Du fait de son statut d’entreprise publique, Mobilis est perçue par chaque Algérien comme son bien et s’estime en droit de s’immiscer dans ses affaires. Ce qui équivaut à une pression supplémentaire sur ses dirigeants.
“Jusqu’à un passé récent, le haut débit était perçu, ailleurs, comme un service de confort face à un réseau fixe assez stable. Cette technologie a vu le jour au début des années 2000. Avant 2007 et l’explosion du succès de la 3G, ses équipements étaient utilisés pour densifier la 2G. Il a fallu attendre l’apparition des Smartphones en 2008 et l’ampleur prise par les réseaux sociaux pour qu’elle prenne son essor”, a expliqué, hier, au sujet du lancement de la 3G, Saâd Damma, P-DG de Mobilis, qui était l’invité du Forum de Liberté. Il annoncera, à cette occasion, que ce nouveau service allait être effectif dans l’après-midi même. Mais pourquoi l’ARPT a-t-elle choisi la double numérotation ? Est-ce pour favoriser des fabricants étrangers ? “Non, l’obligation est d’ordre juridique et non technique.” La loi algérienne stipule que la puce SIM est considérée comme “un produit sensible” et les opérateurs doivent être garants de “l’identification du client”. “L’ARPT prévoyait au début des blocs de numéros. Et si le problème ne se posait pas pour les nouveaux clients de la 3G, on nous a, tout de même, précisé que nous avions le droit d’innover en ce qui concerne nos anciens clients attachés à leurs numéros de la 2G, et ce, pour peu, qu’on ait la capacité de disposer d’une même puce pour deux numéros. Aussi, je me fais un plaisir de vous annoncer, aujourd’hui, que Mobilis a réussi à dépasser ce problème grâce à une application développée par ses ingénieurs”, a-t-il assuré. Joignant le geste à la parole, M. Damma a alors fait une “démonstration” en invitant l’un de ses collaborateurs à l’appeler d’abord sur son numéro 2G habituel avant de passer en “mode dual” à la 3G. Un numéro automatique lui a été, ainsi, attribué et qui lui a permis ensuite de rappeler son correspondant.
“Cette application peut même disposer jusqu’à 5 numéros sur la même puce”, assure l’orateur qui est, faut-il noter, un expert en commutation numérique et en téléphonie mobile. Cette solution peut servir, en outre, d’après lui, à mesurer le volume de navigation. “Donc, une seule puce n’empêche pas une fiscalité et une comptabilité séparées telle que prévu par les dispositions réglementaires, soit deux licences différentes, deux cahiers des charges et donc deux contrats.” Fier de cette innovation et sûr de son fait, le patron de Mobilis mettra alors au défi ses concurrents : “Qu’ils viennent nous montrer, eux aussi, qu’ils ont la solution !” En affichant sa fierté, M. Damma pense également que Mobilis sera le seul opérateur à couvrir l’Algérie dans un délai de moins de trois ans. “Nous serons les seuls à le faire car nous avons le devoir de faire profiter les Algériens de cette technologie dans les endroits les plus reculés d’Algérie. Et cela, je prends l’engagement de le faire !”
M. Damma évoque un véritable “tournant technologique”. L’enjeu est de taille car, d’après lui, la 3G produira très vite un effet positif sur le quotidien des Algériens et sur l’économie nationale ; un but, du reste, affiché par les autorités. Revenant enfin sur la guerre des communiqués et la concurrence impitoyable que se livrent actuellement Mobilis et Ooredoo (ex-Nedjma),
M. Damma estime que “des lignes rouges ont été franchies” dans cette affaire. “Comment peut-on souscrire un abonnement par Internet ? Il s’agit d’une transgression de la loi, d’un dépassement intolérable. Nous avons saisis l’autorité compétente (l’ARPT) en ce qui concerne ce mode de souscription et autres griefs. Et lorsque nous disons qu’il y a des violations, nous citons des cas concrets. Le Conseil national de la concurrence a été également saisi et notre conseil d’administration va se réunir lundi prochain. Il y va de ma responsabilité d’agir au nom du propriétaire.”
