Khelil et Sonatrach, Le noyau dur du conflit

Khelil et Sonatrach, Le noyau dur du conflit

Les scandales liés à la gestion de la Sonatrach et l’implication de l’ancien ministre de l’Energie et des Mines sont actuellement au centre du conflit qui secoue le sommet de l’Etat.

La stratégie —dénoncée publiquement par l’ancien garde des Sceaux, Mohamed Charfi —visant à «extirper» Chakib Khelil de cette affaire a pour objectif de débarrasser ce dossier de toute couverture politique.

L’affaire Sonatrach est un dossier éminemment politique. La passe d’armes qui oppose Amar Saâdani à Mohamed Charfi en est une preuve concrète. «Si Amar, vous êtes venu, le jour même de votre installation à la tête du FLN, me proposer amicalement de préserver mon poste de ministre de la Justice en m’engageant à extirper Chakib Khelil de l’affaire Sonatrach 2 comme on extirpe un cheveu d’une pâte», explique l’ancien ministre de la Justice dans sa lettre rendue publique samedi.

Charfi est revenu à la charge, hier, dans les colonnes du journal Echourouk : «Je suis sorti de mon obligation de réserve et je dévoilerai de nouveaux éléments du scandale Sonatrach.»

L’ancien ministre n’est plus seul à témoigner de «l’acharnement» de Amar Saâdani à laver Chakib Khelil de tout soupçon. Hadda Hazem, directrice de la publication du journal El Fedjr, a révélé, hier, les propos tenus par le secrétaire général du Front de libération nationale.

«Lors d’une rencontre avec Amar Saâdani, dans son bureau à Hydra, il m’a indiqué que le limogeage de Mohamed Charfi du poste de ministre de la Justice est dû au dossier Sonatrach 2 car il s’est permis de présenter cette affaire à Interpol, en l’absence du Président Abdelaziz Bouteflika, dans le but de poursuivre Chakib Khelil», écrit l’éditorialiste. Dans ses confidences à Hadda Hazem, Amar Saâdani est allé jusqu’à dire que l’ancien ministre de l’Energie a joué un rôle dans la réélection de Abdelaziz Bouteflika en 2004. «Chakib Khelil a été puni car le président de la République devait le nommer Premier ministre puisqu’il lui avait assuré son second mandat grâce aux Américains.

Les Etats-Unis ont imposé à l’armée le fait que Abdelaziz Bouteflika demeure président de la République», a-t-il assuré. Il est aujourd’hui incontestable que Khelil était un personnage-clé au sein de l’exécutif et du «clan présidentiel». Et il est évident que l’homme tirait sa puissance du «statut particulier » que lui avait accordé le chef de l’Etat. A ce titre, il est utile de rappeler des faits concrets. De février 2001 à septembre 2003, Chakib Khelil a vu ses pouvoirs décupler puisque, en plus du poste de ministre, il occupait le poste de président-directeur général de la Sonatrach.

Il profitera de cette période pour mettre en place un système de contrôle de tous les projets dans le secteur pétrolier. Jouissant d’une protection politique à toute épreuve, Khelil a pu agir en toute impunité du fait du blocage imposé au Conseil national de l’énergie. Créé par le Président Liamine Zeroual en avril 1995, ce conseil ne s’est pas réuni une seule fois sous Abdelaziz Bouteflika.

Durant les années passées à la tête du ministère de l’Energie, Chakib Khelil a réussi à s’arroger l’ensemble des prérogatives de cette instance : «Le Conseil national de l’énergie est chargé d’assurer le suivi et l’évaluation de la politique énergétique nationale à long terme, notamment de la mise en oeuvre d’un plan à long terme destiné à garantir l’avenir énergétique du pays ; d’un modèle de consommation énergétique en fonction des ressources énergétiques nationales, des engagements extérieurs et des objectifs stratégiques à long terme du pays ; de la préservation des réserves stratégiques du pays en matière d’énergie ; des stratégies à long terme de renouvellement et de développement des réserves nationales en hydrocarbures et leur valorisation ; de l’introduction et du développement des énergies renouvelables ; des schémas d’alliances stratégiques avec les partenaires étrangers intervenant dans le secteur de l’énergie ; des engagements commerciaux à long terme.» Disculper Chakib Khelil reviendrait, inévitablement, à dédouaner Abdelaziz Bouteflika.

