Dans une suite du Claridge, à Londres, est mis sous scellé un très beau spécimen de l’histoire de l’art cinématographique contemporain. Cote officielle : quinze millions de dollars par prestation. Titre de gloire : « Homme le plus sexy de l’année », classement 2004, dans le magazine People. Cela explique la présence d’une équipe de bodyguards, d’attachés de presse de Dior, dont il est l’égérie parfum, et de sa publiciste personnelle, sorte de nanny permanentée au sourire givrant, réminiscence en tailleur strict de Margaret Thatcher. On entre comme par effraction.
Lové dans un fauteuil cosy en lin rouille, le gentleman starifié se lève, esquisse deux ou trois phrases de bienvenue d’une exquise courtoisie. La voix, baryton basse, est claire et tonique, l’œil vert craquant, le sourire franc, la poignée de main athlétique. Un sans-faute. L’examen de look se révèle tout aussi favorable : Jude porte un pull en V de cachemire gris, un blouson de cuir vintage étriqué façon Bob Dylan et un chèche anthracite qui devrait faire jurisprudence en matière de hype.
On l’entraînerait bien dans un coffee bar de Portobello, car le décor suranné du Claridge ne lui va pas. « Possible, dit-il en décrochant un sourire à faire fondre la banquise. J’aime le bar Wagamama, ses noodles et son jus de fruits à la mangue. Mais dans un fast-food, vous ne me verrez jamais. Mon fils Rafferty, qui a 12 ans, m’a récemment rappelé cette anecdote : tout petit, je lui ai fait croire que le grand clown de McDonald’s était, en réalité, un diable déguisé et qu’il dévorait ceux qui entraient. Mensonge terrifiant mais efficace : mes enfants ne veulent plus, depuis, entendre parler de hamburgers. »
Trente-cinq ans, un CV en or massif où défilent Steven Spielberg, Martin Scorsese, Clint Eastwood, Anthony Minghella, Wong Kar-wei ou Terry Gilliam, l’homme qui offre des baisers aux myrtilles (My Blueberry Nights) et des leçons de désir tantrique (Closer) à ses partenaires possède un charisme déstabilisant : entre le bad boy et le jeune lord. Le voyou s’exprime dans des mimiques de lutin, œil malicieux, propos caustiques, et s’efface brusquement, rappelé à l’ordre par une gouvernante imaginaire lui dictant plus de self-control et un débit moins trash.
C’est donc avec une virilité toute british qu’il se saisit de la théière en porcelaine Wedgwood et se verse des litres d’Earl Grey, séquence incongrue : on l’imagine carburant à la Guinness frappée. Ambivalent ? Le moyen de faire autrement quand on a été baptisé Jude, prénom pop, en hommage aux Beatles, et qu’on porte le nom Law (en V.O. : la loi). Rock attitude et rigueur de juriste.
L’attrayant phénomène d’un mètre quatre-vingts se lève et propose une tasse de son breuvage. Il approche. Les fragrances du cuir de sa veste mêlées au gingembre, épice secrète du parfum Dior Homme Sport, s’évaporent, aphrodisiaque alchimie. En reniflant discrètement, uniquement pour les besoins de l’enquête, on réalise que ce corps souple et musclé sécrète en outre ses propres phéromones, une essence non commercialisable qu’on pourrait intituler Magic Jude.
Deux infusions plus tard, la séduction, sujet capital, est abordée en profondeur et sans chichis : « Oh ! dit-il, soudain égrillard. Mais c’est le curry dans le poulet, cette histoire. C’est ce qui nous rend vivants, donne un sens à l’absurdité de l’existence, chatouille le cerveau et remue les sens. Sans elle, je suis un homme mort. »
Parfois, cette seconde nature lui vaut quelques déboires sur tabloïds. Marié quinze ans à l’actrice Sadie Frost, père de Rafferty, 12 ans, Iris, 8 ans, et Rudy, 6 ans, désormais divorcé et partageant la garde des enfants, Jude fut lié un temps à Sienna Miller. Las ! Pendant sa liaison, il s’entiche de la baby-sitter de ses propres enfants. Contre-attaque de la presse locale qui l’a transformé en un mois en obsédé sexuel ! C’est le syndrome Hugh Grant.
