Le ministère des Finances ne définit pas la politique économique de l’Algérie, il se contente de l’exécuter. Et si ça ne marche pas, c’est la faute des autres. « Portrait » d’un ministre qui botte en touche.
La stagnation économique ? C’est la faute aux banques et aux entreprises. L’inflation ? C’est la Banque d’Algérie qui en est responsable. La dérive des salaires ? C’est une décision éminemment politique, tout comme la politique d’investissement massif en vigueur depuis une décennie. Le Ministre des finances, Karim Djoudi, botte en touche. Il rejette systématiquement sur les autres partenaires les déboires de l’économie algérienne. De manière ouverte ou par allusion, il reconnait les échecs, évidents, mais ne les endosse pas.
M. Djoudi reconnait ainsi que le pays a enregistré « une augmentation sans précédent des dépenses publiques ». Ce phénomène, explique-t-il, n’est pas seulement le produit de la hausse des salaires, mais également le résultat de la politique d’investissement, qui a induit, à son tour, une hausse des dépenses de fonctionnement des équipements réalisés. Mais ce « keynésianisme » relève d’une « décision éminemment politique », précise-t-il. Sous-entendu : la décision de recourir massivement à l’argent de l’Etat, et qui a débouché sur d’immenses gaspillages de ressources, vient du président Abdelaziz Bouteflika. Le ministère des finances n’a fait que la traduire sur le terrain. Le ministre des Finances reconnait toutefois que cette politique n’a pas eu l’effet attendu. En théorie, les investissements publics massifs devaient progressivement être relayés par ceux assurés par les entreprises et les agents économiques.
Ce qui n’est pas le cas. Plus grave encore, l’économie algérienne est devenue largement dépendante de l’argent de l’Etat, dont un désengagement éventuel aurait des effets dévastateurs. Plus l’Etat injecte de l’argent, plus il est contraint d’en mettre davantage encore. Le constat établi par M. Djoudi lui-même est implacable. « En l’état actuel de notre économie, une réduction de nos dépenses d’équipement impacterait immédiatement et de manière négative la croissance, particulièrement dans les secteurs du bâtiment et des travaux publics, détruirait l’emploi et réduirait le pouvoir d’achat des citoyens », dit-il. Ce sont les propres mots de M. Djoudi, dans une interview remarquée diffusée par l’APS.
Un rôle très limité
Mais alors, si le ministère des finances ne définit ni la politique d’investissements, si celle des salaires, quel serait son rôle dans la gestion de l’économie? M. Djoudi se montre modeste. « Dans les notes régulières qu’il diffuse » et dans la présentation de la loi de finances, il souligne « la nécessité de conduire avec prudence la politique budgétaire ». Pas plus. M. Djoudi assure le service minimum. Aux autres de faire le reste. Car pour M. Djoudi, « le véritable enjeu pour la stimulation de la croissance se situe au niveau du financement de l’économie hors hydrocarbures ». Et sur ce terrain, « les banques jouent un rôle primordial en accompagnant les acteurs véritables de la croissance que sont les entreprises créatrices de richesse et d’emploi ». Quant à, l’inflation, elle constitue, certes, « une préoccupation constante du ministère des Finances », mais pas plus. « L’ordonnance relative à la Monnaie et au Crédit inscrit l’inflation comme objectif explicite de la politique monétaire que conduit la Banque d’Algérie », affirme M. Djoudi. Lui peut donc distribuer autant de salaires qu’il veut, sur « décision éminemment politique », en vue de « mettre en œuvre une politique de préservation du pouvoir d’achat des citoyens et des populations ». C’est ensuite à la Banque d’Algérie de se débrouiller pour que cela ne se traduise pas en inflation, ce qui n’empêche pas M. Djoudi d’inviter le système bancaire revenir « à un fonctionnement conforme aux normes universelles ». Cette conception assez curieuse de l’économie explique mieux l’attitude M. Djoudi. Elle montre clairement un homme préoccupé par la nécessité de marquer son territoire et de le défendre, sans se préoccuper du reste. Et notamment de l’absurdité d’une politique qui ne se préoccupe pas de la faiblesse de l’investissement étranger, de la faible rentabilité de l’argent investi, du fameux climat des affaires qui ne s’améliore pas, de l’instabilité législative, ni de la célèbre bureaucratie algérienne. On comprend alors mieux la facilité avec laquelle M. Djoudi a accepté de zapper une loi de finances complémentaires, longuement préparée, et pourquoi les finances de l’Etat algérien sont gérées de manière aussi approximative.