Kabylie : La population prise entre peur et violence

Kabylie : La population prise entre peur et violence

Il y a quelques jours, les citoyens de Tirmitine organisaient un grand rassemblement devant le tribunal de la ville de Tizi Ouzou.

Au même moment, au niveau de la wilaya, les transporteurs de marchandises fermaient le siège de la direction du transport. Ceci en une seule journée.

Chaque semaine, une localité de la wilaya défraie la chronique. Des blocages de routes, des fermetures de mairies et de daïras, des émeutes et pour boucler la boucle, les kidnappings et les rapts qui se font de plus en plus nombreux.

Des situations conflictuelles et explosives s’accumulent de jour en jour. Les citoyens, occupés par leurs problèmes d’eau, de routes, d’assainissement et autres, se voient acculés également par l’insécurité semée par des groupes de malfaiteurs.

Malgré les efforts de certains responsables, il reste que les populations se sentent vraiment abandonnées.

La preuve est donnée par les actions successives de colère. N’est-ce pas à cause du laisser-aller des autorités et de l’absence de communication que les citoyens recourent à des actes violents pour se faire entendre ?

Les jeunes ne sont pas les seuls responsables dans ces actes. Bien au contraire, l’attitude méprisante des responsables locaux et des élus à leur égard y est pour beaucoup.

Il est même à dire que ce mode de gestion engendre un dangereux cumul de situations conflictuelles et explosives.

Il réunit incontestablement les conditions pour une explosion généralisée aux conséquences néfastes pour la sécurité de la région et du pays.

A cet effet, beaucoup d’exemples peuvent être cités pour mettre à nu la responsabilité des élus et responsables locaux bien que cela ne justifie aucunement les actes de dégradations de biens commis par les jeunes.

L’absence de dialogue est désastreuse et est pratiquement à l’origine de tous les conflits. Lors d’une récente visite ministérielle, le wali avait insisté sur la nécessité que la population sache que leur wilaya bénéficie d’un grand programme de développement s’échelonnant jusqu’à l’horizon 2013.

Mais, existe-t-il au niveau des communes, tous près des citoyens, des voix et des personnes capables de transmettre ce message ?

La solution du «Tag aâla man tag»

Il y a quelques jours dix-sept citoyens ont comparu devant le juge près le tribunal correctionnel de la ville de Tizi Ouzou.

Le principal grief retenu contre eux est la destruction d’un bien de l’Etat. Les accusés sont des jeunes du village Aït Arif de la commune de Tirmitine.

Lors de violentes émeutes, ils ont mis le feu au bâtiment de la mairie brûlant toutes les archives.

A l’origine de cette action de colère, un mauvais choix d’assiette pour un nouveau lycée dans leur commune.

Cet acte communément jugé répréhensible n’est pas venu de façon inattendue. Bien au contraire, un conflit entre le village d’Aït Arif et l’APC couvait depuis des années autour du choix de l’assiette pour la construction d’un lycée.

En effet, tandis que les autorités locales ont élu le village d’Aït Khelifa à l’autre bout de la commune de Tirmitine, les villageois à Aït Arif demandaient la construction de l’établissement dans un lieu qui arrange les deux localités.

Des lettres ont été adressées aux services concernés durant deux années. Les doléances sont restées lettre morte.

Le mépris en question a poussé les citoyens à fermer le siège de la daïra de Draâ Ben Khedda, il y a un mois. Encore le silence.

Les responsables sournoisement, lancent les travaux dans le lieu qu’ils ont choisi ignorant les demandes des citoyens. Ce jeudi, ces villageois, excédés, ont violemment manifesté leur colère.

Mais, ne nous trompons pas. Tandis que l’action a été dirigée contre le bâtiment de la mairie, la colère, elle, est causée par l’attitude méprisante des élus.

A Akaouj, il n’y a pas plus d’un mois, les jeunes ont saccagé une sablière établie sur l’oued Sébaou.

Cet acte est venu après qu’un jeune de ce grand village ait trouvé la mort noyé dans une nappe d’eau. Là aussi, les villageois ne sont pas passés à l’acte brusquement. La noyade n’a été qu’un élément déclencheur d’une colère longtemps contenue par les riverains de cet oued.

Les responsables du comité du village exhiberont des documents prouvant qu’ils avaient à plusieurs reprises alerté les services concernés sur leur refus de voir cette sablière exploitée.

