JSK : Belhout : «C’est Hannachi qui, le premier, a parlé de moi, alors que j’entraînais en Belgique»

JSK : Belhout : «C’est Hannachi qui,  le premier, a parlé de moi, alors que j’entraînais en Belgique»

La veille du match retour face à Tevragh Zeina, nous avons sollicité l’entraîneur de la JSK, Rachid Belhout, pour une longue interview, afin de découvrir davantage cet Algéro-Belge qui a passé toute sa vie entre la France, la Belgique et le Luxemburg, avant de revenir dans son pays natal pour prendre en main les plus grands clubs du pays.

Rachid Belhout, très hospitalier, a accepté d’ouvrir son cœur pour la première fois en nous révélant des secrets jamais dévoilés dans les médias. C’est dans le salon de l’hôtel Emira Palace que nous avons passé ensemble un peu plus de 2 heures qui nous ont permis de découvrir Belhout l’homme plus qu’un simple entraîneur de football. Appréciez.

Tout d’abord, on vous remercie d’avoir accepté de nous accorder cet entretien ?

Tout le plaisir est pour moi.

Vous êtes né à Salah Bey, à Sétif. Vous êtes resté là-bas jusqu’à l’âge de 12 ans. Parlez-nous un peu de votre enfance ?

Effectivement, je suis né à Salah Bey et à l’âge de 4 ans, on est allés à Sétif. C’était en 1948 jusqu’en 1955. Nous avons habité à Bon marché durant 7 ans. Mon père, qui était convoyeur en faisant la navette entre Salah Bey et Sétif, a vécu l’enfer lors des événements du 8-Mai-1945. C’est là où mon oncle, qui vivait en France, l’a contacté.

Quand avez-vous quitté l’Algérie ?

Mon oncle avait appelé mon père en 1955, en lui proposant un travail en France. Se trouvant dans une situation difficile, il a décidé de quitter le pays pour aller subvenir aux besoins de la famille. On est allés vivre à cette époque à Mont-Midi, dans la Meuse (à 7 kilomètres de Sedan, ndlr).

Comment s’est passée votre scolarité à l’époque ?

Le plus normalement du monde. J’allais à l’école avec mes cousins et mon père avait commencé le travail. Mais ce qu’il faut savoir, c’est qu’on ne s’est jamais sentis comme des Français. On savait d’où on venait. D’ailleurs, je vais vous dire pour qui j’ai travaillé lorsque j’étais au collège et c’est la première fois que cela va être écrit dans les journaux.

Allez-y ?

Lorsque j’avais 14 ans, mes deux oncles et l’un de leurs fils étaient chefs de cellule. C’était des chefs qui ramassaient de l’argent pour le FLN. Et c’est moi qui établissais les fiches de chaque personne qui versait de l’argent, vu que les gens ne savaient ni lire ni écrire. Et cela a duré pendant 3 ans.

Quand

avez-vous débuté votre carrière de footballeur ?

C’est au FC Mont-Midi. Mais à 17 ans, j’ai dû quitter ma ville, car on nous appelait les Fellagas. J’ai vendu de la ferraille, du cuivre et des peaux de lapin pour pouvoir financer mes études et suivre ma formation de footballeur à Langoëlan. Et c’est là où je me suis épanoui. J’étais le meilleur buteur de l’équipe. Je suis resté 3 ans là-bas. Par la suite, j’ai suivi ma formation à Dijon, puis au Havre.

Comment avez-vous atterri en Belgique ?

C’est grâce à ma première épouse, une Belge, que j’ai rencontrée en France. Et c’est là que je suis allé faire presque toute ma carrière au club du RE Virton.

Et votre carrière d’entraîneur, quand a-t-elle a débuté ?

C’était en 1976, lorsque j’ai coaché, pour la première fois, l’équipe juniors de Virton face à Anderlecht, en demi-finale de la Coupe de Belgique. On a perdu 2 à 1. Mes joueurs avaient très bien joué. Et c’est là que les dirigeants m’ont proposé l’idée d’entraîner l’équipe. C’est alors que j’ai suivi une formation d’entraîneur à Bruxelles.

Comment vous est-elle venue l’idée de revenir travailler en Algérie ?

J’ai toujours eu cette envie de revenir au pays et mettre mes compétences au service du pays. Ça me tenait à coeur et ça n’a pas été une surprise pour moi de revenir.

Qui était derrière votre premier contact avant de prendre en main l’ESS ?

Lorsque j’étais à Virton, j’étais allé voir la JSK à Bruxelles pour leur proposer de venir jouer un match contre mon équipe qui jouait en D2. Nous avons fait un bon match. Et c’est là que le président Hannachi a parlé de moi ici en Algérie. C’est le premier à le faire. Par la suite, j’ai entendu dire qu’une autre personne d’Alger a parlé de moi à Serrar et on m’a contacté. C’est en quelque sorte grâce à la JSK.

