Fini le temps où la Kabylie était surnommée la Petite Suisse. Quelque chose s’est cassé dans cette région.
C’est étonnant mais tout a changé vers le pire dans cette partie du pays. L’aspect sécuritaire dans lequel se retrouvent la wilaya de Tizi Ouzou et les autres wilayas limitrophes telles que Boumerdès, Béjaïa, Bouira,… instaure un véritable chaos.
De plus en plus isolée, la Kabylie fait l’objet d’un phénomène inquiétant: la fuite des riches. C’est véritablement la saignée.
Les opérateurs économiques locaux quittent leurs wilayas pour d’autres contrées plus rassurantes et où l’administration est plus clémente et la sécurité mieux garantie. Entrepreneurs, hommes d’affaires, commerçants, agriculteurs, investisseurs, héritiers d’une fortune… tous les détenteurs de fonds à même de créer de la richesse sont aujourd’hui la cible de groupes terroristes, de groupes de bandits ou simplement de criminels.

Kidnappings, hold-up, faux barrages, attaques à main armée, menaces, tous les moyens sont bons pour faire payer par les riches d’énormes sommes d’argent. C’est le Far-West à 100 km de la capitale.
Le drame c’est que les pouvoirs publics ne bronchent pas! «A quoi bon de rester dans un tel climat d’insécurité? A quoi bon de se lancer dans un investissement quand nous savons d’avance que nous serons surveillés et pistés par des terroristes ou des bandits qui vont nous délester ou carrément nous tuer», s’est indigné, l’un des plus grands entrepreneurs dans cette wilaya de Tizi Ouzou, lequel a décidé de délocaliser son investissement ailleurs. Lui-même victime d’un kidnapping par le passé, il affirme qu’en plus de son incapacité à poursuivre ses affaires il lui est aussi impossible de mener sa vie tranquillement. «Je vis sous la peur. Ma vie n’est plus comme avant. Ni moi, ni ma famille nous ne nous sentons en sécurité», témoigne-t-il.
Aujourd’hui, en Kabylie et plus particulièrement à Tizi Ouzou, les riches mènent une vie périlleuse.
Le spectre de l’insécurité est omniprésent.
«Je ne passe jamais deux nuits consécutives dans un même endroit. Je suis souvent séparé de ma famille. Je change de voiture chaque deux heures pour échapper à une éventuelle filature ou kidnapping. Pour dormir, c’est une autre histoire: je deviens dépendant de somnifères», raconte un autre entrepreneur parlant sous l’anonymat. Il affirme que le même comportement est adopté aussi par toute sa famille: «Mes enfants sont souvent séparés. Parfois ils sont chez leurs oncles, parfois chez leurs grands-parents et parfois même chez des amis… C’est franchement insupportable», lâche-t-il.
En effet, rien que dans la wilaya de Tizi Ouzou et en l’espace de deux ans seulement, cette catégorie de citoyens dite «riche» a subi plus de 70 kidnappings.
Un terrorisme incroyablement destructeur pour cette région. Hamid, lui est médecin. Issu d’une grande famille des plus aisées de la Kabylie, il n’a jamais été question pour lui de quitter cette région qui lui est chère. «L’idée de quitter ma Kabylie natale n’a jamais effleuré mon esprit», explique ce médecin qui travaille dans son cabinet privé depuis 20 ans. Malheureusement, «les circonstances et l’insécurité que subit la région ont fait que je sois dans l’obligation de déménager avec toute ma famille vers Alger», témoigne-t-il. «Les dernières années étaient infernales, je craignais que l’on me kidnappe mes enfants. J’étais obligé de leur trouver un chauffeur qui faisait office de garde du corps», assure-t-il. «On se croirait au Mexique, d’ailleurs le film Man On Fire me rappelle mon histoire», souligne- t-il. «Malgré toutes les précautions prises, mes enfants ont été pistés à plusieurs reprises. J’ai décidé alors, la mort dans l’âme, de prendre la direction de la capitale car je n’ai plus le choix», regrette-t-il.
La Kabylie semble donc devenue un véritable Far-West. Ce n’est pas Madjid, un riche industriel de la région qui dira le contraire. Il décide, lui aussi, d’exiler sa famille. «Mes enfants n’ont pas encore accepté cet exil forcé», révèle-t-il.
«Si on n’avait pas déménagé, je suis sûr que le drame serait arrivé», peste-t-il. D’ailleurs, il raconte que son père, lui aussi riche commerçant de la région, a échappé à une tentative de kidnapping menée par son…neveu. «Un jour, tôt le matin, mon père qui avait mis en marche sa voiture, a vu trois gaillards débouler de nulle part pour essayer de le prendre en otage, mais mon père, comme tous les vieux Kabyles, sait très bien se défendre. Il leur a alors assené deux coups les mettant de suite K.-O. Mais grande fut sa surprise et son choc lorsqu’il découvrit que sous la cagoule se cachait le fils de sa chère soeur», s’exclame-t-il.
Aujourd’hui, le constat est amer. La Kabylie se vide de tout. Après la fuite des cerveaux qu’a connue la région durant les années 1990 et 2000, c’est au tour des riches de fuir cette région où le minimum n’est pas garanti.