Mais comment se fait-il que contrairement à de nombreux pays où l’opérateur public (ou historique) domine le marché, Mobilis n’est pas le numéro un en Algérie ? questionne “innocemment” un journaliste présent. Obligé de revenir, ainsi, sur les conditions de l’ouverture du secteur de la téléphonie mobile en Algérie et notamment sur l’octroi de la première licence, M. Damma a simplement botté en touche en considérant que les autorités algériennes voulaient probablement donner un signal fort aux investisseurs étrangers. “Il faut dire que nous nous sommes bien rattrapés depuis. Mobilis est devenue un partenaire incontournable. Mais j’avoue que s’il n’y avait pas eu cette concurrence, Mobilis ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui. On ne s’améliore pas en situation de monopole”, reconnaît-il, réaliste.
Une chose est sûre, c’est grâce à l’environnement concurrentiel que la téléphonie mobile s’est largement démocratisée en Algérie. Mais est-ce si dur que cela d’être un opérateur “public” dans ce domaine précis ? “Vous savez, on n’a pas les mêmes préoccupations que les autres et on est beaucoup plus soucieux des procédures”, se distingue-t-il, affirmant, par ailleurs, que le marché algérien est l’un des plus actifs du bassin méditerranéen et qu’il y a de la place pour tout le monde. “Il faut seulement que les gens travaillent dans la légalité”, précise-t-il. Défendant farouchement son entreprise, le patron de Mobilis regrette presque de ne pas disposer d’un traitement de faveur. “Les autres concurrents bénéficient du support du groupe ou de la société-mère auxquels ils appartiennent et, par conséquent, leur pouvoir de négociation avec les fournisseurs mondiaux est accru. Nous, on est soumis à la concurrence, mais on ne bénéfice pas de la même souplesse.”
“Il n’y a pas d’affaire Maradonna”
Décidément, il flotte autour de la dévotion pour le football en Algérie un parfum d’irrationnel. Tous les opérateurs surfent actuellement sur l’engouement pour le football en passe de devenir véritablement une nouvelle religion. En attendant le Messi(e), les Algériens ont eu droit, ces derniers jours, grâce à Mobilis, à un demi-dieu, une idole, en l’occurrence Maradona.
Mais face à la controverse, les Algériens dubitatifs s’interrogent si Mobilis en a eu réellement pour son argent ? “Pour Maradona, on a payé zéro dinar, zéro dollar, zéro euro…”, s’est défendu le P-DG de Mobilis. Mais alors, qu’est-ce qui a finalement convaincu l’Argentin de venir en
Algérie ? M. Damma insinuera, ainsi, que ce sont les équipementiers de Mobilis qui auraient cassé leur tirelire, et cela dans le cadre de mesures contractuelles qui consisteraient à réinvestir dans notre pays une partie de leurs bénéfices. “Mobilis est une entreprise commerciale qui investit des centaines de millions de dollars dans la ‘quincaillerie’. Pour avoir une estimation, il faut compter environ 40 millions de dollars par wilaya”. Pour lui, les opérations de marketing représentent, à ce titre, des “peanuts” alors que nous croyions, nous Algériens, que le budget de la publicité atteignait des sommes vertigineuses. Pour le patron de Mobilis, il n’y a pas d’affaire Maradonna, même s’il ne compte pas en rester là. “Il y a eu des dépassements qui ont touché à la dignité des personnes et des procès en diffamation sont en cours”, a-t-il menacé. Ceci dit, on ne peut pas dire vraiment que cette visite “inattendue” ait eu un effet favorable sur l’image de Mobilis, et ce, d’autant que l’Algérie continue à se signaler, par ailleurs, par sa prodigalité. Pour de nombreux observateurs, Mobilis aurait dû faire preuve de plus de prudence en prêtant une attention plus soutenue à l’opportunité de cette opération.
En effet, la gestion d’entreprises, la publicité, ne doit jamais, et à aucun prix, être contre-productive car toute dépense qui n’accroît pas la valeur de l’entreprise et ne contribue pas, de manière positive, à son image ne peut être assimilée qu’à du “gaspillage”. Mais peut-on reprocher sérieusement à la direction de Mobilis cette “opération hasardeuse et irréfléchie” à l’heure même où les dirigeants du pays font croire aux Algériens qu’ils sont riches comme Crésus et qu’ils ont les moyens d’être follement dépensiers ? S’il n’y a vraiment aucun mérite particulier ni avantage économique à ramener des stars mondiales en échange de pétrodollars, construire l’autoroute la plus chère du monde ne relève pas, non plus, d’une prouesse.
M.-C. L