On dit que Belhout rêvait d’entraîner l’ESS et la JSK, est-il vrai ?

Effectivement, je voulais tant coacher ces deux grands clubs, même si je ne manquais de rien en Belgique. J’avais la possibilité d’entraîner un club de D1 au Luxembourg. J’étais enseignant au lycée. Mais je voulais revenir au pays, car j’ai toujours été séduit par le jeu qui se pratiquait en Algérie. Lorsque j’ai eu l’occasion de revenir, je ne l’ai pas ratée ; même si j’avais quelques appréhensions.

Soyez plus explicite…

Au fond de moi, j’ai toujours gardé cette déception le jour où j’étais venu à la fédération et qu’on ne m’avait guère considéré. C’était lors des années 86-87. A cette époque, j’étais entraîneur en Belgique et on m’avait dit ce jour-là qu’on avait besoin de technicien, mais il n’y a jamais eu de suite.

Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées à vos débuts en Algérie ?

Il y a, en premier lieu, la nature du terrain qui est en tartan. En second lieu, il y avait un manque flagrant de moyens pédagogiques. Il a fallu tout reconstruire.

Racontez-nous votre passage à l’ESS ?

Lorsque je suis arrivé à l’ESS, je ne connaissais Serrar que de nom. Le président m’a dit qu’il voulait bâtir une équipe d’avenir. Par la suite, on a dit que Serrar a formé une équipe nationale, mais c’était loin d’être le cas. J’avais en main des joueurs inconnus, comme Ziaya, Maïza, Benchaïra, Hadj Aïssa, Delhoum puis Djabou. Ces joueurs avaient vraiment du mal à se fondre dans le groupe.

Face à une jeune équipe, comment avez-vous procédé à cette époque pour faire de l’ESS ce qu’elle est devenue aujourd’hui ?

J’ai constaté qu’il y avait des joueurs de talent dans cette équipe que j’ai renforcée par des joueurs que j’ai choisis moi-même. Les joueurs ont retrouvé la joie de jouer. J’ai mis chaque élément dans son vrai poste, par exemple Maïza en libéro. Hadj Aïssa aussi que j’ai découvert à l’état brut. On a réussi à former un bon groupe et c’est ainsi qu’il y a eu une communion avec le public. Nous nous sommes classés en 4e position qualificative à la Coupe arabe. Et c’est à partir de là que l’aventure a commencé.

Que s’est-il passé par la suite ?

J’avais tiré la sonnette d’alarme à un moment donné, car il y a avait beaucoup de choses qui marchaient de travers. Personne ne m’a pris au sérieux, jusqu’au jour où nous sommes tombés dans une période creuse. L’équipe s’est disloquée. Ce fut alors le déclin. C’est devenu difficile pour moi. Mais il y a des choses que je ne peux pas dire, car toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire. Mais il viendra le jour où je les dirai. Je préfère me souvenir que des bons moments passés à Sétif. Le reste, je le garde pour moi.

Avez-vous le sentiment qu’on a essayé de nuire à votre personne ?

Oui, du moment que des gens ont dit que je n’avais pas de diplôme, alors que c’est complètement faux. On a dit aussi que j’étais un buveur, alors que je n’ai jamais pris une goutte d’alcool. Je tiens à dire que je ne mange pas de porc. D’ailleurs, je suis allé deux fois à la Omra et je fais le Ramadhan, Dieu en est témoin. Je suis musulman et mes parents étaient pratiquants. Ce n’est pas parce que je suis belge que je vais renier ma religion.

Quel est votre secret avec le public de l’ESS qui vous a toujours soutenu ?

Sétif, c’est chez moi. Je me suis toujours bien senti là-bas. Ça me faisait chaud au cœur d’entendre dans les tribunes «Allahou Akbar, Rachid Belhout». Mais je tiens à dire que j’ai gardé de bonnes relations avec le public. Que ce soit à l’USMA, l’ASO, l’USMAn ou au MCEE.

On dit que votre départ d’Annaba était lié à un litige avec Kouadri. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

A l’USMAn, il y avait une grande équipe bâtie par Menadi. Et mon départ n’était pas lié à un problème avec Kouadri, c’est complètement faux. Il y avait une personne, que je ne citerai pas, qui a tout fait pour me chambouler l’équipe. J’ai toujours eu de bonnes relations avec Menadi, Kouadri et son fils.

Des regrets ?

Non, car ma devise est de vivre sa vie avant de vivre sa mort car on est tous passagers et nul n’est éternel.

Il n’y a pas si longtemps, Bourahli vous a critiqué. Quelle a été votre réaction par rapport à cela ?

