Joan A. Polaschik, ambassadeur des Etats-Unis à Alger : « Nous attendons le lancement des réformes constitutionnelles »

Joan A. Polaschik, ambassadeur des Etats-Unis à Alger : « Nous attendons le lancement des réformes constitutionnelles »

En poste depuis septembre 2014, l’ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique à Alger estime que les « choses sont en train de bouger » sur le plan politique.

Prudente, elle précise que la situation devrait être plus « claire » dès que l’amendement de la Constitution sera officialisé. Dans ce premier entretien, l’ambassadeur Joan A. Polaschik revient également sur les relations économiques algéro-américaines ainsi que sur le partenariat en matière de lutte anti-terroriste.

De nombreux diplomates en poste à Alger, notamment occidentaux, avouent ne pas comprendre la situation politique actuelle. Est-ce votre cas ?

Ambassadeur Joan A. Polaschik : Il est clair que les choses bougent en Algérie. Il faut rappeler que le président Bouteflika a lancé un programme de réformes en 2011. Il y a des changements qui durent depuis un bon moment. Et comme tout le monde, nous attendons le lancement des réformes constitutionnelles. La situation sera plus claire dans quelques semaines ou dans quelques mois.

Pensez-vous qu’actuellement l’Algérie soit un pays stable politiquement ?

Je peux dire que les relations entre les Etats-Unis et l’Algérie sont excellentes. La coopération se poursuit dans plusieurs domaines.

D’abord en termes de sécurité régionale. Nous sommes très reconnaissants envers l’Algérie pour tout ce qu’elle entreprend afin de promouvoir la sécurité dans les autres pays. Je pense à ce qu’a réalisé l’Algérie pour le processus de paix au Mali ainsi qu’en Libye pour soutenir le processus de l’ONU.

Nous avons également une coopération excellente dans les domaines économique et commercial. Jusqu’à maintenant, l’essentiel des investissements américains étaient ciblés dans le domaine des hydrocarbures.

Et comme l’a si bien dit le Premier ministre algérien, le modèle économique actuel ne peut plus durer et qu’il est nécessaire de trouver un autre modèle. C’est une question importante pour l’Algérie, il faut aller vers une diversification de l’économie, vers une ouverture et une réforme économique. A ce titre, je pense que les Etats-Unis pourront être de bons partenaires pour l’Algérie.

Comme il est important de pouvoir rapprocher nos deux peuples à travers l’enseignement de la langue anglaise, les échanges éducatifs et culturels. Tout ceci signifie que les choses avancent plutôt bien entre l’Algérie et les Etats-Unis.

Vous évoquez les relations entre les deux pays. Ma question portait sur la perception dont ont les Etats-Unis du contexte politique actuel. Selon vous, la situation politique en Algérie est-elle stable ?

Les Etats-Unis ne s’ingèrent pas dans les affaires internes de l’Algérie. Je peux juste commenter les relations bilatérales. Et comme je vous disais, les relations sont excellentes et sont en train de s’approfondir et de s’élargir.

L’Etat algérien appelle depuis plusieurs années les hommes d’affaires américains à venir investir en Algérie, notamment dans les secteurs hors-hydrocarbures. Mais dernièrement, lors d’une visite d’une délégation d’hommes d’affaires algériens conduite par le ministre de l’Industrie et des mines, l’opinion publique a appris que les investissements se feront aux Etats-Unis avec des fonds algériens. Pourquoi ce changement de cap et quel est l’intérêt pour l’économie algérienne ?

J’étais présente aux Etats-Unis avec les membres de cette délégation et j’ai assisté aux conférences sur l’investissement en Algérie qui se sont déroulées à Washington et à Détroit.

J’ai écouté le discours prononcé par le ministre Bouchouareb dans sa version française, c’est-à-dire sans interprète, et je peux vous dire qu’il a juste évoqué le plan quinquennal public pour l’investissement en Algérie, et non pas aux Etats-Unis.

Il me semble qu’il y a eu une fausse interprétation ou alors le maire de Détroit a entendu ce qu’il voulait entendre. Le ministre a bien évoqué les opportunités d’investissements en Algérie.

Je pense qu’il y a un grand intérêt de la part des sociétés américaines pour venir discuter des opportunités car elles savent que l’Algérie a un grand potentiel. Cette semaine a été très intéressante puisqu’une entreprise spécialisée dans la fabrication de cartouches d’imprimerie de haute technologie souhaite s’installer en Algérie. Ses responsables sont ici à la recherche de partenaires locaux.

