La décision de l’ancien gouverneur de Californie, Arnold Schwarzenegger, de prohiber le commerce de jeux vidéo «jugés violents», vient de tomber dans l’illégalité sous l’effet d’une récente décision de la cour suprême des Etats Unis qui l’a étiquetée «anticonstitutionnelle», relançant ainsi le débat sur l’impact supposé des jeux vidéo sur les comportements violents.
Bien qu’à ce jour, aucune étude avérée n’est venue apporter des éléments tangibles prouvant les liens de causalité entre violence dans les jeux vidéo et violence dans la vie réelle, les points de vue continuent de diverger. Non pas seulement au niveau du débat scientifique et technique, mais aussi sur le plan politique. Réputée attachée à la liberté d’expression, notamment dans son amendement premier, la constitution des Etats Unis consacre le respect des supports véhiculant les idées, en premier lieu le livre et le cinéma. De façon indirecte, les juges de la Cour suprême viennent d’y ajouter les jeux vidéo. La Cour Suprême des États Unis vient de sanctionner une loi californienne de 2005 qui tentait de bannir les jeux vidéo extrêmement violents. Une procédure qui clôt une bataille vieille de 6 ans entre l’État fédéré et l’industrie du jeu dans une décision de 92 pages (avec les annexes).
L’affaire qui opposait l’Etat de Californie et l’Entertainment Merchants Association et l’Entertainment Software Association (association des logiciels de loisirs) a été rendue sur l’autel du premier amendement, qui consacre la liberté d’expression sous toutes ses formes. La Californie estimait être tenue à protéger les plus jeunes lorsque l’industrie du divertissement n’était pas en mesure de le faire. Le gouverneur Arnold Schwarzenegger avait ainsi signé ce texte prohibant la vente ou la location de ces jeux par exemple intégrant «des mutilations inutiles au corps d’une victime». Leland Yee, rapporteur du texte, expliquait en 2005 que «contrairement aux films, où vous regardez passivement la violence, dans un jeu vidéo, vous êtes un participant actif en prenant des décisions sur qui poignarder, brûler ou tuer.» Dans cette décision rendue à 7 voix contre 2, la Cour suprême a estimé au contraire que l’univers du jeu vidéo est, comme le livre ou les films, une manière de diffuser des idées, des codes sociaux à l’aide de multiples procédés (personnages, musique, dialogue, intrigue, etc.). «Cela suffit à lui conférer la protection du Premier amendement. Sous notre Constitution, l’esthétique et les jugements moraux sur l’art et la littérature sont des quêtes personnelles, ce n’est pas à l’Etat de les décréter, même sous le voile d’un mandat ou de l’approbation d’une majorité». A chacun donc de se faire une idée sur ces questions qui touchent purement à la liberté d’expression et «non à l’Etat de se faire gendarme d’une moralité».
Les membres de la cour suprême ont dans leur ensemble rejeté l’idée que les jeux violents rendent les enfants violents. «L’argumentaire et les études présentées par l’Etat californien affirmant que l’exposition à des jeux interactifs représente un problème à part ne sont pas convaincants», indique la décision. Sur le vieux continent, la Suisse a opté, l’an dernier pour une autre tournure, en engageant un débat politique sur la base de deux motions invitant à la censure des jeux vidéo jugés porteurs de contenus violents.
«Cette censure démontre que les politiciens ne comprennent ni notre industrie, ni les consommateurs. Personne ne pense censurer des films ou des livres ayant un contenu adulte.» Electronic Arts, leader mondial des jeux vidéo, a ainsi pesté après le vote en Suisse du Conseil des États de deux motions. L’une, adoptée à l’unanimité, veut interdire la vente des jeux à des mineurs. L’autre votée 9 voix contre 3, envisage leur interdiction pure et simple ! La Commission des affaires juridiques du Conseil des États qui a procédé à ce vote «considère qu’il est nécessaire de protéger les enfants et les adolescents de toute représentation de la violence dans les médias. En approuvant ces deux motions, elle entend souligner que la question des jeunes et de la violence demeure un problème à prendre au sérieux. En principe, la commission estime donc qu’il y a lieu de légiférer».
Le dossier est désormais dans les mains du Conseil Fédéral qui devra architecturer un texte à soumettre au Parlement. Le texte d’interdiction générale demande la rédaction d’«une base légale permettant d’interdire la production, la publicité, l’importation, la vente et la diffusion de programmes de jeux dans lesquels de terribles actes de violence commis contre des êtres humains ou ressemblant à des humains contribuent au succès du jeu». Pour expliquer la démarche, on fait état «d’hypothèses selon laquelle les jeux violents contribuent à pousser certains consommateurs aux pires violences réelles» alors que «le succès au jeu augmente en fonction du recours à de terribles armes contre des êtres humains et des anthropoïdes». Les auteurs de cette proposition admettent du bout des lèvres que chaque jeu violent ne transforme pas tout un chacun en tueur ; «néanmoins, ils renforcent la propension à la violence chez ceux qui y sont déjà sujets». Un angle d’attaque repris par Géraldine Savary, sénatrice vaudoise : «Il existe aujourd’hui, un doute trop grand pour ne pas nous poser la question d’un lien entre les jeux vidéo violents et les actes de violence commis dans la réalité.» En attendant, dans la presse suisse comme Le Matin, La Tribune de Genève ou le Temps, on collectionne les réactions contre ce texte. Notamment celle d’Electronic Arts qui rappelle que «la moyenne d’âge des joueurs est de 28 ans. Ce sont des personnes qui doivent pouvoir choisir librement leurs divertissements».