Les pays musulmans ont, encore une fois, préféré faire confiance à l’oeil nu plutôt qu’à la science
La moindre des choses aurait été de porter l’erreur à la connaissance des citoyens pour que chacun sache exactement où en est son jeûne.
Cette année, la recherche à l’oeil nu de la nouvelle lune du mois de Ramadhan a, encore une fois, contredit le calcul des spécialistes. Ces derniers n’ont pas hésité à annoncer publiquement que nous avons raté le début du Ramadhan. D’autres pays, comme l’Arabie Saoudite, se sont empressés de rectifier le tir en reconnaissant l’erreur, chez nous c’est le black-out total. Au ministère des Affaires religieuses, on plonge la tête dans le sable et on croit que, de cette manière, personne ne saura rien.
Les citoyens se sont demandé ce qu’il y avait lieu de faire et, comme toujours, personne en face pour leur répondre. Quel gâchis!
La nuit du doute
Le niveau de développement de la science dont dispose l’humanité de nos jours est si avancé et la technologie est si précise que, lorsqu’il s’agit de déterminer la naissance de la nouvelle lune, la probabilité d’erreur est pratiquement égale à zéro. Mais malgré cela, on continue toujours et encore à recourir à la nuit du doute. Il est franchement difficile de savoir si un jour viendra où, enfin, on n’attendrait pas jusqu’à la dernière minute pour savoir si, oui ou non, demain il fera Ramadhan.
La nuit du doute s’est instauré au fil du temps pour s’imposer comme un rite incontournable deux fois par année: la première c’est lors de la 29ème nuit du 8me mois lunaire Châabane où un groupe de gens «de confiance» devrait tenter de voir, à «l’oeil nu», la naissance de la nouvelle lune et l’annoncer aux musulmans signifiant par là le début du mois sacré (l’absence de vision entraîne le report du début du Ramadhan d’une journée) et la seconde fois, c’est lors de la 29ème nuit du Ramadhan pour annoncer la fin du jeûne, la fête de l’Aïd et le début du mois de «Chawal» en même temps.
La nuit du doute est une occasion de divergence, une de plus, entre les pays musulmans qui, pratiquement, ne commencent jamais le Ramadhan en même temps et ne fêtent, de ce fait, pratiquement jamais l’Aïd le même jour. Et dire pourtant, que Ramadhan, qui est le mois de la Révélation, est d’abord un mois rassembleur!
L’oeil nu nous a trompés
Malgré les calendriers établis bien à l’avance par les spécialistes, et qui avaient prévu le mardi 9 juillet comme premier jour du Ramadhan pour cette année, les pays musulmans ont, encore une fois, préféré faire confiance à l’oeil nu plutôt qu’à la science et, en déclarant le mercredi 10 juillet 2013 comme premier jour du mois sacré, ils ont surtout maintenu leur défi entêté à l’égard de la science et du bon sens.
Le débat, entre les adeptes des calculs et ceux de la vision à l’oeil nu, n’est pas nouveau. Les uns s’accrochent au sens littéral du hadith du Prophète (Qsssl) «faites le jeûne à sa vue (la lune) et rompez le jeûne à sa vue» alors que les autres, partant de l’idée qu’il y a la vue directe (à l’oeil nu) et celle indirecte (effectuée grâce aux observations et aux calculs), préfèrent plutôt celle qui permet une meilleure précision et une marge d’erreur plus réduite, c’est-à-dire celle indirecte. Il ne sert à rien de revenir ici sur les innombrables possibilités d’erreurs dans le cas de l’observation à l’oeil nu, d’autant plus que chez certains courants de pensée (le madh’hab hanbalite par exemple), la vue d’une seule personne peut servir de prétexte à la détermination du début du mois de Ramadhan.
Ce qui s’est passé cette année c’est que, après avoir fait du mercredi 10 juillet le premier jour de Ramadhan, les musulmans se sont rendus compte qu’il fallait commencer une journée avant. En d’autres termes, l’oeil nu nous a trompés et, en commençant mercredi au lieu de mardi, nous avons raté le début réel du mois sacré d’une journée. L’Arabie Saoudite s’est aussitôt dépêchée d’annoncer cela officiellement en reconnaissant l’erreur de l’observation par ses commissions et, chez nous, un astronome célèbre a aussi confirmé que «nous avons perdu une journée au début de Ramadhan». Lorsqu’on tourne le dos à la science, il est normal que de telles situations arrivent fréquemment. Il ne s’agit plus, de ce fait, d’analyser l’erreur ou de la condamner, mais plutôt de la réparer.
