Journée mondiale de lutte contre le Sida, Témoignages de séropositifs d’El Kettar : L’indifférence, l’autre Sida

Journée mondiale de lutte contre le Sida, Témoignages de séropositifs d’El Kettar : L’indifférence, l’autre Sida

A l’abri du monde et des et  bien-portants, derrière les murs blancs immaculés de l’hôpital El Kettar se cachent des drames et bien des secrets, des malades perdus désemparés et embarrassés. Ils vous  fixent d’un regard éteint, n’osant même pas lever les yeux craignant les questions dérangeantes, accusatrices, et les attitudes suspicieuses. Ils sont atteints  du sida, une maladie qui reste encore honteuse dans une société très conservatrice.

Détresse, combat et honte, le rythme de vie de ces femmes et hommes hospitalisés à El Kettar dépend étroitement du virus du sida qui a bouleversé leur vie au moment où ils ne s’y attendaient pas. « Tant que tu ne fais pas le dépistage, tu ne peux rien savoir. C’est un mal silencieux. Tu ne vois la gravité, que quand tu vas mourir à petit feu, me disait mon amie pour me pousser a réagir après avoir découvert que mon fiancé avait des relations d’un genre particulier, j’ai fais le dépistage dont les résultats m’ont malheureusement confirmé ma séropositivité et ce depuis trois ans », raconte Houria , venue de Tissemssilt et qui se fait traiter à El-Kettar depuis deux ans. Il ne reste de son 1.70 m que la peau et les os. Sur son visage anguleux, chaque mouvement de lèvres dessine une grimace de douleur. À 28 ans, Houria en paraît le double, car la maladie ne s’attaque pas qu’aux corps,  elle détruit aussi l’individu. « Parce qu’elle ne semble toucher que des groupes considérés comme marginaux, et notamment les homosexuels, et les femmes aux mœurs légères, elle est perçue comme une maladie honteuse, pourtant je ne suis ni les uns ni les autres », raconte-t-elle avec émotion et colère.

Des personnes « bien », peuvent être contaminées

Les yeux vides comme si son esprit est à mille lieux de là,  Houria relate sa relation avec un voisin,  leur projet de mariage, ses rêves d’un futur avec lui  ignorant que l’homme qui lui faisait miroiter le bonheur fréquentait régulièrement des filles de joie. « Nous étions ensemble depuis deux ans et demi…

Je faisais souvent des infections, des fièvres, j’étais affaiblie constamment malade. Alors j’ai pris la décision de voir  un généraliste à Tissemssilt qui ne comprend rien à mon mal jusqu’au jour où il m’oriente vers l’hôpital d’El Kattar spécialisé dans les infections.  C’est là que j’ai su que j’avais le sida. Je n’en revenais pas.  Ma vie entière a été bouleversée… Les premiers traitements étaient violents. Ils m’ont rendue malade. Aujourd’hui, ça va beaucoup mieux, mais la fatigue est toujours là et je fais souvent des retours à l’hôpital », confie Houria. Elle qui n’est plus retournée à Tissemssilt… Ses parents ignorent jusqu’à ce jour qu’elle est atteinte du sida et croient qu’elle a une maladie incurable et qu’elle habite chez son amie pour pouvoir se faire soigner à Alger.

Quand on lui pose la question sur l’homme qui l’a contaminé, elle répond « je n’ai aucune nouvelle de lui et je ne veux pas en avoir ». Pour ce qui est du regard  des gens du moins ceux qui savent qu’elle a le sida ?  Houria estime que « de ce côté-là, tout va bien et ça va mieux. Nous sommes considérés comme tous les autres malades.

