Liberté- La présidentielle algérienne terminée, Bouteflika réélu pour un quatrième mandat, qu’est-ce que cela vous inspire ?
Karim Amellal : Ça m’inspire une énorme tristesse, pour les algériens, pour l’Algérie. Les images du président votant dans un fauteuil roulant ont tourné en boucle et ont fait le tour du monde. Nous savions pourtant que le président était malade, qu’il avait du mal à parler. Mais là, cela sautait aux yeux et tournait en boucle sur toutes les télés. Nous sommes la risée du monde. L’Algérie est devenue une combinaison de la Russie brejnévienne et de la Corée du nord. J’ai de la peine aussi pour Bouteflika lui-même car en le voyant ainsi, je ne peux m’empêcher de penser qu’il est l’otage de cette situation.
– L’abstention a été au rendez-vous. Quelles sont les conséquences selon vous ?
Rappelons qu’il s’agit du taux d’abstention officiel et que le taux réel, de l’avis de nombreux spécialistes et observateurs, a dû être beaucoup plus bas. Ce taux de 51% est peut-être la seule concession du régime à la réalité ! Le fait est que, de toute façon, même avec un taux de participation de 51%, cela signifie qu’un Algérien sur 2 a été voté, soit 11 millions de personnes (sur 38,5 millions) d’habitants), et que le président a donc été élu par moins de la moitié du corps électoral. Même avec ce score très élevé, cela entame sa légitimité, si celle-ci avait encore besoin d’être encore entamée…
– Comment voyez-vous l’avenir politique algérien, après la réélection de Bouteflika?
Je suis à la fois pessimiste et optimiste. Pessimiste car, si l’on s’arrête à l’analyse de la situation politique, on serait tenté de dire, comme à la roulette : « rien ne va plus » ! Le champ politique est bloqué, l’opposition inexistante (du moins les partis d’opposition traditionnels), le président réélu à l’évidence peu à même de diriger le pays sans s’appuyer sur… on ne sait pas trop qui, la corruption gangrène chaque jour les rouages de l’administration… Je reste néanmoins optimiste, d’abord parce qu’il le faut bien, ensuite parce qu’il y a des raisons d’espérer. La jeunesse algérienne, qui forme les gros bataillons de ce pays, est merveilleuse, inventive, créative. Elle a soif de changement, de liberté, de bonheur. C’est elle la véritable force, le rouleau compresseur qui peut faire avancer les choses. Ensuite, l’une des grandes nouveautés de cette campagne électorale aura été la naissance, ou renaissance, de la société civile et son irruption dans le champ politique. La société civile, ce sont les syndicats, les enseignants, les étudiants, les médecins, les chômeurs qui se sont organisés, coalisés tout au long de ces derniers mois, indépendamment des partis, pour contester le statu quo. La société civile algérienne est bien vivante et elle aussi est à la fois une source et un levier de changement. Je crois que lorsque ces deux forces colossales qui sont à l’œuvre en Algérie, la jeunesse et la société civile, entreront en résonance l’une avec l’autre, il se passera quelque chose.
– Quel commentaire faites-vous sur le rôle de l’opposition algérienne?
Les partis d’opposition traditionnels sont démonétisés, inaudibles. La ligne politique la plus inaudible est sans doute celle du FFS dont le « ni, ni » est apparu complètement inexplicable et contreproductif. Je crois que les partis politiques d’opposition sont aussi face à une alternative implacable : soit ils participent au jeu politique, aux élections notamment, et ils perdent leur légitimité en tant que force politique d’opposition, soit ils refusent d’entrer dans le jeu et se marginalisent aux yeux de l’opinion. La contestation semble désormais provenir d’ailleurs, de la société civile, comme je l’ai dit, ou encore d’Internet et des réseaux sociaux qui jouent un rôle de plus en plus crucial en Algérie.
– Et le mouvement « BARAKAT »…
Ce mouvement est très intéressant. Il est né suite à la démonétisation des partis politiques traditionnels et du regain de force, depuis plusieurs mois, de nombreux courants de la société civile cherchant à exprimer une contestation de façon indépendante qui s’est cristallisée autour du 4ème mandat, symbole de la perpétuation du « système ». Les actions organisées un peu partout dans le pays, mais surtout à Alger – les « sit-in » – ont correspondu à une nouvelle forme d’expression politique, là encore en dehors des formes traditionnelles. « Barakat » fait aussi écho à d’autres mouvements de contestation issus de la société civile dans le monde, comme « occupy wall street», qui prennent acte de l’épuisement des partis et de leur incapacité à incarner et porter le changement. il faut cependant relativiser l’importance de Barakat. Même si c’est quelque chose de nouveau que cette campagne a révélé, Barakat ne parvient pas encore à mobiliser la population. Cela viendra peut-être.