La Casbah nostalgique de son communautarisme d’antan

La Casbah nostalgique de son communautarisme d’antan

Au-delà des profondes mutations qu’a subies la Casbah ces dernières décennies, c’est sans doute l’esprit communautaire qui y était profondément ancré que ses habitants regrettent le plus durant le mois de jeûne, tant les rituels ramadhanesques s’articulaient autour de cette valeur.

L’on ne le répétera jamais assez : plus que tout autre endroit de la capitale, la Casbah « n’est plus reconnaissable » par ses authentiques résidants en raison des transformations qui ont dénaturé le substrat civilisationnel, culturel et sociétal de cette antique cité.

En ce mois sacré voué initialement à l’entretien de la foi religieuse, quelques « Casbadjis » se rappellent, non sans nostalgie, l’ambiance festive qui précédait et accompagnait cette période particulière de l’année et regrettent la quasi disparition de l’esprit communautaire qui faisaient tant leur fierté et joie.

« Tout le quartier mettait la main à la pâte pour accueillir le Ramadhan dans la propreté », témoigne Tchekiken Omar, natif de la rue Abderrahmane Arbadji (ex-Marengo) qui se rappelle de l’entrain joyeux que suscitait chez les jeunes le nettoyage et lavage des rues et autres venelles de la cité.

Les extérieurs des murs étaient badigeonnés de chaux et de peinture indigo par les habitants qui « ne se sentaient pas responsables de leurs seules maisons mais aussi de celles de leurs voisins », se souvient notre interlocuteur qui, contraint de quitter son quartier il y a quelques années, profite de sa retraite pour y retourner aussi souvent qu’il le peut afin d’y « revivre » ses souvenirs d’enfance.

Et d’égrener quelques facettes d’un quotidien empreint d’une entraide bienfaisante qui avait marqué cette période de sa vie, à l’instar de la venue hebdomadaire des cantonniers ou des « Seyakines » (laveurs) auxquels les badauds consacraient expressément quelques refrains de chanson.

Néanmoins, la « plus belle » leçon de solidarité que ce nostalgique de la Casbah « authentique » se remémore est le fait que les voisins « se disputaient presque » à qui reviendrait le « privilège » de convier un nécessiteux à sa table de « Ftour ».

« Celui-ci était à peine arrivé au 1er étage d’un immeuble qu’il est chaleureusement pris en charge par un des habitants », raconte-t-il avant de déplorer, dans un profond soupir, ces bribes de vie qui « ne se conjuguent plus qu’au passé ».

C’est le cas, se souvient encore, des veillées ramadanesques à même la rue autour d’un thé et d’un « Qalb Ellouz » gracieusement servis par l’un ou l’autre des voisins, lesquelles veillées s’étiraient jusqu’aux pâles lueurs de l’aube.

La vie communautaire féminine était autrement plus dense en raison des multiples tâches qui impliquaient, chacune d’elles, de nombreuses voisines comme celles qui consistaient à préparer traditionnellement les vermicelles de la « Chorba », les gâteaux au miel ou encore le récurage des sols et murs, se rappelle Lamine-Semarine Mimi, 80 ans et une des mémoires vivantes de la légendaire Médina.

Les veillées entre voisines dans la cour des maisonnées (Ouast Eddar) ou sur les terrasses aux vues imprenables sur toute la cité, le tout dans une ambiance inégalée d’allégresse, ne sont pas prêts d’être ressuscités, déplore-t-elle.

Evoquant la « Boqala », notre interlocutrice exhume en pensée le processus collectif et enjoué qui entourait cette pratique ancestrale si typique, en même temps que d’autres séquences « immortelles » comme lorsque le défunt Boualem Titiche célébrait à sa manière la veillée du 27ème jour du ramadhan.

« Il remontait en jouant de la +zorna + de la « Grande mosquée » à la Place des Martyrs jusqu’au mausolée de Sidi Abderrahmane, et la foule qui l’accompagnait grandissait à mesure qu’il avançait », se souvient Mimi qui tente de préserver certaines traditions à travers ses petits-enfants.

Amina, 34 ans fait partie de la jeune génération « casbadjie » qui s’inscrit dans l’héritage culturel de ses aînés dont elle est « fièrement » pétrie, tient-elle à souligner tout en reconnaissant compter parmi la minorité qui a à coeur son appartenance à l’authentique culture citadine.

« La réappropriation de la mémoire collective par les jeunes »

La réappropriation des symboles et de la mémoire collective du « coeur battant » de la capitale constitue le cheval de bataille de l’association

« Les amis de Louni Arezki » (ex-Rampe Vallée), relève son président Lounis Ait-Aoudia qui estime « nécessaire » l’implication des jeunes dans la perspective d’une réhabilitation du lustre perdu de la Casbah.

Nostalgique du blanc immaculé des demeures qui avait valu à la capitale l’appellation d’ »Alger la Blanche », notre interlocuteur fait de la propreté l’une des valeurs à incruster chez la jeunesse car reflétant plus que tout autre chose le degré de « civisme » d’une société.

L’association se bat, en outre, pour faire revivre d’autres valeurs si présentes auparavant comme l’entraide, la solidarité, le respect d’autrui, etc.

Natif du quartier dédié à son association, Lounis Ait-Aoudia inscrit sa démarche dans la perspective d’une réhabilitation des pans de la culture propre à cette ville-symbole en tant qu’éléments « structurants » de notre identité.

Pour ce faire, un travail de proximité en direction de la jeunesse est lancé depuis quelques années afin de la faire « arrimer » à ces repères du passé si déterminants pour son avenir.

Par Mekioussa Chekir