L’homme à femmes en a gardé des séquelles, se méfiant désormais des paparazzis et des fans ordinaires, préférant aux rues de Londres sa petite maison de ville avec jardinet : « Je déteste qu’on vienne me déranger quand je suis avec mes enfants. En plus, eux se moquent de moi impitoyablement : « Alors, célèbre papa, tu vas encore signer un autographe aujourd’hui ? » »
Luttant bravement contre cette claustrophobie menaçante, il continue sa pratique éclairée du shopping : « J’aime aller chez Browns, à Londres, parce qu’il propose des looks complets, des chemises sportswear Undercover, des pantalons Narciso Rodriguez. A New York, j’achète mes vestes à l’Atelier, et à Paris, chez Colette. »
Rationnel, il prétend qu’on ne l’y dérange pas : « Évidemment, si vous entrez avec des lunettes de soleil, flanqué de deux gardes du corps, une limousine garée dans la rue, vous créez l’émeute. Mais moi, j’y vais en sifflotant et les mains dans les poches. »
Cool, rusé, drôle._ What else?_ Coquet aussi. Oscillant entre deux registres apparemment incompatibles : l’übersexuel et le rétrosexuel. « Il faut savoir que Dior et toutes les autres marques m’offrent des tas de smokings, des chemises, des redingotes ; un enfant gâté, voilà ce que je suis. J’ai eu ma période séduction ultra-lookée, mais en avançant, je réalise que nous, les acteurs, passons notre temps à annexer le costume de nos personnages, à entrer dans la peau des autres. Nous sommes « habillés » quand nous tournons. Du coup, le bonheur consiste à se « déshabiller » un peu. »
Oh my God, qu’entend-il par là ? Va-t-il exécuter, scoop ultime, un strip-tease au débotté dans cette suite fréquentée jadis par sir Winston Churchill ? Il poursuit : « Lorsque je vais à une première, je sors pour être vu. Mes tenues sont décryptées au bouton de manchette près le lendemain par la presse people, alors je joue le jeu, je me sape. » Ouf ! c’était une image. « Mais quand je suis avec des amis et de préférence au soleil, ma tenue favorite, c’est un veston décontract, un T-shirt et un bermuda, nus pieds… »
Ses amis ont un je-ne-sais-quoi de sulfureux, ce sont des êtres glamour au sex-appeal indiscutable. Il s’agit de Sean Penn, dont il dit avec humour : « Sean est intense et petit. Tout petit mais très intense. » Ou d’ »(ext)Eva Mendes »://www.evene.fr/celebre/biographie/eva-mendes-27770.php, la bombe atomique aux jambes interminables : « Eva est folle d’un film français culte de Jacques Deray : la Piscine; elle voudrait interpréter Romy Schneider dans un remake. » Lui, qui a déjà campé un Maurice Ronet chavirant dans la version de Plein Soleil, filmée par Anthony Minghella, est-il partant pour cette « Piscine 2 » ? « Ah, mais cette fois, je veux absolument être Alène Délone ! » Cri du cœur d’un cinéphile schizophrène.
Sa mère enseignante l’a formé, petit, au cinéma d’art et d’essai ; son père, proviseur, le gavait de pop-corn et l’encanaillait chez James Bond et Rambo. Truffaut, Blier, Fellini, Visconti, Godard : Law a d’excellentes références et un French modèle : « Depardiou ! Il m’a donné envie de faire ce métier quand je l’ai vu, rebelle absolu dans les Valseuses, mon premier choc cinématographique. » Il est intarissable. Veut donner son avis sur le retour du machisme : « J’y crois, je suis old school. Nous, les mecs, nous ne devons pas céder à la douceur, à la mièvrerie, le côté nouveau père en vogue aujourd’hui. En plus, les femmes non plus ne nous veulent pas comme ça. Tout le monde est paumé, la confusion des rôles doit cesser ! »
Il enchaîne sur son rôle d’ambassadeur humanitaire dans le mouvement Peace Only. En Afghanistan, il multiplie les actions et les appels au retrait. Sur les écrans, on l’attend dans Repossession Mambo, de Miguel Sapochnik. Mais ce qui le fait vibrer, aujourd’hui, c’est son retour sur les planches. Sous la direction du metteur en scène Michael Grandage, il va jouer Hamlet(1), en mai, à Londres. « Je relis tout Christopher Marlowe et les Essais de Montaigne parce que Shakespeare s’est inspiré de ce monument littéraire pour créer la pièce. » Le mélancolique prince de Danemark avait-il l’âge de Jude ? Il soupire, médite et lâche, l’œil pétillant : That is the question.