Aucun homme politique ne doit être éclaboussé par les méga-dossiers de corruption Sonatrach. Car contrairement à l’affaire de l’autoroute Est- Ouest ou encore à celle de la Générale des concessions agricoles, il n’y a pas que la justice algérienne qui s’intéresse aux détournements de deniers publics dans le secteur des hydrocarbures. Les polices et les justices italienne et américaine traitent également ces dossiers. De nouvelles informations judiciaires pourraient être ouvertes dans d’autres pays. En cette fin de troisième mandat, c’est justement l’envergure «internationale» qui gêne au plus haut point les responsables politiques algériens.

T. H.

SAÂDANI-DRS: Retour sur les éléments déclencheurs de la crise

Il y a au moins trois faits qui ont semé la panique dans les rangs des partisans du quatrième mandat et déclenché cette charge violente d’Amar Saâdani contre le DRS et son patron, le général Toufik Mediene. Le premier déclencheur aura été le bref séjour au Val-de-Grâce du chef de l’Etat le 14 janvier dernier. Survenant après son AVC qui l’a tenu éloigné du pays et des affaires durant 80 jours (du 27 avril au 16 juillet), suscitant alors moult commentaires et réactions sur les capacités du chef de l’Etat à poursuivre son mandat à son terme, le second séjour du 14 au 16 janvier, officiellement pour un examen de routine, a pris de court et fait trembler tous ceux qui s’accrochent désespérément au quatrième mandat.

Le second fait, sous-jacent aux premiers, ayant pris de court les autorités et les partisans du Président, est l’affaire Sonatrach II. L’enquête lancée par le parquet de Milan, portant sur des malversations et des pots-de-vin de plusieurs milliards de dollars impliquait l’italien Saipem, filiale de l’ENIE, le canadien SNC Lavalin et Sonatrach : parmi les présumés suspects, des proches du chef de l’Etat, comme Chakib Khelil, l’ex-ministre de l’Energie.

Plus que tout autre, Sonatrach II s’ajoutant à Sonatrach I, qui a vu l’incarcération d’une dizaine de cadres dirigeants de l’entreprise tous nommés par Chakib Khelil, qualifiées toutes deux par Amar Saâdani d’affaires «préfabriquées » par le DRS, a ébranlé et fragilisé le pouvoir.

A quoi s’ajoutent celle de l’autoroute Est- Ouest et bien d’autres, toutes non encore résolues judiciairement. En lui demandant de rempiler pour un nouveau mandat au nom de la «stabilité », les partisans du chef de l’Etat qui se recrutent aussi bien dans les milieux d’affaires que politiques, redoutent, au cas où il décide de ne pas y aller, de perdre gros !

D’où ces appels à la mobilisation générale —plus d’une trentaine de partis dont la plupart n’ont d’existence que le temps d’un scrutin présidentiel — en faveur du quatrième mandat sur fond de reprise en main du FLN et de l’appareil d’Etat dont le remaniement ministériel du 11 septembre aura été le fait marquant ! Troisième élément, la décision de l’ex-Premier ministre sous Bouteflika, Ali Benflis, enfant du système, ex-secrétaire général du FLN, au parfum du fonctionnement du pouvoir qu’il a loyalement servi, de surcroît un homme propre — ce qui n’est pas rien par les temps qui courent en Algérie — de se présenter en alternative face à un système bloqué, incapable de produire un présidentiable qualifié !

Bien que s’inscrivant dans une logique consensuelle et non d’affrontement, Ali Benflis semble faire peur à ces milieux affairistes dont certains, grâce à la «chqara» selon Abderahmane Belayat, auraient phagocyté le FLN et mis au service de cette bourgeoisie compradore, qui tire sa richesse de sa position d’intermédiaire avec les milieux financiers internationaux et le commerce informel qui avoisine ou dépasse les 30% du PIB algérien ! Ajoutons, que cette crise se déroule dans un climat de tensions sociales et identitaires exacerbé (Ghardaïa) et d’une situation économique et financière préoccupante avec un déficit budgétaire record de plus de 18% du PIB alors que le taux moyen admis se situe autour de 3%, et où le tout-pétrole tient lieu de politique de développement !

Cette crise, on l’a écrit dans le Soir d’Algérie, a lieu dans un contexte régional radicalement transformé (Tunisie, Libye, Égypte) mais — c’est vrai pour la Libye et le Mali — elle fait peser de sérieuses menaces sur le pays ! Pour conclure, si on ne sait pas comment va se dénouer cette crise au sommet du pouvoir, constatons un fait : la justice ne s’est pas autosaisie de cette affaire comme elle l’avait fait pour les journalistes et les journaux durant le premier et second mandat de Bouteflika dès lors que des articles de presse pointaient certaines affaires !

H. Z.