Oui, on m’a rapporté ce qu’a dit Bourahli sur vos colonnes. Je dirais avant toute chose que Dieu nous a créés avec deux oreilles et une bouche. C’est pour parler moins et entendre plus. Il y a des gens qui ne font que s’écouter eux-mêmes. Je n’ai à critiquer ni Bourahli ni qui que ce soit. Maintenant, si M. Bourahli décide de venir me parler, il faudra qu’il vienne avec un visage découvert et qu’il le fasse devant tout le monde, à la télé ou en présence de la presse écrite.

Le mettez-vous au défi ?

Oui. S’il veut me critiquer, qu’il vienne le faire en face. Je vais dire une chose à son sujet : pour les gens qui ne le savent pas, Bourahli me tenait par l’épaule et me disait : «Cheikh, t’es un homme et je t’aime bien». De ce côté-là, je n’ai peur de personne. Si quelqu’un veut dire des choses de moi, qu’il le fasse en face. Je n’ai pas apprécié aussi la sortie médiatique de Zeghdoud.

Justement, comment avez-vous réagi à sa déclaration ?

Zeghdoud est un joueur que l’USMA ne voulait pas reprendre à mon époque. Heureusement que je suis arrivé. J’ai alors tout fait pour qu’on le reprenne. Je ne le cache pas, il m’a beaucoup aidé, Dziri et Aribi également. Mais le fait qu’il dise que les dirigeants m’ont interdit de le faire jouer en finale de Coupe d’Algérie, c’est complètement faux. Aucun dirigeant ne s’immisçait dans mon travail, pas même le président Alik. J’avais choisi une tactique, voilà tout.

Des regrets pour cette finale ratée ?

Non, vu que nous étions amoindris. Dziri venait d’être vendu au Qatar. Boussefiane était blessé, Metref et Hanister revenaient tout juste de blessure et Moncharé était suspendu. La moitié de l’équipe était sur le banc. Je crois que Allik a fait une erreur en ne me reprenant pas après la finale, alors que je n’avais perdu aucun match de championnat. L’USMA était en 13e position et nous avons terminé 4es et atteint la finale de la Coupe d’Algérie. J’étais venu pour débuter mon stage, on m’a dit que je n’étais plus l’entraîneur. Mais je n’ai pas gardé rancune envers  Allik qui s’est toujours montré correct avec moi.

A la fin de la finale de la Coupe d’Algérie, qu’avez-vous dit au président de la République, M. Abdelaziz Bouteflika ?

Il y a des personnes qui pensaient que j’ai parlé de Serrar ou de quelqu’un d’autre, alors que c’est compétemment faux. J’ai dit à M. Bouteflika ceci : «Monsieur le président, aidez à faire de l’Algérie une grande nation de football et faites en sorte que l’on reconnaisse les mérites de tous ceux qui ont accepté de servir leur pays.»

Parlez-nous de votre réussite en Tunisie avec l’Olympique de Béja avec lequel vous avez remporté la Coupe de Tunisie ?

Je garde d’excellents souvenirs de mon passage en Tunisie où j’ai remporté la coupe, alors que Benchikha a décroché le championnat. C’était une fierté pour nous qui avons revalorisé l’entraîneur algérien.

En 2004, le sélectionneur Wasseige vous a sollicité pour l’aider dans sa mission. Qu’en est-il au juste ?

Effectivement, je lui ai donné un coup de main en lui envoyant un tableau concernant les joueurs susceptibles de jouer en Equipe nationale d’Algérie (voir tableau, ndlr). Il ne connaissait pas très bien les joueurs algériens, contrairement à moi. J’ai élaboré une liste des joueurs les plus en forme du moment avec l’aide de Kamel et Mourad Boukellal.

Après toute cette longue carrière, quel est votre objectif avec la JSK à présent ?

Avant toute chose, lorsqu’on dit JSK, c’est quelque chose qui résonne. Lorsque je suis venu, j’étais déterminé à apporter ma touche à ce prestigieux club. J’ai constaté, lorsque j’ai pris en main l’équipe, que le groupe était en pleine reconstruction et je pense que le président Hannachi le sait parfaitement bien. Il y a des jeunes qui savent jouer au football. Il faut maintenant que la JSK recrute les joueurs qu’il faut et là où il faut.

Ne pensez-vous pas que les contrats d’une saison nuisent à la stabilité du club ?

Il est vrai que ces contrats d’une saison ne doivent plus exister. La fédération doit mettre en place une nouvelle réglementation, pour imposer aux joueurs des contrats de 2 à 3 ans au minimum.

Un mot sur la sélection A’ qui est composée principalement de joueurs que vous avez lancés vous-même à l’ESS ?