C’est ce type de projet qui peut intéresser l’Algérie puisqu’il présente une opportunité de transfert de technologie et qui entre justement dans le cadre de la diversification économique.

Les responsables autant que les chefs d’entreprises américains se sont toujours opposés à la règle du 51/49 car il constitue un « frein à l’investissement ». Toutefois, lors de cette visite aux Etats-Unis, le ministre Bouchouareb avait déclaré que cette règle serait allégée. Sauf que la semaine dernière, le ministre des Finances annonçait que la règle du 51/49 sera maintenue et élargie. Selon vous, le gouvernement algérien tient-il un double langage ou est-ce un manque de coordination entre deux ministres ?

Je ne peux pas faire de commentaires sur les affaires internes du gouvernement algérien. Mais en tant que grande amie de l’Algérie, et je le dit avec une grande sincérité, je pense que la phase actuelle est très importante pour l’Algérie.

Il faut ouvrir et diversifier l’économie. Le changement de la règle 51/49 sera une bonne chose pour l’économie algérienne. Les restrictions sur l’investissement étranger freinent la croissance économique.

Certaines sociétés américaines se sont installées en Algérie dans le cadre de cette règle, mais à mon avis les PME sont freinées par cette disposition. Et selon l’expérience américaine, les PME sont le moteur de la croissance économique. En introduisant des changements dans la réglementation, il y aura plus d’investissements étrangers.

Pensez-vous que les entreprises américaines ne bénéficient pas des mêmes facilités que les entreprises d’autres pays ? Je pense aux sociétés françaises par exemple ?

(Sourire), il faut poser la question aux partenaires algériens. Les chefs d’entreprises savent que l’Algérie est un marché avec des défis. Si vous voyez le rapport Ease of Doing Business de la Banque Mondiale, il ressort clairement qu’il existe des obstacles en Algérie pour l’investissement. Il suffirait que l’Algérie fasse preuve d’ouverture pour que les sociétés américaines soient plus présentes.

Suite à la chute du régime de Mouamar Kadhafi, les Etats-Unis ont lancé la Manpads Task Force pour récupérer les missiles sol-air volés de l’arsenal de l’armée libyenne. Cette Task Force était alors dirigé par Derrin Smith, un responsable au Département d’Etat américain. Quel a été l’apport des services de renseignements algériens dans le cadre de la récupération de ces missiles ?

Je sais qu’il y avait un programme qui était dirigé par le bureau des Affaires politiques et militaires au sein du Département d’Etat. C’était un programme unilatéral pour la récupération des armes de l’armée libyenne. Il me semble qu’il a été finalisé en 2014 avec le retrait de l’armée américaine de Libye.

Mais il est vrai que c’est un problème très important et j’espère que le nouveau gouvernement libyen pourra travailler avec la communauté internationale pour récupérer les armes et reconstruire les services de sécurité.

Le Premier ministre libyen a récemment lancé un appel à la Russie afin qu’elle intervienne militairement pour stopper l’avancée de l’organisation terroriste de « l’Etat islamique ». Quelle serait la réaction des Etats-Unis et de l’Otan en cas d’intervention russe dans la région ?

La position du gouvernement américain est très claire : il n’y a aucune solution militaire en Libye, il faut une solution politique. Nous sommes tout à fait d’accord avec la position du gouvernement algérien qui s’oppose à la voie militaire.

Voilà pourquoi nous avons soutenu les efforts de l’ONU pour trouver une solution politique. Je pense que lorsque le nouveau gouvernement libyen sera installé, il y aura plus d’efforts dans la lutte contre le terrorisme. Cette question doit être gérée par un pouvoir civil.

Vous croyez que c’est possible ?

Inchallah. C’est vraiment une situation très difficile, mais la communauté internationale doit soutenir le processus Onusien.

Que pensez-vous du refus de l’Algérie de participer à la coalition anti-terroriste internationale initiée par l’Arabie saoudite ?

C’est le choix du gouvernement algérien, il est seul apte à décider de ce qu’il doit faire. L’Irak, l’Iran et le Sultanat d’Oman ont également refusé de participer à cette coalition. Mais il faut dire que l’Algérie est un partenaire très important dans la lutte contre le terrorisme.

