Depuis quelques jours, les nuages ont assombri l’horizon. Et toutes les perturbations qu’ils ont provoquées ont atteint ma portion de ciel à moi. Ma destination s’éloigne peu à peu. L’Angola.
L’Angola, c’est déjà loin. Le nuage a rallongé l’espace spatio-temporel. Les nouvelles ne sont pas bonnes.
Les vols sont annulés par dizaines, voire par milliers. Les appels téléphoniques sont de plus en plus fréquents. L’agence avec laquelle je dois voyager semble dépassée. Son standard explose et moi j’implose. Le préposé au téléphone que j’appelle tous les jours pour me renseigner sur la programmation d’un éventuel vol vers Frankfurt ne maîtrise plus rien, son sort est lié au nuage de cendres. Le mien aussi. Ils sont deux opérateurs à répondre aux appels des clients de la compagnie.
Et à chaque appel que je dois effectuer je prie pour tomber sur le numéro un. Numéro un est correct et aimable. Numéro deux, par contre, est un vrai numéro. Au bout de deux appels (en une journée) il commence à prier dieu pour avoir plus de patience. Mais sa requête n’a pas dû être entendue. Numéro deux devient désagréable. Et il prie dieu encore plus.
Au bout du troisième jour, j’arrive à joindre numéro un et un rayon de lumière passe à travers les nuages. Un possible vol dans deux jours. Mon voyage se rapproche et mes vacances aussi. Le jour du départ se précise. Le dernier appel je l’effectue avant de partir à l’aéroport. Réponse de numéro un
le vol vers Frankfurt est toujours programmé. Mentalement je dissipe le nuage et j’entrevois Luanda.
Dans l’avion les questions se bousculent et les points d’interrogation s’accumulent. Faute de réponse je me laisse aller et me prépare à vivre la première étape du voyage : Alger – Frankfurt. L’atterrissage en terre allemande se fait en douceur. Les voyageurs sont pressés. Ils courent tous dans la même direction. Je cours aussi.
Après eux. On entre par un semblant de voie de garage, emprunte un ascenseur.
Quand les portes de l’ascenseur s’ouvrent, ce n’est pas un aéroport que je découvre mais une ville aquarium. Je regarde tout cela avec des yeux tout ronds. Une multitude d’étages, des cafés, des restaurants, des boutiques, mais surtout des centaines de personnes qui se déplacent ensemble d’un seul mouvement comme les bancs de poissons dans la mer.
Là je ne suis plus le banc de poissons, je dois trouver toute seule mon rocher : la porte d’embarquement vers Luanda. Quelques étages plus haut ou plus bas, je la repère. Elle aussi.
Rendez-vous pris dans six heures. La tête encore dans les nuages, j’émerge difficilement. Mais une découverte que je fais finit par me procurer une énorme joie. Des lits de camp sont dans mon champ de vision. Ma vue s’affine et je devine un amas de couvertures. Mon petit plan s’échafaude en un clin d’œil. Dormir. On est méditerranéen ou on ne l’est pas.
Un accueil chaud et collant
Le voyage dure longtemps, très longtemps : environ 9 heures. J’en profite pour écouter de la musique, regarder les films récemment sortis. Mais remplir autant d’heures semble difficile, pour mon voisin de voyage aussi. Mon voisin est originaire d’un pays de l’ex-URSS. Il travaille sur une plate-forme pétrolière en Angola. Il a un rythme de travail semblable à nos compatriotes qui travaillent au sud de l’Algérie.
Il semble étonné que je passe mes vacances en Angola. Il ne la conçoit que pour le travail. L’arrivée à l’aéroport de Luanda se fait au petit matin. C’est chaud et collant. En dix minutes, je rejoins le centre. La ville est déjà réveillée. Les Luandais sont matinaux, et il y a déjà un peu de trafic
Le verbe rouler conjugué au ralenti
Le trafic, c’est le gros problème de Luanda. Toute la journée quelle que soit l’heure où l’on sort, il n’y en a que pour les voitures. Et des voitures il y en a ! Chaque année, près de 160 000 véhicules sont immatriculés à Luanda.
Les embouteillages ont diminué depuis près d’un mois – auparavant c’était pire – car une nouvelle mesure a été instaurée. Les camions n’ont plus le droit de circuler durant la journée, seulement entre 22h et 7h et les week-ends.
Pour mieux visualiser la circulation qui règne actuellement dans la capitale angolaise, sur une échelle de 10, Luanda serait classée 8 et Alger à 5. La voiture s’est démocratisée en Angola, le crédit auto a été lancé depuis deux ou trois mois. Et les prix sont équivalents à ceux pratiqués en Algérie, et l’essence est à environ 40 DA le litre.
