C’est sous haute surveillance sécuritaire des gendarmes et des policiers et dans de bonnes conditions que le président du tribunal criminel de Blida, Antar Menouar, a entamé hier l’audition du principal accusé dans l’affaire de la caisse principale de la banque Khalifa, à savoir Abdelmoumène Rafik Khalifa, quant aux chefs d’inculpation retenus contre lui par l’arrêt de renvoi de la chambre d’accusation de la cour de Blida, sous le numéro 1044/06 du 3 juillet 2006.
Appelé à la barre et face aux membres du tribunal criminel, l’ancien boss de Khalifa banque a été invité tout d’abord à confirmer l’affiliation que lui lisait le président en charge du dossier concernant sa personne : « Vous vous appelez Khalifa Rafik Abdelmoumène, vous êtes né le 10/10/1966 à Bejaïa. Votre père s’appelle Arezki Mohamed Laroussi, votre mère s’appelle Kebbache Farida. Vous êtes Algérien et vous habitez à Chéraga. Vous étiez l’ancien P-DG de Khalifa Bank. »
« Absolument monsieur le président, c’est mon identité », répond l’inculpé qui semble serein, contrairement aux deux premiers jours du procès.
Le président lui a notifié ensuite les accusations portées à son encontre par le juge d’instruction puis par la chambre d’accusation. Il lancera en direction d’Abdelmoumène Khalifa : « Vous êtes poursuivi pour plusieurs chefs d’inculpation : création d’association de malfaiteurs, vol qualifié, faux et usage de faux dans des documents officiels, abus de confiance et escroquerie. »
Le mis en cause répond : « Je suis au courant monsieur le président. C’est mentionné dans l’arrêt de renvoi de la chambre d’accusation de la cour de Blida que vous m’avez vous-même notifié le 6 avril dernier, monsieur le président !. »
Quelle a été la première profession que vous avez exercée, monsieur Khalifa ?, questionne le juge. « Etant un diplômé de l’université en 1988, j’ai exercé comme pharmacien dans l’officine que gérait mon défunt père depuis 1970. »
Interrogé sur les deux contrats relatifs à l’hypothèque de la villa familiale sise au Paradou à Hydra et le local commercial « pharmacie » situé en plein cœur de Chéraga, falsifiés et découverts par les éléments de la brigade économique de la sûreté d’Alger après le déclenchement de l’affaire, le 23/03/2003, le premier responsable du scandale financier a d’emblée affirmé au juge en charge du dossier : « Je n’ai à aucun moment hypothéqué les biens de ma famille. Quel intérêt aurais-je pu tirer par l’hypothèque des biens qui ne m’appartiennent pas, monsieur le président ! C’est faux, je n’ai signé aucun document dans ce sens !. »
L’agence de Staoueli
« Est-ce que vous avez bénéficié de deux crédits bancaires respectivement de 50 et 60 millions de dinars de la banque de développement local, agence de Staouéli » interrompt le président, et l’accusé de clamer haut et fort : « Je fais l’objet de déclarations fictives, monsieur le juge !. »
A cet instant, le président lui a fait remarquer que l’ancien cadre au sein de l’agence de Staouéli Isiri Idir, a déclaré qu’il avait (Khalifa) bénéficié de 270 millions de dinars avant même son arrivée à ladite agence ? » demande le juge.
L’accusé réplique : « Je ne comprends pas pourquoi, dans quel but il a fait une déclaration pareille ».
Donc, si j’ai bien saisi vous niez l’avoir même vu et rencontré chez le notaire Rahal ? Interrompt, encore une fois, le président. Et Khalifa de répondre : « Je ne l’ai pas rencontré. Je sais une chose monsieur le président, la signature qui se trouve dans l’hypothèque de la villa et du local commercial n’est pas la mienne ! ».
Est-ce que vous avez bénéficié de crédits bancaires ? Insiste le président. « Non monsieur le président, je n’ai pas bénéficié de crédits bancaires mais plutôt de facilités bancaires. J’avais de l’argent dans les comptes courants que je possédais ».