Lorsqu’on est dans une situation comme celle qui est nôtre cette année, c’est-à-dire lorsqu’on a commencé Ramadhan avec un jour de retard, que faut-il faire? Il y a à cela deux attitudes possibles.
La première est de ne rien dire et d’agir comme si de rien n’était. C’est une attitude hypocrite dont la conséquence est de se taire sur l’erreur alors qu’il convient de la réparer. C’est malheureusement l’attitude de notre ministère des Affaires religieuses qui n’a pas soufflé un seul mot sur la question alors qu’il est le premier responsable dans ce domaine.
La moindre des choses aurait été de porter l’erreur à la connaissance des citoyens pour que chacun sache exactement où en est son jeûne.
La seconde est de reconnaître l’erreur, ce qui est déjà plus honnête. Mais au-delà de la reconnaissance qui relève de l’honnêteté, il y a la journée perdue qu’il convient de récupérer. Et c’est justement là que se pose le problème cette fois. Quand récupérer la journée perdue?
Irrecevable fetwa des astronomes
Devant le silence incompréhensible du ministère des Affaires religieuses, certains astronomes de chez nous ont déclaré que «jeudi 8 août 2013 sera le premier jour du mois lunaire de Chawal mais pour récupérer la journée perdue du début de Ramadhan, le premier jour de l’Aïd sera le vendredi 09 août». Certes, nous ne mettons pas en cause leur bonne intention, mais il n’en demeure pas moins que nous rejetons leurs paroles dans le fond et dans la forme, ou en gros et en détail comme aiment à dire certains. Pourquoi?
Avant de répondre à cette question, rappelons d’abord ce qu’est Ramadhan et ce qu’est l’Aïd. Ramadhan est le mois désigné par Dieu pour l’accomplissement du jeûne qui constitue le quatrième pilier de l’Islam. Nul autre moment de l’année n’est concerné par le jeûne obligatoire. Il suffit, à cet effet de rappeler le verset 185 de la sourat el Bakara qui annonce clairement ce qui suit: «Le mois de Ramadhan au cours duquel eût lieu le Tenzil (Révélation) du Coran comme guide aux hommes et comme preuves de la bonne direction et du discernement. Quiconque d’entre vous aperçoit le mois, qu’il y observe le jeûne (…)». De ce fait, sur le plan temporel, le jeûne des musulmans commence le 1er jour du Ramadhan et se termine le dernier jour du mois.
L’Aïd, de son côté est le jour où les musulmans fêtent la rupture du jeûne. C’est-à-dire le 1er Chawal. C’est une journée de célébration du passage d’une étape à une autre. Durant cette journée, il est formellement interdit aux musulmans de jeûner et ce afin de marquer, d’une part, la rupture avec le mois qui vient de s’écouler et, d’autre part, de profiter de la fête. Cette interdiction que tous les courants de pensée retiennent (ce qu’on appelle un ijmaâ ou un consensus) provient du hadith rapporté par Omar Ibn el Khatab et selon lequel le prophète Qsssl avait dit «(…) votre rupture du jeûne…» (fitroukoum min sawmikoum)
A partir de ce qui précède, il résulte que l’on ne doit pas jeûner le 1er Chawal. De ce fait, proposer vendredi 9/08/2013 comme premier jour de l’Aïd revenait à jeûner le jeudi 1er Chawal, c’est-à-dire exactement quand il ne fallait pas. Du point de vue religieux, cette proposition est incorrecte car elle est en opposition claire avec le Coran et avec la tradition du Prophète (Qsssl).
Du point de vue logique, elle n’est pas meilleure car s’il l’on peut dire que le 1er de tel ou tel mois tombe un jeudi ou coïncidera avec un vendredi ou autre, nous ne pouvons absolument pas dire que le premier du mois tombe le 6 du mois ou que vendredi correspondra à un mardi car cela relève de l’aberration. Or la proposition des astronomes qui nous était tombée sous le nez disait exactement la même chose: «Jeudi sera le premier Chawal, mais pour récupérer la journée perdue, vendredi sera le premier jour de l’Aïd.» En d’autres termes cela revenait à dire que le 1er jour de Chawal cette année était jeudi dernier, mais que le 1er jour de Chawal serait cette année vendredi ou, par exemple, le 1er jour de février sera un jeudi mais nous commencerons effectivement le mois le vendredi.