On retrouve à peu près les mêmes marques que celles présentes en Algérie. La mondialisation est passée par là. Dans les files de voitures, le 4X4 a la part belle. C’est un fait, l’Angolais préfère le tout terrain. Pas par luxe, mais pour son aspect pratique et solide. La raison est toute simple : les routes de Luanda sont particulièrement détériorées. Et partout, des travaux sont en cours.
Un chantier nommé Luanda
Luanda en particulier, mais l’Angola en général, est un chantier à ciel ouvert. On y voit des chantiers partout.
Des routes en cours de réalisation, des déviations à n’en plus finir et d’innombrables immeubles en cours de construction. Le pays a beaucoup souffert de la guerre. Près de 30 ans, durant lesquels quasiment tout a été détruit.
Le réseau routier d’avant-guerre comptait 30 000 km, et seulement 8000 km ont été refaits. C’est dire l’ampleur des dégâts. Un autre aspect des séquelles de la guerre est toujours vivace à Luanda. Les bidonvilles. La ville en est ceinturée. Les populations ont fui les zones où la guerre faisait rage et se sont réfugiées dans les régions proches de la capitale où elles se sont installées.
En 1975, la ville comptait 700 000 habitants, en 2010 ils sont 6 millions. C’est l’explosion. Les tentatives de relogement de ces populations sont restées vaines, et le projet d’élargissement de la voie longeant la baie de Luanda, entre autres, est bloqué. Le projet du million de logements est aussi un point commun entre l’Algérie et l’Angola. Le projet a été lancé en 2008 et l’on prévoit de le réceptionner en 2012.
Le plus grand marché à ciel ouvert : la rue
Les rues de Luanda grouillent de monde. Les trottoirs sont occupés, les voies de circulation encore plus. Ici tout le monde s’improvise commerçant. Dès qu’une maison a accès au trottoir, on installe une petite table, on y place des vêtements, des fruits, des piles, même les façades sont rentabilisées. Le plus remarquable dans les venelles et les grandes avenues, ce sont les jeunes vendeurs-coureurs. Ces jeunes circulent entre les voitures et vendent de tout. Oui tout.
Des boissons fraîches dans des sacs en plastique remplis de glaçons, des tee-shirts, des lampes, des couteaux, des sèche-linges. Bref, tout ce dont on peut avoir besoin dans la vie de tous les jours.
On les voit courir d’une voiture à une autre pour écouler leur marchandise ou pour se faire payer. Il faut dire que le flux dense de voitures leur facilite beaucoup la tâche. Un bon point à inscrire au tableau de ces jeunes : le sourire est toujours là et le petit mot gentil même si l’on n’achète pas.
La rue à Luanda est occupée aussi bien par les hommes que par les femmes. Dans certaines municipalités, le service de la voirie est assuré par des femmes. Une tenue de couleur verte, une casquette, un masque et l’outil de travail : le balai. L’initiative a été prise il y a une année, et les résultats sont visibles.
Les fleurs, uniquement pour les morts
Le vieux Luanda est particulier. On y trouve les édifices institutionnels et les monuments de l’époque coloniale. Pour y accéder, on quitte la voie qui longe la baie et l’on grimpe une colline.
On y trouve le palais de la gouverneure, le parlement… Le cimetière se trouve également sur la colline. Juste en face, des dizaines de vendeurs et de vendeuses de fleurs.
C’est le seul endroit à Luanda où l’on peut trouver des fleurs. A croire que seuls les morts y ont droit. Un bémol toutefois, la rose de porcelaine si particulière en Angola est introuvable. Les admirateurs de cette rose sont obligés de la commander auprès des vendeuses qui se la procurent de la campagne toute proche.
Ginga brave le ciel
Non loin de là surplombant la ville, une forteresse veille sur la ville. Le site est en réfection.
Les statues en bronze ont été placées à l’extérieur. Ginga (la reine) trône fièrement à côté des explorateurs portugais. Ginga brave le ciel. La Reine Ginga ou Nzingha (1582-1663) était une véritable guerrière, une meneuse d’hommes.
Connue comme chef politique visionnaire, Ginga s’est complètement consacrée au mouvement de la résistance. Les anciens affirment qu’elle possédait la dureté masculine et le charme féminin. Sa mort le 17 décembre 1663 a ouvert les portes au commerce massif d’esclaves par les Portugais. De Ginga, il reste une rue à Luanda qui porte son nom et une marque de café. De le la période esclavagiste subsiste un musée : le musée des esclaves, situé à 32 km de Luanda, à Benfica. Erigé sur la pointe d’une colline, ceinturée d’eau, le musée veille sur la mémoire collective.
