La campagne électorale à Alger : comme dans la clandestinité

La campagne électorale à Alger : comme dans la clandestinité

« En politique une absurdité n’est pas un obstacle. » Napoléon Bonaparte

Devant les panneaux vides, les Algériens semblent avoir la tête ailleurs.

Les élections, pour reprendre l’avis des concitoyens interrogés depuis l’idée que le pouvoir ait eu à les entreprendre, ne suscitent l’intérêt de quiconque sinon les quidams attroupés dans les garages aménagés en sites de campagne qui font à peine dévier le regard des passants.

Par le réflexe du reportage et le souci de la vérité du patriote qui veut avoir le cœur un peu plus net, je me suis durant quatre journées entières, du bon matin jusqu’au crépuscule, rendu dans plusieurs communes de la capitale à passer dans les quartiers entreprenant les citoyens et les citoyennes à l’âge de voter.

L’arithmétique du néant

Dans les domiciles, dans des sites de travail, institutions publiques ou privées, dans les cafés, les salons de coiffure, hommes et femmes, dans la rue évidemment, dans les universités, dans les jardins publics, en bords de mers, sur les hauteurs, dans les grands groupes d’habitations, les cités, avec les flics, les gendarmes et les bidasses, enfin, que Dieu m’ait témoin, je n’ai pas laissé un endroit particulier où les Algérois se meuvent ou tentant de le faire où je n’ai pas sollicité des points de vue sur le bien fondé de la consultation prochaine.

J’ai interrogé, aidé de jeunes amis selon la disponibilité et le degré de crédibilité, exactement 758 citoyens adultes dans les deux sexes, bien entendu, sains d’esprit. 641 (403 garçons et 238 filles) citoyens ont catégoriquement exprimé qu’ils ne vont pas aux urnes. Parmi les 117 restants (78 garçons et 39 filles) 59 disent aller à la consultation mais pour déposer un bulletin nul, 58 affirment désigner des candidats. Donc sur les 758 votants potentiels, 59 seulement seront, selon mon sondage, des électeurs effectifs, comptables, sauf retournement d’avis de dernière minute, pour le pour ou pour le contre.

Les explications glanées, concernant l’écrasante majorité qui ne participe pas, vont de la précipitation vers le vote sans la prise en charge des avis populaires à travers des débats sur les problèmes réels qui font de l’Algérie un pays malheureux malgré l’argent que ramènent les gisements sahariens, aux rémunérations faramineuses des députés qui n’ont jamais défendu les intérêts citoyens mais protégé ceux des gouvernants, en passant par les partis alignés qui ne représentent pas les opinions nationales, surtout celles de la jeunesse et des femmes, et l’organisation du vote régie par l’Administration inféodée au pouvoir. Les consultés dans la minorité qui décident de choisir des candidats parlent de devoir républicain pour l’acquis de conscience citoyenne pour les uns, pour choisir des compétents intègres parmi les candidats et candidates pour les autres.

Toutefois, j’ai remarqué que dans l’ensemble des personnes entreprises c’est le thème des indemnités qui revient dans la bouche avec des impressions de dégoût et d’offuscation, parfois sous forme d’analyse fort édifiante.Une étudiante en statistique et planification à Ben Aknoun, sur la banlieue, qui termine son cursus d’ingéniorat me dit : « J’ai l’impression que le pouvoir lorsqu’il a décidé d’octroyer les incroyables salaires aux députés, de deux choses l’une, soit il a joué carte sur table de décréter le mépris royal et total du pauvre contribuable anonyme qui fait son devoir électoral, soit il a compris que c’est la dernière fois qu’il a à rémunérer une législature ! Comme s’il prend sur son compte qu’il n’y aura jamais d’autres, ou alors et c’est fou comme plus grave, qu’il a cru que les populations resteront pour l’éternité niaises. »

La clochardisation a la peau dure

Le dernier jour, avant de mettre au point les enregistrements, vers l’après-midi de jeudi, à Kelifa-Boukhalfa, une parallèle de Didouche Mourad, à Alger, où l’on suffoque et s’autotamponne, je rencontre un ancien du CNT, si l’on se rappelle cette institution improvisée au lendemain de la déconfiture de l’Assemblée nationale pendant le « démissionnement » de Chadli Bendjedid, cette Commission nationale de transition qui aura adopté parmi les lois les plus scélérates que l’Algérie ait connue. Qui logeait et se soûlait à l’envi à Moretti et au Club des Pins, qui possédait les Beretta « quinze coups » dernier cri.

Il faisait semblant de ne pas avoir l’air d’un clochard en essayant de traverser sans trébucher pour se faufiler à l’intérieur du Jugurtha, un rescapé de la pression de Belkhadem sur les débits de boissons alcoolisées. C’est une respectable et bon enfant crémerie plutôt FFS. Je l’accompagne et il demande un double ricard à trois mètres du comptoir. Une fois son système neurovégétatif remis en place par la grâce de deux bonnes rasades, il me demande pour qui je roule, connaissant une bonne partie de ma grande famille « politisée » dans le parti de Hocine Aït Ahmed. Je ne lui réponds pas, il termine jusqu’au tréfonds de son verre et en commandant un autre il me dit qu’il manage de loin dans la campagne du centre-ville au profit d’un parti nouvellement agréé – dont je dois taire le nom non pas par crainte d’une virulente mise au point de la part de ses responsables qui m’abaisserait le caquet mais par l’exécration de prononcer juste son appellation. Après le réétoffement de son verre il m’avoue sa stratégie up to date, « avec le pouvoir aujourd’hui qui ne cache pas de caresser dans le sens du poil les puissances étrangères tu n’as de chance que de jouer dans sa marelle si tu ne veux pas devenir non seulement plus pauvres mais de jour en jour un peu plus fou ! »

Il avait un billet de deux cents dinars fripé plié en huit dans le creux de la main pour payer sa consommation. Je le quitte avec dans mon esprit cette image de lui en Peugeot 405 rutilante donnant des ordres à son chauffeur qui le prenait de Zighout Youcef pour la résidence d’Etat en bord de mer où il s’adonnait avec ses pairs aux orgies, chaque nuit que Dieu faisait.

Nadir Bacha