oppose à deux de ses journalistes vedettes ayant démissionné de leurs fonctions en dénonçant le « manque de professionnalisme et d’objectivité » de ce média dans la couverture et le traitement des événements qui font actuellement l’actualité.
Le journaliste Ghassan Ben Jeddou, en charge depuis plusieurs années de l’important bureau d’al-Jazeera à Beyrouth, a été le premier à claquer la porte. Il soutient, selon le journal libanais Es-Safir qui a rapporté ses propos, que cette chaîne fait dans la « propagande » et s’est transformée, au fil du temps, en « chambre d’opération pour la mobilisation et la déstabilisation ». Cette chaîne, a-t-il dit, « est passée d’une chaîne de télévision à une cellule d’opérations encourageant l’incitation et la provocation ».
Le vent de contestation qui souffle dans les salles de rédaction d’al-Jazeera a été également marqué par la démission de l’animateur de l’émission « al-Ittidjah al-mouâakass » ( sens inverse), le Syrien Fayçal Kacem. Face à la situation prévalant dans plusieurs pays arabes, confrontés à des soulèvements populaires, al-Jazeera a mobilisé les gros moyens pour se livrer à une couverture médiatique d’envergure mais qui fait « abstraction », soutiennent des experts en communication, des critères fondamentaux de tout exercice journalistique, que sont l’objectivité et la véracité des faits rapportés.
Le type de couverture mis en oeuvre pour traiter des soulèvements enregistrés en Libye, au Yémen et en Syrie, tout en détournant la caméra des événements au Bahreïn, renseigne sur le « parti pris flagrant » dont fait usage cette chaîne, relèvent-ils. En l’espèce, cette chaîne a « usé et abusé » d’informations et d’échos sonores « tendancieux et fallacieux » puisés pour la plupart de sites Internet ou recueillis auprès de témoins, « sans aucune vérification » au préalable pour authentifier les informations rapportées, affirment-ils.
D’autres spécialistes arabes des médias télévisuels estiment qu’al-Jazeera fonctionne en « décalage flagrant » avec la pratique journalistique universellement reconnue et qui consiste à « rapporter des faits avec rigueur et, autant que faire se peut, objectivité ».
Le politologue Mohamed El Oifi, maître de conférence à l’Institut des sciences politiques de Paris, soutient que cette chaîne couvre les événements marquant la scène arabe en mêlant « engagement et militantisme ».
Ce constat est également partagée par Claire Talon, chercheuse à Sciences politiques Paris (chaire Moyen-Orient) et auteure d’un livre sur al-Jazeera, qui affirme que cette chaîne entretient des « relations troubles » avec l’administration américaine.
Elle cite dans cet ordre d’idées, le processus de diffusion en « exclusivité » des cassettes réputées reproduire les positions d’al-Qaïda, alors qu’elles sont soumises au préalable au visionnage de l’ambassade des Etats-Unis au Qatar.
Cette universitaire précise, en outre, dans un entretien publié récemment par l’hebdomadaire français Témoignage Chrétien, que leur diffusion est programmée lorsque les situations sont favorables à la « propagande américaine » dans la région du Proche-Orient, en Afghanistan et ailleurs. L’ambassadeur américain à Doha considère, par ailleurs, qu’al-Jazeera est un « outil diplomatique efficace », selon les notes rapportées en décembre dernier par Wikileaks.
La divulgation de ce câble diplomatique égratigne au passage l’Etat du Qatar, soupçonné d’utiliser cette chaîne comme « monnaie d’échange » dans ses négociations en matière de politique étrangère. De nombreux observateurs et spécialistes des pratiques du monde audiovisuel étaient unanimes à considérer qu’al-Jazeera « n’est pas au-dessus de tout soupçon », notamment dans sa manière de colporter la rumeur lancée par le Conseil national de transition libyen à propos de l’implication de l’Algérie dans des actes de mercenariat.
Malgré les démentis officiels apportés, en toute occasion, par le ministère algérien des Affaires étrangères, « la chaîne qatarie s’entête à ne donner de crédibilité qu’à la version du CNT libyen que nombre de ses membres ont déjà infirmée », relèvent-ils.
Ces spécialistes semblent aujourd’hui confortés dans leur position, compte tenu du traitement « particulier » auquel se livre cette chaîne concernant la couverture des soulèvements populaires dans certains pays arabes, mais également par la vague de protestation qui gagne en ampleur, exprimée par plusieurs journalistes et autres techniciens, à tous les étages de l’édifice al-Jazeera.