C’est de là que partaient les bateaux chargés d’esclaves en direction des Amériques. De la forteresse où est installée la statue de Ginga, on a une vue imprenable sur la baie, que les Luandais comparent à la baie de Rio. Par sa beauté, en 1872 Luanda était appelé le Paris de l’Afrique. Sur ce site, un restaurant est en construction.
Le poisson tient la vedette dans les restaurants
Les restaurants à Luanda, il y en a pour tous les goûts, mais surtout pour toutes les bourses. La majorité d’entre eux est implantée le long des plages – interminables. Les produits de la mer tiennent la vedette et se déclinent sous toutes les couleurs et les saveurs. Chaque restaurant,
soutenu par un décor particulier, les met en scène à sa manière. Les grillades font l’unanimité parmi les touristes. Une fois, je me laisse tenter par un plat traditionnel à base d’un mélange de poissons frais et de morue séchée et d’autres ingrédients que la francophone que je suis serait incapable de traduire. Le poisson est accompagné d’une purée de farine de maïs. L’incursion en cuisine traditionnelle est un ratage. Mon palais refuse de l’apprécier, et je me confonds en excuses auprès du maître des lieux.
La musique angolaise, un facteur de rapprochement
Le soir, certains restaurants se transforment en dancing. La musique angolaise est en tête du hit-parade suivie de près par la musique brésilienne. Des groupes de jeunes ou moins jeunes attablés se balancent en ondulant sur les rythmes des airs joués par le groupe de musiciens qui se produit. La scène de danse est tantôt envahie tantôt désertée, pour aller se rafraîchir. Ici on se ressource à la cuca, la bière locale. Mais quand les danseurs s’y mettent, il faut se retenir pour ne pas les admirer.
Le bassin bouge gracieusement sur les rythmes de la musique et ils n’en finissent pas de virevolter. Dans leur mouvement, c’est à peine s’ils touchent le sol. Les corps soudés, ils évoluent comme un seul élément. C’est un fait, la musique angolaise est réellement un facteur de rapprochement. Une particularité à noter dans ces dancings en plein air: les moustiques suivent le tempo et terminent la soirée saouls. De sang.
Patricia, la star de la radio
On ne peut pas visiter Luanda sans connaître Patricia. Avec tout le temps que l’on passe en voiture, on ne peut pas la rater.
Patricia est l’animatrice d’une émission intitulée Mythes et vérités sur les ondes d’une radio privée. Une émission suivie par un nombre incroyable d’auditeurs. Patricia, c’est une voix chaude, forte, taquine et toujours rieuse. Ses thèmes sont très variés, ce jour-là Patricia s’interroge : les gens sympas sont-ils des menteurs ? Réponse d’un des auditeurs : ceux qui sont nés en février le sont particulièrement. Un autre jour, Patricia sonde les connaissances de ses auditeurs
les femmes qui marchent sans chaussures peuvent-elles contracter des maladies vénériennes ? Les réponses en étonneraient plus d’un. Alexandre, mon aimable accompagnateur angolais, se démène pour me faire une traduction fidèle de tous ces échanges radiophoniques. Et j’avoue qu’il rit à gorge déployée quand il écoute Patricia.
Vivi et la CAN 2010
Passer par Luanda sans visiter le stade où s’est produit l’EN serait impensable. En ce jour de semaine, aucune rencontre n’est programmée. Des affiches de la période de la CAN sont toujours là, accrochées comme pour me rappeler toute l’atmosphère qui a entouré cet événement.
Mon imagination prend le dessus et j’entrevois déjà les centaines de fans algériens venus supporter les Verts. Ils défilent et se défoulent comme jamais ils ne l’ont fait. Le flux de voitures qui roulent sur l’autoroute me ramène à la réalité.
Avec Alexandre mon accompagnateur, je décide d’aller retrouver Vivi. Vivi, c’est la gérante du site qui a hébergé les journalistes et photographes qui ont couvert la CAN 2010. Vivi nous accueille. Alexandre lui explique la raison de notre présence. Elle affiche alors un sourire qui la fait remonter dans le temps. Elle nous invite à visiter les lieux.
Ils sont emplis de verdure. Une véritable forêt tropicale. Les chambres sont alignées et donnent sur le jardin-forêt, et plus bas une piscine où nagent des touristes. Une photo de Vivi s’impose. Gênée, elle court mettre un chapeau. La photo est prise et Vivi est immortalisée.