Les médecins et les infirmiers ont  enfin compris qu’il y a énormément de personnes victimes de la maladie, sans vice, et qui ont été contaminés  pour des raisons qui n’ont rien avoir avec si j’ose dire la prostitution», souligne-t-elle.  Sur les même lieux un autre cas, Khadidja est hospitalisée depuis quinze jours. Mariée et mère de 4 enfants, elle est diabétique depuis des années. Elle a subi une transfusion sanguine en juin  dernier qui s’est révélée être la raison de sa contamination. Khadija est assistée par sa fille aînée au vu de sa grande faiblesse. Réalise-t-elle l’ampleur de cette maladie et ses conséquences ? «  Pas encore, nous répond une infirmière. C’est une famille qui habite dans une ferme à Djelfa. Sa fille aînée n’a pas dépassé le cycle primaire et le mari est agriculteur, donc le danger que peut représenter Khadija n’est pas encore bien assimilé par la famille, il nous faut non seulement la traiter mais l’informer elle et sa fille sur la réalité de cette pandémie, sur les précautions à prendre, sur les dangers d’une blessure, sur la nécessité d’éviter la contamination du mari et des proches aussi… », affirme l’infirmière qui reconnaît que le corps médical d’El-Kattar rencontre souvent des séropositifs de ce genre.

Le constat du Pr Razik Fatiha, médecin infectiologue et chef du service d’El Kettar est plutôt alarmant. « Si on ne fait rien, l’épidémie va s’étendre et ce sera une catastrophe car la problématique du VIH sida reste le manque de dépistage, ce qui dépasse de loin le cadre médical ou de la santé, là où on voudrait la confiner… C’est surtout un problème de société et de développement », relève-t-elle.  Un véritable cri de colère et de frustration que lance la spécialité,  «  c’est honteux qu’en 2015 il y ait encore des Algériens qui meurent du sida. C’est honteux de voir encore des bébés qui naissent porteurs du VIH ». Le Pr Razik pointe du doigt la réelle méconnaissance du sida par le grand public et  le confirme en chiffre. « On recense près de 8.000 personnes atteintes du sida en Algérie, mais l’OMS estime de son côté que près de 30.000 personnes sont séropositives. Ce qui voudrait dire que 22.000 personnes sont porteuses du virus sans le savoir !  D’où l’importance de ce test encore peu pratiqué en Algérie, par honte ou par peur », s’écrit le médecin. « On ne meurt plus du sida aujourd’hui, mais encore faut-il se soigner. Les personnes qui meurent du sida sont ainsi impossibles à recenser, car souvent ignorantes de leur maladie ».

Faute de dépistage précoce, le Sida « tue encore » en Algérie

Le Pr Razik Fatiha nous explique : « Malheureusement, beaucoup de personnes vivent avec le VIH sans le savoir et découvrent leur séropositivité très tardivement… quand le virus a évolué vers le stade du Sida, c’est-à-dire la forme tardive de l’infection par le VIH. Aujourd’hui, la plupart des nouvelles infections sont liées aux personnes porteuses du virus qui ignorent leur séropositivité. D’où l’importance du dépistage précoce permettant aux personnes séropositives d’être traitées tôt, et d’éviter de nouvelles contagions.» Le médecin estime qu’il est vraiment « bête de mourir du sida dans un pays où le traitement et les moyens sont disponibles ». Elle confirme que le Sida qui ne tue presque plus dans les pays développés continue à causer des décès en Algérie, parce que le malade se présente aux centres de dépistage, une fois que son « immunité est au stade final » et que « les infections opportunistes se soient développées ». Le Pr regrette que « même dans une région où les investissements dans la lutte contre le VIH sont importants, comme Alger, les données montrent que ces efforts restent très insuffisants pour espérer réduire, dans l’avenir, la transmission du VIH et donc la survenue de nouveaux cas. Les efforts doivent être accentués dans le dépistage du virus du sida et dans les programmes d’accès aux soins. Il ne faut pas oublier que le dépistage est gratuit et anonyme en Algérie », dira le médecin.

