Farouk Ksentini planche donc sur un projet d’amnistie des responsables corrompus. Non, le président de la Commission nationale des droits de l’Homme “ne prône pas l’impunité”, mais il trouve que “cette situation”, marquée par des scandales en série, “peut nous coûter très cher”; nous devons donc blanchir les corrompus pour ne pas “devenir la risée du monde”, dit-il.
Et pour convaincre de la nécessité d’une “paix des braves” avec les corrompus, il affine ses arguments ; il en a avancé deux qu’il juge probants devant notre consœur du Soir d’Algérie (édition du jeudi 12 mai).
Le premier stipule que cette amnistie est salutaire pour le pays : maintenant que la “boîte de Pandore a été ouverte”, nous assistons “périodiquement” à la publication de noms de personnes dans “les” Panama Papers. Il y a madame Chakib Khelil et le fils de l’ancien président Chadli… “Il y en a eu d’autres et il y en aura encore… cela ne se terminera pas” !… Mais il ne faudrait pas les poursuivre car cela nuirait à “la réputation de notre pays” et cela “va faire fuir les investisseurs et porter un coup fatal pour le pays”.
Ksentini ne peut pas penser que c’est plutôt la corruption qui ferait fuir les investisseurs et qu’il faudra justement sévir contre les pourris, les chasser de la gestion des affaires du pays pour attirer ces investisseurs ! Non, ce qui le désole, ce n’est pas tant que ces gens aient pu piller le pays, mais que leurs noms “apparaissent dans les Panama Papers” ! Un peu comme si le régime corrompu était une fatalité qui s’impose à la nation et que celle-ci doive couvrir les frasques de ce régime pour défendre sa réputation !
Le second argument de l’avocat amnistiant prône l’élargissement du principe de “réconciliation nationale”. “Si des personnes ayant commis des crimes comme le terrorisme ont pu être amnistiées, pourquoi ne pas le faire avec celles qui se sont rendues responsables de faits moins lourds ?”, explique-t-il. Si l’Algérie a pu innocenter des terroristes, elle peut bien le faire pour “de simples voleurs”. Voici un usage imprévu de la logique “réconciliation nationale” !
Sauf que le raisonnement de Ksentini montre à quel point “la réconciliation nationale”, parce qu’elle a dispensé en masse des assassins de répondre de leurs crimes, est, elle-même, un crime contre l’idéal de justice.
Il ne dit, d’ailleurs, rien moins que ceci : le crime absolu ayant pu être absous, que reste-t-il de la justice ? Et avec cette logique de “qui peut le plus, peut le moins”, plus aucun crime ne devrait être jugé dans notre pays.
Le régime ayant trouvé dans la “réconciliation” et l’impunité le moyen de s’aliéner les forces à capacité de nuisance, on ne jugera plus que les crimes des faibles. Cela nuit à “la réputation de notre pays” et “va faire fuir les investisseurs et porter un coup fatal pour le pays”.
Que ne peut-on faire pour assurer “la paix” et la longévité au régime !