Ce praticien, spécialiste en chirurgie maxillofaciale, est l’un des créateurs de l’ASTTUM. Très remonté contre les amendements de la Constitution ciblant les expatriés algériens, il livre ses impressions sur les motivations de cette démarche et ses conséquences sur la diaspora.
Liberté : La présence dans la nouvelle Constitution de dispositions qui excluent les expatriés algériens de l’accès à des responsabilités au sein de l’État a provoqué une vive réaction de la part de notre communauté à l’étranger. La comprenez-vous ?
Kada Nouri : Bien au-delà de la simple compréhension, je partage cette vive réaction car je me suis senti comme tous les autres humiliés. Je ne convoite bien évidemment aucun haut poste de responsabilité en Algérie et je reste persuadé que la grande majorité des expatriés, binationaux ou pas n’y ont jamais pensé. Je pense que c’est plus l’émoi qu’a généré cette résolution constitutionnelle qui explique la réaction vive à laquelle vous faites allusion.
Qu’avez-vous ressenti à titre personnel et en votre qualité de président d’association ?

À titre personnel, je le dis une fois encore, je me suis senti humilié car taxé d’être un faux citoyen, voire un traître. Le gouvernement algérien ignore à mon sens à quel point l’Algérie doit sa respectabilité aux comportements de son intelligentsia à l’étranger. Nous avons porté loin de chez nous le drapeau national sur nos visages et sur nos têtes. Le respect acquis par nos qualités humaines, nos compétences et notre savoir-faire a amené les autres peuples à voir l’Algérie autrement et positivement, et à se rendre compte qu’ils ne sont pas plus intelligents que nous.
En tant que président d’association, j’ai ressenti cet article constitutionnel comme un croche-pied à tout un élan que nous étions en train de mettre en place au service de notre pays en particulier. Il ne faut pas oublier que beaucoup de “cerveaux” ont été contraints de quitter l’Algérie à une période, et pour des raisons que vous n’êtes pas sans ignorer. Les fédérer et les remotiver pour mettre leur savoir-faire et leurs compétences au service de leur pays n’était pas chose aisée. Alors quand ces “cerveaux” se sont sentis déclassés au rang de faux citoyens, le doute a envahi leur esprit. C’est dommage même si cela reste
surmontable.
Quelles sont, selon vous, les motivations de cette réforme très contestée ?
Le marasme institutionnel et socioéconomique que connaît notre pays nous amène, en effet, à nous poser des questions. Les gouvernants actuels, conscients de leurs échecs, craignent-ils que des expatriés, de surcroît compétents et intègres, se proposent de gouverner à leur place ? Les États étrangers qui ont la mainmise sur l’eldorado algérien auraient-ils conseillé à nos gouvernants d’exclure les expatriés de toute future gouvernance pour barrer à l’Algérie toute possibilité de rebondir ?
D’aucuns pensent que cette forme de rejet va distendre davantage les liens entre les Algériens de l’étranger et leur pays d’origine. Partagez-vous cet avis ?
Les Algériens demeureront attachés viscéralement à leur pays. Rien ne peut les rendre indifférents à ce que l’Algérie traverse. Cependant, il est à craindre que cette démarche mine toute implication future si tant est qu’elle soit urgente et gâche l’apport de cette ressource humaine capitale représentée par les binationaux.
Cette réforme a-t-elle un impact sur les engagements et le travail de votre association ?
J’ose dire aucun. Car nous essayons de servir des frères et des sœurs, un peuple, une patrie auxquels nous devons beaucoup et envers lesquels nous avons une dette. Et là, si vous le permettez, je pourrais faire une extrapolation sur mon cas personnel. J’ai quitté mon pays sans aucun moyen comme peu d’autres, à un moment où il fallait aller chercher une discipline et une compétence qui n’existaient pas à l’époque en Algérie.
Aujourd’hui, l’Algérie a plus que jamais besoin de nous. Par ailleurs, j’ai des collègues qui ont quitté l’Algérie, meurtris pendant la décennie rouge, et d’autres bien après et cela continue car ils ont compris que le tunnel de l’espoir se rétrécit de plus en plus pour notre peuple et notre pays. Ceux-là, on les dissuade de ne pas rompre les liens, mais rien n’est garanti.
Existe-t-il, d’après vous, un moyen pour contrer l’exclusion constitutionnelle ou la faire annuler ?
Bien évidemment. Il faut rester optimiste. Les Constitutions ne sont pas éternelles. Le jour viendra où celle qui nous concerne aujourd’hui sera amendée. L’homme inspiré saura la revisiter le moment venu. Malheureusement, beaucoup de temps risque de s’écouler d’ici à là et affaiblir davantage le capital confiance des Algeriens de l’étranger.
En amendant la Constitution, l’État semble faire marche arrière sur sa politique de captation des cadres algériens expatriés. Pourquoi ?
L’État algérien a toujours été conseillé par des experts étrangers pour mener sa propre politique (c’est une faiblesse des pays du tiersmonde). Ces conseils servent à garder la mainmise de certains États sur les richesses de l’Algérie et à proscrire toutes les initiatives contraires à ses intérêts, qui pourraient venir de l’intelligentsia algérienne à l’étranger. L’autre hypothèse est beaucoup plus simple. Elle consiste à pérenniser le système et à le renouveler indéfiniment à travers des pratiques comme le népotisme. Enfin, il y a ce ressentiment qui est nourri à l’égard des Algériens de l’étranger. Ils sont rejetés, parfois honnis. L’histoire de notre nation regorge d’histoires d’hommes qui ont subi ce sort.
La révision de la Constitution algérienne est intervenue alors qu’un débat déchirait la France sur la déchéance de la nationalité, ajoutant au désarroi et à la déception des binationaux. Quel est votre sentiment ?
Je n’ai toujours pas compris pourquoi tout le monde essaye de faire ce rapprochement. Cela n’a aucun sens. Cette coïncidence a surtout profité aux médias pour maintenir leur exercice. N’importe quelle nation dispose de son droit de décréter juridiquement ou constitutionnellement du régime à réserver à un traître, un assassin, un pédophile ou un terroriste que ce dernier soit citoyen uni, bi ou tri national ou pas. Pour moi, les choses sont claires. La France traite du fléau du terrorisme alors que l’Algérie se joue de son intelligentsia à l’étranger (ses enfants) et de son avenir.