« L’ignorance de ma maladie a fait que j’ai contaminé mon mari et mon fils »

Le cas de Zineb vient illustrer les propos du médecin quant à l’absence d’information et de sensibilisation autour du Sida. À 43 ans, Zineb apprend qu’elle est séropositive et que la maladie la ronge depuis 18 ans. Zineb, qui se bat contre le virus qui sommeille en elle, mais surtout contre la colère, le chagrin et l’idée que le sida est une fatalité que l’on attrape par hasard et que l’on transmet sans le faire exprès, est devenue séropositive à l’âge de 15 ans par une simple transfusion sanguine. Ignorant qu’elle était porteuse du virus, elle se marie et donne naissance à un garçon. Zineb a contaminé et son mari et son enfant qui est né avec le virus. «  Il est vrai que j’étais souvent fatiguée qu’une simple angine me faisait séjourner à l’hôpital, mais jamais je n’ai soupçonné que j’avais le sida », nous confie-t-elle avec amertume. C’est à la naissance de son fils  qu’elle découvre par hasard sa séropositivité et celle de son fils par contamination. Elle nous raconte ces années d’enfer, de silence, de secret, de peur pour son fils. Elle se rappelle les jours où elle faisait les bilans sanguins à l’hôpital, avec cette sensation d’être une pestiférée : « Tous le monde me fuyait. Les soignants m’évitaient et ne voulaient pas me prendre en charge… c’est très dur pour un malade », raconte-t-elle les larmes aux yeux.

Le Pr Razik confirme et déplore le comportement discriminatoire des blouses blanches quand il s’agit de prendre en charge des malades. Souvent l’accès aux soins dans de nombreuses spécialités soins dentaires, explorations endoscopiques, accouchements, interventions chirurgicales, réanimation, hémodialyse, se heurte à de nombreuses difficultés, voire à un refus. Il est très difficile d’aborder ce problème dans un environnement où ceux qui sont censés prendre en charge les malades ont un comportement de rejet et de jugement. Ils refusent d’assumer leur mission à savoir soigner le malade et le prendre en charge. Le même problème se pose pour les mères porteuses du virus VIH et qui sont sur le point d’accoucher, elles ne trouvent pas de place dans les maternités.

Zineb qui est suivie avec son fils et son mari à l’hôpital El Kettar, pensait qu’il ne lui restait que quelques mois à vivre. Elle souhaite que « les médecins, le personnel paramédical dans les dispensaires, la télévision parlent un peu plus des différentes manières de contracter le virus du Sida, sans avoir forcément des relations sexuelles, de l’urgence du dépistage pour tous afin d’enrayer ce fléau. J’aurais aussi aimé entendre des témoignages de personnes qui ont été atteintes du Sida, comme moi, par un malheureux hasard, par erreur médicale… cela m’aurait peut-être permis d’être au courant, de faire attention et surtout de ne contaminer personne… », c’est le message que veut transmettre Zineb à travers son témoignage.

Le Pr Razik considère en effet que c’est le côté « pas visible » de la maladie qui pose le plus de soucis, étant donné que ce sont des milliers de « porteurs potentiels du virus du Sida », ne présentant « aucun signe extérieur » de la maladie et qui ne savent pas qu’ils le sont et qui sont susceptibles de contaminer autrui. La spécialiste insiste particulièrement sur l’aspect de l’éducation et de l’information afin d’éviter l’évolution rapide de la maladie. Elle insiste aussi sur le rôle de la prévention qui est plus que nécessaire dans ces cas de maladies afin de mettre les personnes à risque à l’abri du danger.

« C’est ce bilan des personnes séropositifs, et qui l’ignorent, qui est inquiétant pour l’Algérie alors que des traitements et des suivis existent pour les personnes séropositives. Ces derniers dont les symptômes commencent à apparaître après une dizaine d’années peuvent mener une vie normale toutefois, ces personnes constituent un autre facteur de contamination, il est donc indispensable qu’ils soient suivis médicalement », conclura le médecin.

Malades, comme professionnels de la santé déplorent et dénoncent le manque de sensibilisation au VIH du Sida, l’ignorance et le manque de connaissance des jeunes de cette maladie, des différents modes de contamination des symptômes qui doivent mener vers un dépistage. Ils  regrettent l’inexistence de la prévention, la multiplication du risque de contamination par cette ignorance. Ils appellent donc à une véritable « bataille » d’information et d’éducation.

Farida Larbi