Une fetwa tout simplement insensée et donc irrecevable. Pour rectifier une erreur, ces messieurs ont en commis une plus grande et plus grave encore. Dans l’annonce de ces astronomes, il y a, en fait, deux parties.
La première concerne la détermination du début du mois lunaire Chawal et la seconde comprend une fetwa. Il va sans dire que, pour ce qui est de la première partie, nous ne pouvons qu’acquiescer car cela relève de la compétence des concernés et, bien sûr, lorsque des spécialistes parlent, il convient de les écouter. Mais pour ce qui est de la seconde partie, c’est-à-dire la fetwa, nous ne croyons pas qu’ils soient aptes à en émettre car cela sort de leur sphère de compétence et lorsqu’un non-spécialiste s’occupe de ce qui ne le concerne pas, la probabilité est grande pour qu’il fasse du n’importe quoi. La preuve!
Quel sens donner au silence du ministère?
La certitude est là, saisie par les astronomes, que nous avons perdu une journée dès le départ. Or, toute journée perdue de Ramadhan doit être récupérée, indifféremment de la raison pour laquelle elle a été perdue. Il reste alors de savoir comment récupérer cette journée?
Il ne peut y avoir de récupération collective obligatoire car nous ne sommes plus au mois de Ramadhan et, donc, la meilleure façon est d’informer les gens qu’ils ont une journée à récupérer au cours de l’année et de les laisser choisir, sur toute l’année lunaire, le moment opportun pour chacun de le faire car chacun est responsable de ses actes. Ceci n’empêche pas, par exemple, le ministère des Affaires religieuses, s’il le voulait, de décider d’une journée quelconque et d’inviter les Algériens à y faire le jeûne pour récupérer celle perdue, une journée qui ne sera pas obligatoire bien sûr, où chacun décidera selon sa propre situation et que ceux qui ne pourrons pas y faire le jeûne le feront soit avant soit après.
L’autre aspect lié à cette défaillance est celui se rapportant au fait de savoir si cette récupération est, oui ou non, accompagnée d’aumône. En effet, il est des situations où la récupération de journées perdues du Ramadhan s’accompagne de sadaka (aumône) obligatoire et les Algériens doivent savoir si telle est leur situation cette année ou non. C’est au ministère des Affaires religieuses qu’il appartient de nous le dire. Malheureusement, ce ministère qu’on n’a pas trop entendu dans ce débat sur la journée dont il a pourtant été l’artisan du ratage, s’est contenté d’annoncer – et de quelle manière! – la fin du Ramadhan et le début du mois de Chawal sans mot souffler à propos de la journée ratée au départ. Que faire?
En fait, face à cette dernière question, nous aurons trois types de réactions. Il y a d’abord ceux qui, n’ayant rien su parce que mal informés, ne se douteront même pas qu’ils ont une journée à récupérer. Ceux-là ne referont certainement pas cette journée. Ensuite, il y a ceux qui, bien qu’au courant de la chose, ne referont pas cette journée parce que le ministère des affaires religieuses n’a rien dit à ce propos. Et, enfin, il y aura ceux qui ont décidé de la refaire malgré le silence étonnant de ce ministère.
Reconnaissons tout de même que, encore une fois, la question mérite d’être posée: à quoi sert un ministère des Affaires religieuses?
Une annonce aussi claire de nos astronomes quant à la perte d’une journée de Ramadhan devait en principe, et sans conteste, donner lieu à une réaction de ce ministère parce qu’il s’agit là d’un sujet de haute importance pour les citoyens. Cette réaction du ministère n’est pas requise pour commenter la validité scientifique de l’annonce car cela le dépasse mais pour nous dire ce qu’il y a lieu de faire. Pour nous préciser si nous sommes tenus de récupérer la journée en moins et, dans ce cas, nous expliquer le comment de la chose (jusqu’à quand avons-nous la possibilité de le faire? Devons-nous accompagner la récupération de sadaka ou pas?) ou si, au contraire, nous ne devons pas la récupérer et, dans ce cas, nous expliquer pourquoi. Ce n’est ni compliqué ni sorcier. Ce qui l’est cependant c’est ce silence dans lequel le ministère en question s’emmure et… semble se plaire. Difficile de savoir ce que ce silence signifie et, surtout ce qu’il dévoile. En attendant, bonne fête de l’Aïd quand même!