Les quelques jours précédant l’arrivée du mois sacré de Ramadhan, avec tout ce qu’il implique comme pratiques sociales et spirituelles inspirées des valeurs de l’Islam, constituent, annuellement, une occasion, à Blida, pour faire revivre une tradition heureuse léguée par les ancêtres, ayant pour nom, fort évocateur, « la Chaâbania ».
Le mois de « Chaâbane », précédant le mois de ramadan dans le calendrier de l’Hégire, d’où le vocable « Chaâbania », est lié, dans l’esprit de la majorité des familles de Blida, à une période de vacances pour la jeune mariée. Cette dernière est conviée par ses parents à passer un séjour de 3 à 7 jours dans le cocon familial, avant l’arrivée de Ramadan, où les occasions de sortir se font rares, au vu des multiples obligations qui la retiennent chez elle, auprès de son époux et de sa belle famille.
Pour les femmes mariées de Blida, la « Chaâbania » revêt un caractère spécial, voire festif, fort différent des autres visites familiales effectuées tout au long de l’année. Dans le passé, ce séjour était préparé à l’avance par les cousines et les sœurs mariées d’une même famille, qui faisaient en sorte de faire coïncider leurs séjours au même moment, pour se réunir dans la grande maison et se remémorer ensemble la « belle époque » de leur jeunesse, quand elles n’avaient « ni gosses, ni maris à entretenir ».
Le henné, une nouvelle robe, des mets traditionnels et Hammam « Lahna »
La Chaâbania ne serait pas ce qu’elle est si elle n’était pas accompagnée du cérémonial du henné. La mariée, hôte de marque chez ses parents, choyée et couverte de délicatesses, se prête au « cérémonial » du henné où mains et pieds en sont enluminés. s’ensuit le plaisir de la meida où plats traditionnels, notamment Rechta et Couscous, sont servis avec beaucoup d’attention.
A la fin de la journée, c’est autour d’un bon thé et de « makroute laâssel » (gâteau à base de semoule et d’amande imbibé de miel) que la famille se réunit, histoire de se plonger précocement dans l’ambiance d’une soirée de ramadan.
Avant de partir, « l’invitée », surtout si c’est une nouvelle mariée, accompagnera ses s£urs au hammam de la ville, pour une bonne séance de purification du corps et de l’esprit : Un vrai « Hammam Lahna » (bain du bonheur) dont elle ressortira toute rafraîchie pour retourner chez elle, dans ses plus beaux atours. Sa mère s’étant chargée de lui offrir une nouvelle tenue vestimentaire, une pratique qui dépend de nos jours des moyens financiers de chaque famille. Si les moyens le permettent encore, la mère se fera un devoir de lui confectionner un plateau de gâteaux, traditionnels de préférence, dont des Sfendj et des Maarek, notamment, pour les offrir à sa belle famille, question de consolider davantage les liens.
Des traditions à l’épreuve du temps
De nos jours, beaucoup de familles de la ville de Sidi Lekbir tentent tant bien que mal de perpétuer cette belle tradition si chère à leur cœur, au regard des souvenirs heureux qu’elle évoque pour eux.
D’autres familles de Blida estiment, néanmoins, que « c’est là une coutume qui n’a plus lieu d’être au regard des dépenses +inutiles+ qu’elle implique pour certains ménages au revenu modeste, notamment ceux ayant de nombreuses filles mariées », ceci d’autant plus, soutient-on, que la Chaabania « précède de très peu le Ramadan, un mois réputé pour les frais multiples qu’il nécessite, au même titre que les fêtes de l’Aid et de la rentrée scolaire ».
Pour corroborer ce point de vue, les tenants de cette position avancent que la Chaabania était autrefois « une occasion inespérée pour les femmes d’aller rendre visite aux leurs, à cause du manque de moyens de transport à l’époque ».
La disponibilité actuelle des moyens de transport permettant les visites familiales à tout moment, conjuguée à la création de ce moyen de communication miracle qu’est le « téléphone portable » ont diminué de la « magie » de la Chaabania, car il n’est plus question d’attendre cette occasion pour s’échanger secrets et confidences entre mariées, sœurs et mères, vu que le portable se charge, à longueur de journée, de répandre les nouvelles, entres elles, dans leurs plus intimes détails.
Quoi qu’il en soit, ils sont encore nombreux aujourd’hui à vouloir pérenniser cette tradition ancienne, symbole de tout un pan de leur identité et de leurs origines.
Ainsi, et en dépit des changements édictés par les aléas du temps et de la modernité, des familles de Blida continuent à perpétuer la « Chaâbania » même si le faste d’antan n’y est plus. Il demeure néanmoins que l’occasion est propice au renforcement des liens familiaux et de convivialité. Une façon, pour elles, de résister aux « vents du changement » qui menacent toutes les traditions de la « belle époque dorée » de la ville des roses.