Là, aussi, l’incident a failli tourner au drame loin des élus qui ne se sont pas manifestés. La petite ville de Yakouren n’a pas, elle aussi, passé un été calme.

Depuis une semaine, des citoyens du village Aït Aïssi refoulent les camions de la voirie venant de Azazga.

Ils ont violemment manifesté leur refus de voir la fontaine fraîche située près de leur village devenir un dépotoir communal.

Une situation conflictuelle où ce bras de fer continue encore d’opposer ces villageois aux responsables de la daïra de Azazga et des élus de la même commune.

Dans l’autre versant de la wilaya, à Tadmaït, les évènements du mois de juillet ont fait des morts.

L’on se rappelle que de violentes émeutes ont éclaté après que des jeunes ont surpris des gardes communaux en train de mettre le feu à des oliveraies.

Tabassés, ils n’ont eu la vie sauve que grâce la sagesse des populations qui ont fini par les laisser entre les mains des services de sécurité.

Des journées de grève et des émeutes ont éclaté dans la commune et ont duré presque une quinzaine de jours.

Notons beaucoup d’événements relatifs aux fermetures des routes et des mairies comme à Oued Aïssi provoquant des embouteillages énormes aux entrées de la ville de Tizi Ouzou.

L’insécurité, bête noire des investisseurs

Contrairement aux élus qui semblent loin des populations, les malfaiteurs sont plus que jamais tout près. La peur qui a disparu pendant un laps de temps reprend de plus belle.

A côté des groupes terroristes qui activent dans la région, les bandes de malfaiteurs ont trouvé là une aubaine pour sévir.

Il y a quelques jours, un jeune à la trentaine a échappé à une tentative de kidnapping dans son village à Aït Toudert dans la daïra des Ouacifs.

L’aviculteur, sortant de son domicile après la rupture du jeûne, n’a eu la vie sauve que grâce à ses cris qui ont alerté les villageois.

Les trois individus armés ont dû fuir. A Aït Khelil, à Beni Douala, quelques jours auparavant, le 25 août, une autre victime n’a pas eu la même chance.

Un jeune de 30 ans a été kidnappé par un groupe d’individus armés jusqu’aux dents alors qu’il circulait à bord de son véhicule de marque Nissan.

Quelques jours plus tard, la victime a pu joindre ses parents et les informer que les ravisseurs demandaient une rançon de 10 milliards de centimes. Aucune nouvelle depuis.

Après les émeutes de Tadmaït, le mois de juillet, quatre jeunes de la même localité ont été retrouvés morts, criblés de balles alors qu’ils revenaient du marché.

En 2008, une vingtaine de kidnappings ont eu lieu dans différentes communes de la wilaya. Aux Ouacifs et à Boghni, les citoyens ont organisé des rassemblements exigeant la libération des victimes montrant ainsi qu’ils ne comptent plus sur la présence des services de sécurité.

La wilaya de Tizi Ouzou a battu tous les records en matière de rapts et de kidnappings. La dégradation de la situation sécuritaire ne s’arrête pas là.

Les hold-up des banques ont refait surface. Le dernier acte de ce genre remonte juste à quelques semaines quand un groupe de malfaiteurs s’est attaqué à l’agence Badr située au centre-ville des Ouadhias.

La menace sur les personnes et les biens n’a jamais été aussi grande que lors de ces deux dernières années.

Cela sans parler des vols de véhicules qui ont diminué mais laissant place à une insécurité gagnant les villes et les milieux urbains.

Il n’y a pas que cela comme facteur d’insécurité. L’absence de contrôle des marchés a causé plus d’une centaine de cas d’intoxications alimentaires.

La localité de Sid Ali Moussa vient d’enterrer une fillette de 14 ans pour intoxication vraisemblablement au casher tandis que les autres victimes ont quitté l’hôpital.

Ainsi, ces agressions et ces actions de colère deviennent quotidiennes. La lecture la plus plausible est que ces conditions conflictuelles sont dangereuses pour la stabilité de la région non pas parce qu’elles surviennent mais plutôt parce qu’elles durent et restent non traitées.

La persistance de cette tension engendre par conséquent un certain fatalisme chez la population quant à la volonté de l’Etat représenté, hélas, par les élus et responsables locaux de garantir sa sécurité et ses biens.

La récurrence de ces événements conduira inéluctablement les citoyens, et les exemples sont légion, à vouloir se défendre eux-mêmes. Mais, alors, où sont ces élus que ces citoyens ont élus ?

Kamel BOUDJADI