Le nord du Mali, au pied du massif de l’Adrar des Ifoghas, aux confins de l’Algérie et du Niger, est confronté à l’avancée de rebelles touareg et d’islamistes armés, face auxquels l’armée a besoin du «soutien» extérieur, a affirmé hier le chef de la junte. Cette junte est sous pression, après la menace d’un embargo brandie par l’Afrique de l’Ouest. Plus de 1 000 kilomètres de frontières communes entre l’Algérie et le Mali, l’avancée des islamistes au nord de ce pays aura certainement des répercussions sur la situation sécuritaire au Sahel et sur le sud algérien.
La situation est actuellement «critique» dans le nord du pays en raison de l’avancée de rebelles touareg et d’islamistes armés, a estimé hier le chef de la junte désormais au pouvoir, le capitaine Amadou Sanogo. Un capitaine sous pression, l’Afrique de l’Ouest ayant menacé ce dernier d’un embargo aux conséquences potentiellement désastreuses pour le pays. «Les rebelles continuent à agresser notre pays et terroriser nos populations (…). La situation est à cette heure critique, notre armée a besoin du soutien des amis du Mali pour sauver les populations civiles et sauvegarder l’intégrité territoriale du Mali», a lancé Amadou Sanogo dans un discours à la presse au camp militaire de Kati, près de Bamako, qui lui sert de quartier général. Vendredi matin, la ville stratégique de Kidal, dans le nord-est, est en effet tombée aux mains des rebelles et des islamistes, qui mènent une offensive dans le nord depuis la mi-janvier. Le capitaine Sanogo a aussi déploré «un incident malheureux indépendant de notre volonté» après l’échec d’une médiation de chefs d’Etat ouest-africains jeudi à Bamako, qui ont annulé leur venue en raison d’une manifestation pro-junte sur le tarmac de l’aéroport. Il a présenté des «excuses» à la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et aux partenaires du pays. Des excuses qui, peut-être, interviennent trop tard. «Si on accule les putschistes, ils risquent de se raidir davantage». Car les putschistes et leur chef, le capitaine Amadou Sanogo, se trouvent désormais face à une alternative: céder à l’ultimatum de la Cédéao ou plonger un Mali, très pauvre et enclavé, dans un isolement. La Cédéao a en effet menacé le Mali d’un embargo diplomatique et financier sans retour à l’ordre constitutionnel «dans un délai maximum de 72 heures», soit lundi «au plus tard». Déjà, des interrogations se font jour sur la manière forte employée par les chefs d’Etat de la Cédéao face aux auteurs du coup d’Etat militaire contre le président Amadou Toumani Touré. Cette fois, c’est fait : Kidal est tombée aux mains des rebelles. Depuis plusieurs jours, l’étau se resserrait sur la ville du Nord Mali, au cœur de l’Adrar des Ifoghas. Les circonstances s’y prêtent particulièrement depuis le coup d’Etat à Bamako, qui ébranle tout le Mali, et a des répercussions sur le Nord. A l’intérieur de la ville, le colonel major Al Hadji Gamou a tenu jusqu’au bout. Hier soir, il a failli décrocher, lors d’un assaut des rebelles dont les forces appartiennent à celles d’Iyad Ag Ghali, le chef du mouvement islamiste Ansar Dine, et de ses alliés du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), qui accueille des tendances très différentes, depuis des intellectuels vivant en Occident jusqu’à des soldats de métier engagés pendant plusieurs décennies dans l’armée libyenne, et rentrés au Mali pendant la crise libyenne. Ansar Dine est fréquemment présenté dans la presse comme un sous-marin d’Al Qaïda au Maghbreb islamique, ou au minimum son allié objectif (un des cousins d’Iyad ag Ghali, Abdelkrim Taleb, dirige l’une des katibas). Comme si son action n’était qu’une affaire de djihadisme. Des accusations ont été formulées par le pouvoir du président déposé, Amadou Toumani Touré, concernant un massacre qui a eu lieu lors de la prise de la ville d’Aguelhoc, en janvier, à environ 200 km de Kidal. Cela n’a pu être vérifié de manière indépendante. Mais si Iyad ag Ghali ne cache pas ses intentions de faire appliquer la charia dans les zones sous son contrôle, il est aussi engagé dans un combat qui s’inscrit dans l’histoire de la région et de celle des Touaregs, avec leurs rivalités. Il était l’un des acteurs principaux de la rébellion touareg de 1990, où sa rivalité avec Al Hadji Gamou trouve son origine. A présent, Iyad Ag Ghali compte devenir le leader de la tribu des Ifoghas, et cela pourrait avoir des répercussions importantes lorsque le Mali retrouvera la paix (ce qu’il finit toujours par faire au terme de chaque rébellion, suite à des négociations et des dotations généreuses pour les combattants). Iyad ag Ghali, dans l’immédiat, est maître de Kidal, évacuée par les dernières troupes loyalistes vendredi matin, tandis que les forces d’Ansar Dine, en collaboration avec des unités du MNLA, prenaient les camps militaires et la ville en tenaille. Il tient aussi la région de Tessalit, et le plus gros de la région montagneuse de l’Adrar des Ifoghas. Les répercussions de cette victoire rebelle peuvent être importantes. Tombouctou est aussi une ville en danger. La défense de Kidal était assurée par des unités de Touaregs, à la différence de Tombouctou, où dominent les groupes «arabes» (tarabiche). Ces derniers ont engagé des négociations depuis plusieurs semaines avec le MNLA, qui y voit une possibilité de grande victoire symbolique à un moment clef pour le Mali : la junte qui a pris le pouvoir à Bamako dans la nuit du 21 au 22 est composée jusqu’ici d’officiers subalternes qui ont eu toutes les peines du monde à intégrer des officiers supérieurs.
Le calendrier électoral n’est pas fixé
Le président de fait, le capitaine Amadou Haya Sanogo, à la recherche d’une crédibilité, a, toute la semaine, tenté de donner des gages de bonne foi, assurant qu’il «n’était pas dans son intention de confisquer le pouvoir». Le CNRDR a aussi publié une Constitution et devait rendre public un gouvernement chargé d’organiser des élections auxquelles ses membres ne pourraient se présenter. Mais le calendrier pour ces scrutins n’a pas été fixé, un manque «inacceptable» aux yeux des partis politiques maliens. Dans son petit bureau, le puissant iman Dicko regarde les soubresauts du pays d’un œil calme. Il sait que sa parole est attendue. «Il faut avant tout penser au Mali et sauver le pays. Il ne sert à rien de précipiter les choses. Tout le monde est d’accord pour un rétablissement de la démocratie. Peut-être faut-il laisser un peu de temps aux Maliens pour travailler entre eux et que toute la classe politique se retrouve autour d’une table», affirme-t-il.
Par Mehdi Ait Mouloud