L’Algérie a vécu une expérience très difficile durant la décennie noire et elle jouit d’une expérience et d’un savoir-faire qu’elle peut partager avec le reste du monde. Nous sommes particulièrement reconnaissants de tout ce que l’Algérie entreprend dans ce cadre. Le gouvernement algérien a assisté au sommet sur le terrorisme qui s’est tenu au mois de février à la Maison-Blanche.

Au mois de juillet, c’était au tour de l’Algérie d’accueillir un sommet sur la déradicalisation et je sais que le ministre Messahel organisera l’année prochaine trois rencontres sur le même sujet.

Le congrès du Front Polisario se tient actuellement. La question du retour à la lutte armée se pose cette fois-ci avec insistance. Les Etats-Unis ont-ils un rôle à jouer pour faire respecter la légalité internationale et permettre l’organisation d’un référendum d’autodétermination au Sahara Occidental ?

Les Etats-Unis sont membres du Conseil de Sécurité de l’ONU et à ce titre, jouent un rôle très important pour soutenir les efforts de l’ONU ainsi que l’envoyé personnel du secrétaire général des Nations Unies, l’ambassadeur Christopher Ross, pour trouver une solution juste, pacifique et mutuellement acceptable par les deux parties.L’ambassadeur Ross voyage énormément dans la région et son retour est prévu pour le mois de janvier.

C’est une question difficile, mais il n’y a aucune solution en dehors de l’ONU. Il faut soutenir le processus des Nations-Unies.

Actuellement c’est le statu-quo…

Nous soutenons une solution juste, pacifique et mutuellement acceptable.

En s’intéressant à votre parcours professionnel, autant au département d’Etat (bureau des Affaires de l’Egypte et du Levant, bureau des Affaires Israéliennes et Palestiniennes, bureau de l’Iran…) que dans les pays où vous avez été en poste (Libye, Tunisie et Ouzbékistan) on constate que vous avez le même profil de « diplomate sécuritaire » que vos prédécesseur à Alger, les ambassadeurs Ford et Hensher. Par contre, au Maroc, le gouvernement américain préfère nommer des « notables » à l’image de l’ambassadeur Kaplan qui est avocat de carrière ou encore l’ambassadeur Bush qui vient du monde de la Finance. Pourquoi cette différence ?

Il faut expliquer qu’aux Etats-Unis il y a deux catégories d’ambassadeurs : les diplomates professionnels et les personnalités issues de la société civile et du monde des affaires.

Généralement, le président des Etats-Unis fait en sorte que 70% des ambassadeurs proviennent du corps diplomatique et les 30% des personnalités.

Il se peut que le président nomme un ami d’enfance. Je me rappelle que le président George Walker Bush avait nommé une de ses anciennes colocataires lorsqu’il était étudiant.

En Algérie, tous les ambassadeurs proviennent du corps diplomatique. Mais sachez que je ne me considère pas comme une « diplomate sécuritaire », je me considère plutôt comme une diplomate avec une certaine expérience en Afrique du Nord.

En fait, j’ai fait des études ciblées sur l’ex-Union soviétique. A cette époque, je parlais bien le russe et j’ai donc débuté ma carrière diplomatique en Ouzbékistan. Puis j’ai eu mon second poste en Tunisie et là, je suis tombée amoureuse de l’Afrique du Nord !

Je trouve que c’est une région extraordinaire avec une grande richesse culturelle et historique. L’Afrique du Nord a été depuis la nuit des temps un carrefour des civilisations. Tout est mélangé d’une manière très positive. Je suis passée également par la Libye, la Jordanie et l’Azerbaïdjan. Je n’ai travaillé que dans les pays musulman. Et maintenant je suis en Algérie.

Est-ce qu’il est plus difficile d’être ambassadeur à Alger ou à Rabat ?

(Rires) Je ne peux pas répondre à cette question. Je n’ai jamais travaillé au Maroc. Je m’y suis rendu en tant que touriste et j’y ai passé une agréable semaine. Je ne peux pas faire de commentaires sur les conditions de travail de mon homologue.

Mais je peux vous assurer que j’aime travailler en Algérie. Bien sûr, il y a des défis. Je dois dire qu’il y a une chose qui facilite mon travail : la franchise des Algériens. Vous êtes un peuple franc et j’aime ça. C’est également une caractéristique américaine.

Dans la région du Maghreb et du Moyen-Orient, lorsque je pose une question je reçois des réponses qui ne sont pas très claires. En Algérie, les réponses sont directes. La compréhension mutuelle est très importante pour le travail diplomatique.

T.H.