INTERVIEW – Pour le psychanalyste Jean-Michel Huet, le fondateur du Front national a dérapé vendredi «par orgueil», en évoquant une «fournée» d’artistes hostiles au parti.
LE FIGARO – Qu’est-ce que le clash de ce week-end entre Jean-Marie Le Pen et Marine Le Pen révèle des ressorts psychologiques de leur relation père-fille?
Jean-Michel HUET – D’une manière générale, il est extrêmement difficile pour un parent, a fortiori âgé, de laisser sa place à son enfant, surtout quand celui-ci reprend sa «boutique». Il est très dur de voir ses enfants devenir adulte et encore plus de les voir nous dépasser. Cela constitue une atteinte narcissique impressionnante pour le parent. C’est ce qu’on observe dans le cas de Marine Le Pen, qui réussit mieux que son père à la tête du Front national.
Jean-Marie Le Pen aurait donc mis consciemment sa fille dans l’embarras avec ses propos vendredi sur Patrick Bruel?
Si ses dérapages passés, comme ceux sur les fours crématoires, avaient sûrement été préparés à l’avance, je ne suis pas sûr que ce soit le cas aujourd’hui. Je ne pense pas qu’il ait tout maîtrisé. J’y vois plus une réaction d’orgueil à un moment où il est dépassé par sa fille, qui a quarante ans de moins que lui. La situation aurait peut-être été différente avec un fils, Jean-Marie Le Pen ayant une certaine idée du rôle de l’homme. Il a, en tout cas, besoin de montrer aujourd’hui qu’il est encore fort. D’autant plus que sa fonction de président d’honneur du parti ne lui paraît pas assez importante.
Face à ce comportement, Marine Le Pen se retrouve-t-elle obligée de commettre un parricide?
Elle est dans une situation de parricide symbolique, comme tout enfant adulte qui ose dépasser ses parents. Pour que tout se passe sans accroc, il aurait fallu qu’elle fasse un tout petit peu moins bien que son père à la tête du FN. En général, quand on est un parent aimant, on projette des choses sur ses enfants et on espère qu’ils feront mieux que nous. Mais la personnalité autoritaire de Jean-Marie Le Pen fait qu’il ne supporte pas de voir sa fille le dépasser. C’est le pater familias à la romaine par excellence. Ce n’est donc pas elle qui va couper les ponts, mais lui. Alors qu’elle se contente d’une mise à l’écart douce et symbolique, en le nommant notamment président d’honneur, lui prend ce parricide symbolique pour un vrai parricide. Il n’accepte aucune concurrence.
Comment peut évoluer ce genre de relations?
Elles se terminent très mal en général. Il y a toutes les chances que Jean-Marie Le Pen fasse éternellement la tête à sa fille, jusqu’à ce que mort s’ensuive. Avec son caractère autoritaire qui se rigidifie avec l’âge, il se sent persécuté et n’est pas capable de se rendre compte des problèmes qu’il cause. C’est pour cette raison qu’il se victimise en se plaignant de ne pas avoir de nouvelles de Marine Le Pen. À moins que cette dernière ne se présente à lui en chemise, à genoux et la corde au cou, leur querelle durera très longtemps.