J’écrirai ton nom. Partout. En lettres lumineuses pour attirer les regards sur ta perfidie; en lettres sonores pour réveiller les consciences de ceux dont tu as acheté le silence, et de ceux qui n’ont pas encore saisi l’ampleur du naufrage. Dans toutes les langues et en braille pour les malvoyants. De nuit, quand les jeunes se rassemblent pour fumer leur désespoir; de jour aussi, même si je sais que tes chiens me barreront le chemin.
Je l’écrirai sur les murs par le tract et par le tag, sur les nuages par le laser qui perce, les monts enneigés et les étoiles dans le firmament, et en mer par les faisceaux des phares. Sur les troncs, les branches et les feuilles des arbres, les poteaux électriques et les mâts des bateaux. Sur les pierres de nos oueds desséchés et les flancs de nos barrages envasés.
Sur les cerfs-volants des gamins, et les ailes des oiseaux. Sur le sable et les rochers et les nageoires des poissons. Sur les sachets en plastique qui conserveront trace de ta trahison pendant un siècle avant de se décomposer. Sur les avions, les trains et les autobus de transports collectifs. Sur les panneaux de l’autoroute crevassée qui conduit jusqu’aux frontières du Maroc, et sur la crête du minaret de la future Grande Mosquée d’Alger qui ne t’ouvrira pas les portes du Ciel comme tu le crois.
J’écrirai ton nom où que je serai, où que tu seras; je te pourchasserai en le criant, te traquerai sans répit jusque dans le trou de Tikrit, à l’intérieur de nos zaouïas, et même au Panama pour que tu ne puisses plus trouver le sommeil; j’imprimerai ton nom sur les tee-shirts et twitterai ta photo afin que le monde entier te reconnaisse, te déteste et s’écarte avec dégoût sur ton passage.
Je l’écrirai parce que je n’en peux plus de me taire, et je vais le faire sans tarder, dès aujourd’hui, car le temps presse et le péril imminent. Quelqu’un doit commencer, et je veux être celui-là. Je suis déterminé à l’écrire, seul s’il le faut, jusqu’à convaincre de me suivre. Et quand je serai fatigué de l’écrire par les mots, je le hurlerai par le mégaphone, ou l’épellerai en clignant des yeux si on m’empêche de parler.
J’écrirai pour te dénoncer, toi qui nous a séduits de ta flûte enchantée, et bercés de ton charme pour asseoir ton règne, puis floués de tes mensonges.Que n’as-tu pas fait ? Tu as revêtu la toge du parler vrai, celle de l’amour de la patrie, clamé et déclamé ton passé à l’envie et nous avons cru qu’enfin nous allions redresser la tête, mais voilà, tous les masques dont tu as usé sont tombés, et tu le sais.
Tu as trahi les chouhada et les générations à venir, béni les assassins, couvert les voleurs et blessé nos âmes, et tu oses maintenant quémander notre pitié. Jamais, entends-tu, jamais nous ne t’accorderons notre pardon. Je suis indigné, vois-tu, révolté de nos illusions déçues, et de nos angoisses devenues insupportables par ta faute. Regarde autour de toi, tu as tout brûlé, pillé, saccagé, jusqu’à ne nous laisser que la mer devant nous, et la menace des dunes derrière.
Pourquoi ? Tu n’avais pas le droit! Non, tu n’avais pas le droit de nous raconter des fables, de te moquer de nos attentes et de nos espoirs. Alors, j’ai décidé de t’affronter, de t’interpeller par ton nom, parce que je suis en colère, parce que je n’apprécie pas d’avoir, par ta langue fourchue, été berné.
Tu aurais pu tout avoir, avec notre admiration et notre fierté en sus, mais tu as choisi la vilenie, et préféré notre mépris: nous te les accordons volontiers ! T’emmurer dans le silence ou la distance, dans la folie ou la maladie, ne te sauvera ni de notre réprobation, ni des flammes de l’enfer du Jugement Dernier.
C’est la fin de ton parcours, ta fin aussi, elle est affligeante mais elle me réjouit, et je veux même la précipiter en l’annonçant, en la chantant, en l’écrivant, zenga zenga. Je suis le premier à te jeter la pierre pour te lapider, les autres suivront avec la consigne de ne pas t’achever, car tu ne dois pas mourir.
D’ailleurs, Dieu lui-même semble avoir opté, devant la ferveur de nos prières, pour t’octroyer l’immortalité afin que tes jours ne soient qu’une longue et douloureuse souffrance. Il n’y a rien de plus dramatique que d’être là, dans cet état second où la vie et la mort se disputent ton corps avachi et ton cerveau éteint, sans qu’il te soit autorisé l’euthanasie qui soulage.
Quel triste sort que de subir les affres de la solitude, de la tourmente de l’âme, et de la peur de la sanction irrévocable de l’Histoire dont les tablettes ont figé à jamais ton véritable nom: imposture.