Je ressens avant toute chose une grande fierté. Mais il y a aussi le revers de la médaille, car l’ESS éprouve beaucoup de difficultés, les joueurs sont fatigués. Ils ont du mal à retrouver leur stabilité dans leur club. Faut pas aussi omettre de dire que le joueur algérien est très fragile sur le plan mental.

Que pensez-vous de l’EN A qui, après sa participation au Mondial, n’a pas retrouvé le niveau qui était le sien ?

En tant que supporters, nous sommes contents que l’Algérie ait battu le Maroc. Mais en tant que techniciens, il faut voir les choses autrement. Je trouve qu’il est anormal que pendant 90’, on n’arrive pas à construire du jeu. Le fait que notre Equipe nationale n’ait pas réussi à conserver le ballon m’a vraiment déplu. J’espère juste que cette victoire permettra aux joueurs de ne plus avoir peur de jouer au football, car je pense que cet Algérie-Maroc était le match de la peur.

A votre avis, que manque-t-il à la sélection nationale ?

L’EN a besoin d’un meneur de jeu et d’un meneur d’hommes sur le terrain, c’est indéniable.

Pensez-vous que Benchikha atteindra ses objectifs avec l’EN ?

C’est tout le mal que je lui souhaite. Je n’ai pas eu le temps de l’appeler après le match face au Maroc. Je suis content pour lui, car il était sous pression. Après la République centrafricaine, on n’arrêtait pas de parler d’un technicien étranger. Je lui souhaite de se qualifier en Coupe d’Afrique, car il le mérite. L’Algérien n’est pas moins intelligent que les autres. Je suis pour un entraîneur algérien et il y a des compétences au pays.

La finale ratée en tant qu’entraîneur avec l’USMA est-elle toujours en mémoire ?

Oui. C’est vraiment dommage car nous avions raté beaucoup d’occasions. Je souhaite la remporter cette fois avec la JSK.

Ecoutez-vous la musique kabyle ?

Oui, j’ai des CD de la musique kabyle à la maison. Mais je suis aussi fan de la musique chaouie et oranaise. J’aime bien aussi la musique africaine. Lorsque j’ai l’occasion de me rendre en Afrique, je ramène toujours un CD souvenir. Pour votre information, j’ai eu l’occasion de jouer de la musique en Tanzanie, au Soudan et au Mali.

Connaissez-vous Lounès Matoub ?

Bien évidemment. C’est une véritable légende de la Kabylie. Même si je ne comprends pas les paroles, j’aime bien sa musique.

Votre meilleur souvenir ?

Ma récompense comme entraîneur de l’année 2006. Cela m’a donné le sentiment d’avoir servi mon pays.

Le plus mauvais ?

C’est le nombre de fois où j’ai raté de près des titres avec l’ensemble des formations que j’ai prises en main.

Votre principal trait de caractère ?

L’amitié.

Votre défaut majeur ?

Enniya (naïveté, ndlr)

On vous le dit souvent ?

Tout le temps.

Votre devise dans la vie ?

Quand on renonce à être le meilleur, on cesse d’être bon.

Combien de frères et sœurs ?

11 frères et sœurs et 3 demi-frères et 1 demi-sœur.

Nombre d’enfant ?

2.

Votre plat préféré ?

Le couscous, comme tout Algérien (sourire)

La dernière dispute ?

C’est tellement loin que je ne m’en souviens même pas.

Le cadeau rêvé ?

La paix dans le monde arabe et que l’Algérie se hisse sur le plan international.

Votre personnage historique ?

Le prophète Mohamed que le Salut Soit Sur Lui. Il a apporté une ligne de vie importante. Je souhaite que les musulmans la suivent.

Votre footballeur préféré ?

Il y en a plusieurs. J’aime bien Benbarek et Makhloufi. J’adore aussi Assad, Madjer et Belloumi qui sont de véritables légendes du football algérien.

Votre modèle d’entraîneur ?

Guy Roux et Ferguson. J’aime bien aussi Mourinho qui fait partie de la nouvelle génération.

Si vous n’étiez pas entraîneur, vous seriez quoi ?

Un médecin qui soigne le cancer et les gens qui souffrent à travers le monde.

Un dernier mot ?

Je tiens à lancer un message à Bourahli et Zeghdoud, que je respecte beaucoup, en leur souhaitant d’abord une grande réussite après leur brillante carrière, non sans leur dire toute ma stupéfaction d’avoir fait des déclarations qui m’ont touché et que je n’arrive toujours pas à comprendre. Je n’ai jamais fait de mal à personne. J’ai fait des erreurs, certes, car l’erreur est humaine, mais je ne blesse jamais les gens volontairement. J’essaye toujours d’aider les autres, sans attendre quelque chose d’eux en retour. Les gens qui me connaissent le savent bien. Pour le reste, je laisse chacun à sa propre conscience.