Lorsque des femmes des Aurès se mettaient à parler de Seddaya (métier à tisser), de Neghada ou de Kerdache (outils servant au tissage traditionnel), elles signifiaient invariablement qu’elles « fourbissaient leurs armes » pour tisser un tapis ou une couverture, certifient des habitants de Khenchela.
L’un d’eux, Belgacem Outtar (70 ans), rencontré au salon du tapis qui se tient dans cette ville, s’empresse d’ajouter que si elles étaient surprises en train de disserter autour de la Derraga, d’El Okda ou du Houli (types bien précis de tapis), il faudra en conclure qu’elles ont déjà dressé le métier à tisser pour donner naissance au célèbre tapis de Babar.
Plongeant ses racines au plus loin de l’histoire des Aurès, le tapis de Babar exprime par ses couleurs et ses motifs l’univers des chaouis, affirment des tisserandes rencontrées dans ce salon national qui se poursuivra jusqu’au 18 octobre prochain.
Considéré par beaucoup comme une véritable oeuvre d’art née du savoir-faire de la femme auressienne, ce tapis exprimerait même « les sentiments de la tisserande qui le façonne », soutient Rabea, une artisane de la localité de Chechar qui souligne que jadis, la jeune fille qui désirait se marier exprimait, à travers les motifs du tapis, son souhait de convoler en justes noces. « Un souhait qui ne passait jamais inaperçu aux yeux des plus âgées », souligne Rabea.
Le genre de tapis dénommé Derraga (signifiant, en substance, celle qui dissimule, qui cache du regard des intrus) traduit également le sens de jalousie et de « Horma » (pudeur) chez les chaouis qui l’utilisaient pour séparer, sous la même tente, l’espace réservé aux hommes de celui des femmes.
Pour la présidente de l’association El-Hana d’aide à la femme rurale, Seddika Amamri, le tapis est une oeuvre qui résume l’univers des gens de la région.
L’on y trouve, explique-t-elle, des formes qui évoquent El-kherebga (genre ancien et traditionnel de jeu de dames), des motifs qui renvoient à des bijoux de femmes, notamment El Mechref, des dessins à portée religieuse tels El-Mihrab (lieu de la prière), ou encore des figures représentant des animaux comme Kef Edhib qui reproduit la trace des pattes de loups sur la neige.
Le tapis de Babar est un des plus célèbres d’Algérie qu’il a représenté dans plusieurs expositions internationales, à l’instar de celle consacrée, en 2014 en Chine, à l’art du tissage arabe. Seddika Amamri qui avait pris part à cette manifestation, assure que ce tapis « n’a besoin que d’un effort de marketing pour se frayer un chemin sur le marché mondial de la tapisserie ».
Le souci majeur de cette artisane, partagé par plusieurs de ses collègues, est de communiquer ce savoir-faire authentique et ce patrimoine séculaire aux jeunes filles de la région afin de préserver, pour la postérité, le tapis de Babar.