La plus ancienne église d’Afrique
Située dans une ruelle de l’île de Cabo, une vieille église – selon Alexandre mon accompagnateur, ce serait la plus ancienne en Afrique – peinte en bleu et blanc accueille en cette fin de journée les enfants du quartier. Entre deux jeux, ils se bousculent à l’intérieur qui pour faire une prière qui pour rejoindre sa mère.
Au moment de prendre une photo de l’église, un raz-de-marée de têtes brunes s’immobilise face à l’objectif de l’appareil photo. Jouant des coudes, les yeux rieurs, ils se disputent la meilleure place. Avec les mains, je leur explique que tout le monde sera pris en photo. J’appuie sur le bouton et voilà qu’ils me submergent pour voir le rendu. Ouf, ils y sont tous. Ils se regardent, échangent des sourires béats et repartent les mains dans les poches satisfaits et reprennent leur jeu.
Le pèlerinage des nouveaux mariés
Dans les rues, on ne peut pas les éviter, ils sont partout. Eux, ce sont les enfants. Accompagnés ou seuls, ils peuplent la ville. En tout cas à Luanda, on remarque beaucoup de couples et la plupart sont très jeunes. Et ici on fait des enfants, beaucoup d’enfants. Avant de les concevoir, les nouveaux couples mariés passent par un petit rituel. Le jour de leurs noces, tout de blanc vêtus, ils partent à 15 km de la ville pour rejoindre le nouveau centre commercial.
Le Belas Shopping Commercial Centre. Et là accompagnés des demoiselles d’honneur et d’enfants endimanchés, ils font des allées et retour devant l’entrée de l’édifice, posent devant le photographe, le tout dans une ambiance joyeuse. Ils se tiennent par la main et sourient à leur nouvelle aventure commune.
Aux portes de la savane
Le temps passe tellement vite dans l’hémisphère Sud. Cela doit être lié à la finesse du sable des plages qui s’étirent à l’infini. Un proverbe africain dit que le blanc possède la montre et l’africain le temps. Moi, je crois que je ne possède ni la montre ni le temps. Juste l’instant présent. D’ailleurs, aujourd’hui avec Alexandre nous décidons de rejoindre le Kwanza, la rivière la plus proche de la capitale. Nous empruntons l’autoroute, dépassons le nouveau Luanda.
Défilent alors devant nous le stade de la CAN, des chantiers du projet du million de logements construits par CITIC, le nouveau centre commercial. On quitte rapidement l’autoroute et l’on rejoint la nationale. Elle longe des kilomètres de plages. Deux couleurs dominent : le rouge sang de la terre et le vert. Ce vert annonce la savane toute proche.
A intervalles irréguliers, de petits villages sont plantés là, inattendus et si modestes. Des cases sur un sol nu et rouge. Sur le bord de la route, des étals sont improvisés, on vend de la canne à sucre et d’autres produits agricoles. On traverse le Kwanza sur un vieux pont, la savane est là. Dense et organisée en îlots, la savane est entourée d’une plaine verdoyante. Des plantations de palmiers bordent le sentier que l’on emprunte pour arriver à l’embouchure du Kwanza.
Un clin d’œil à l’histoire
Embouchure du Kwanza, palmiers, plages, tout s’éclipse d’un coup. Un instinct primaire a pris le dessus. La faim. Dans un petit restaurant entouré de verdure, on s’installe et passons la commande.
Au menu des coquillages. En attendant d’être servis, avec Alexandre nous passons en revue les lieux. Sur un des murs, sont représentées des personnes dansant autour d’un immense imbomdeiro. Un arbre mythique. Dans les tables voisines des groupes de jeunes en tee-shirt rouge discutent.
Ce sont de jeunes militants du Mouvement populaire de libération d’Angola (MPLA). Avec Alexandre ils engagent la discussion. Tout fier, mon accompagnateur leur dit que je suis algérienne. Un moment de silence chez les jeunes.
Puis une exclamation : mais bien sûr l’Algérie, la lutte et le soutien. Ils me regardent et m’offrent un superbe sourire. Là-dessus arrivent les coquillages aux couleurs arc-en-ciel accompagnés d’une sauce de poivron et de tomate coupés. Un délice.
Sur le chemin du retour
Le retour vers Luanda se fait dans le silence. Que de la musique angolaise pour faire le plein. Le retour sur Alger est tellement proche. J’en profite pour ne rien rater du paysage. Je ramasse mes sensations et commence déjà à rêver d’Angola. Je ne suis plus déjà ici. Petit pincement au cœur. Obrigado Angola (merci Angola).
Par Malika Bougherara