Journaliste de renom et auteur, personnalité célèbre du monde des médias, Jean-Pierre Elkabbach, natif d’Oran, est de retour à Alger pour des conférences. Il revient dans cet entretien sur quelques aspects des relations algéro-françaises.
Liberté : Ça vous fait quoi de retrouver l’Algérie ?
J-P Elkabbach : La même émotion à chacun de mes voyages. Je vais retrouver à Oran des amis, me recueillir sur la tombe de mon père au cimetière d’Oran et rencontrer à Alger certaines de mes relations, pas seulement politiques. Et la chance m’est donnée de m’adresser, à travers l’Institut français d’Alger et d’Oran, à des jeunes et à un public varié. J’espère être digne de l’attente qu’ils ont de cette visite et qui donnera lieu à un échange. Je ne viens pas comme un conférencier qui va faire “tomber” des paroles du ciel mais, au contraire, qui va essayer d’échanger et d’apprendre du public. J’essayerai de lui apprendre des choses sur la France, son évolution en même temps ma carrière ou mon destin, comme on veut.
On célèbre, cette année, le cinquantième anniversaire de l’Indépendance avec l’inévitable retour de la question de la mémoire. Est-ce que vous pensez, qu’avec l’avènement du pouvoir de M. Hollande, les choses pourraient évoluer entre l’Algérie et la France ?
Elles avaient déjà beaucoup évolué sous Nicolas Sarkozy. Il y avait le discours de Constantine, il y avait le dépôt de gerbes de fleurs de l’ex-ambassadeur à Sétif et aussi à Constantine. La France considérait déjà que la violence coloniale était insupportable et qu’elle était même impardonnable. Le nouveau président de la République, lui aussi, dénoncera le système colonial, parce que c’est un système d’exploitation, de violence et d’asservissement et qui est tout sauf l’égalité entre les citoyens. M. Hollande fait partie de la génération moderne de la social-démocratie ; il voudra, lui aussi, promouvoir des relations privilégiées, d’indépendance et d’amitié avec un pays qui tient à sa souveraineté, comme à la prunelle de ses yeux. Et ça, n’importe quel gouvernement, de n’importe qu’elle tendance, ne peut ne pas le savoir. Personne ne peut ignorer que l’Algérie est un pays proche, très proche, avec lequel nous avons connu des moments dramatiques, des tragédies, mais qui doit rester à la fois dans la raison et dans le cœur ; tout ce qui a commencé déjà depuis le 19 mars autour des accords d’Évian et tout ce qui va se dérouler autour du 5 juillet, à l’occasion des 50 ans d’indépendance, montrent qu’en France on a toujours une passion pour cette époque et en en voyant les aspects douloureux, à la fois pour le peuple algérien — qui est devenu avec la résistance le peuple algérien — et en même temps douloureux pour les Français d’Algérie et même pour les soldats envoyés en Algérie qui ne connaissaient rien de l’Algérie, du système colonial qu’ils ont découverts, qui ont parfois commis des actes impardonnables et qui, d’autres fois, ont été victimes, eux aussi, de ce qu’a été la guerre d’Algérie. Elle est toujours présente dans la conscience des Français, la guerre d’Algérie.
Vos déclarations récentes à Alger sur Mohamed Harbi ont suscité la polémique parmi certains intellectuels. Vous les maintenez ?
D’abord, je tiens à dire ceci : je respecte le rôle et le passé de Mohamed Harbi dans la Révolution. J’apprécie qu’il soit devenu un historien rigoureux de cette époque. Pour moi, Mohamed Harbi, c’est une figure et je peux regretter, qu’après l’Indépendance, il n’ait pas trouvé de rôle et d’influence politique à sa mesure. Quand, dans l’émission, j’ai demandé à M. Harbi, — on parlait avec Benjamin Stora et d’autres invités — “Comment avait été prise la décision des attentats qui devaient être commis à Paris ?”, il a lui-même raconté qu’il y avait eu des divergences et polémiques au sein de l’état-major du FLN. Je vais vous donner les phrases exactes parce qu’elles vont assez surprendre. Mohamed Harbi dit ceci : “Dès le départ, l’idée de provoquer des attentats en France et à Paris avait été avancée mais à plusieurs reprises elle a été différée. Cela a été l’objet d’une bataille interne. Aït Ahmed, Benbella et Boudiaf n’étaient pas favorables à la lutte armée sur le territoire français, leur point de vue n’a pas prévalu”. Alors, j’ai demandé : qu’elle a été votre position à vous ? La lutte armée ? Il m’a répondu : “Oui, absolument !” Il était à la tête de la Fédération de France du FLN. Je lui dis : “le paradoxe, vous êtes aujourd’hui en France”. Ce n’est pas la vérité ? La seule chose qu’on peut ajouter, c’était dit avec le sourire, comme on peut le faire en toute liberté dans une émission et que j’aurais pu ajouter que vous êtes entre la France et l’Algérie, mais vous êtes en France. D’abord, je suis surpris que les intellectuels parlent sans doute d’une émission qu’ils n’ont pas vue parce qu’ils s’étaient rendu compte qu’à tel point je suis respectueux de Mohamed Harbi, de Benjamin Stora et, à travers eux, de ce qu’a été la résistance de la Révolution algérienne ; deuxièmement, ces intellectuels et quelque autres devraient accepter l’idée que dans les médias, en France, quand on fait une émission, on peut tout dire, tout argumenter, tout mettre en débat. Au lieu de protester, comme ils l’ont fait, moi j’aurais préféré qu’ils regardent l’émission et qu’ils voient ce que j’ai dit. Je suis prêt à en débattre avec eux. Je suis prêt à inviter le chef de file de la contestation à l’émission que je vais faire dans quelques jours sur le cinquantième anniversaire. J’ai fait beaucoup d’émissions sur l’Algérie. J’en ai fait deux sur place, comme vous le savez. J’en ferai une dans le courant du mois de juin pour qu’elle soit présente dans la période du 5 juillet… Eh bien, celui qui est le chef de la contestation, à mon avis, un peu stérile, je l’invite d’ores et déjà à participer à l’émission. Quel qu’il soit.
Une loi sur l’ouverture de l’audiovisuel est en préparation. Êtes-vous disposé à apporter votre expertise si l’Algérie venait à vous solliciter ?
À votre avis ? Vous ne croyez pas que mon devoir serait de répondre présent ? Aussi bien la télé publique que les télés privées à venir n’ont besoin de personne. J’ai travaillé avec la télévision publique algérienne pour les deux récentes émissions. Ils ont des techniciens d’une grande qualité et un matériel des plus modernes, le plus sophistiqué de la télé. Ils peuvent ne pas avoir besoin de personne, mais si on me consultait ou on me demandait mon avis, je serais naturellement favorable à prêter la main de la manière la plus désintéressée, à condition que ce soit des télévisions libres, indépendantes et au service de grands principes républicains.
K. K