Le président lance en direction de Khalifa Abdelmoumène : « Les expertises digitales établies ont conclu que les signatures relevées sur les contrats étaient les tiennes ! »
« Je vous l’ai déjà dit, je n’ai ni assisté ni signé les contrats relatifs à l’hypothèque des biens de ma famille ! Ces accusations ne tiennent pas la route, monsieur le juge ! ». « Comment expliquez-vous alors que les deux contrats n’ont pas été publiés ? », demande Antar Menouar. « Toutes les formalités ont été respectées », estime l’accusé.
« Comment vous avez fait pour créer la banque El Khalifa ? », précise le président. Et Khalifa de répondre : « J’ai utilisé l’argent des deux entreprises que gérait ma famille, à savoir les sociétés KRG Pharma et KRG Production. Ces dernières étaient gérées par mon ex-épouse Amirouchène Nadia qui est de formation pharmacienne ». « Dites-nous de quels genres de facilités bancaires vous avez bénéficié ? » Interrompt le président.
« J’ai bénéficié de 10 milliards de dinars en bons de caisse et non pas d’un crédit bancaire car ce dernier n’est octroyé que lorsque le demandeur présente les garanties ! »
Le mystère Khalifa bank
A la question de savoir dans quel domaine ces sommes faramineuses ont été utilisées, le mis en cause a répondu : « J’ai utilisé ces sommes colossales dans la production de médicaments et la BDL a elle-même bénéficié d’un pourcentage ».
« Comment l’idée est venue le 25 mars 1998 pour la création de la banque Khalifa ? », lance le président.
« Quand l’Etat a décidé de libérer l’investissement dans le domaine des banques, j’ai décidé de créer une banque privée et ce après avoir suivi des formations durant les années 1995 et 1997. Ces formations étaient de courtes durées ». Et d’ajouter : « La Banque centrale d’Algérie m’a donné son accord en 1996 et ce, après que le conseil, présidé alors par le PDG Keramane Abdelwahab, a jugé que ma proposition répondait aux normes ».
Dans le même volet, l’ex-golden boy a affirmé qu’il possédait plus de 67% des actions de la banque et les autres actions étaient partagées entre les autres membres de sa famille. « Est-ce que Keramane Abdelwahab a un lien de parenté avec votre défunte mère ? » sonde le président.
« C’est un cousin éloigné à ma mère, je ne l’ai jamais vu dans les fêtes familiales ou rencontré dans les fêtes religieuses ! ». Rire dans la salle d’audience.
L’inculpé a par ailleurs affirmé au président qu’il a déposé pas moins de 125 millions de dinars de l’argent des associés au Trésor public de la wilaya de Tipasa. « Ce n’est pas vrai, monsieur Khalifa car les responsables du trésor ne parlent que de 85 millions de dinars. »
Quelles sont les mesures que vous avez entreprises lors du renouvellement de la banque en date du 28 septembre 1998, c’est-à-dire juste après la démission de Kaci Ali, PDG de la banque Khalifa ? Est-ce que vous avez informé la Banque d’Algérie que vous allez être nommé en qualité de PDG ? » coupe le président.
Khalifa Abdelmoumène répond : « C’est Kaci Ali qui s’est chargé de les informer et c’est Laksaci Mohamed, gouverneur de la Banque-centrale d’Algérie, qui répondra à votre question, monsieur le président ! »
La villa de Cannes
« Combien d’agences bancaires vous avez ouverte à travers le territoire national ? » questionne le président : « Entre 60 et 70 agences bancaires de Khalifa Banque à travers le pays. Plus de 6 000 employés travaillaient au sein des différentes agences ». « A quelle période les clients ont-ils commencé à déposer leur argent ? » interrompt le président. « En 1999 car ils ont estimé que le taux de 11% d’intérêts que la banque leur octroyait était intéressant ».
« Pourquoi vous avez décidé de créer Khalifa banque puis khalifa Airways ? » interroge le président. D’un ton serein, le mis en cause a répondu : « Khalifa Banque pour transférer l’argent et Khalifa Airways pour transporter les personnes, monsieur le président ! »
En un intervalle de six mois, vous avez créé 10 sociétés dont Khalifa informatique, Khalifa Couture et Khalifa TV, comment expliquez-vous cela ? » interroge le président.
Il a répliqué : « J’ai créé Khalifa TV et ce dans le but de donner une bonne image sur l’Algérie qui traversait une pénible période ».
« En 2001, j’ai décidé d’apporter un plus à mon pays qui traversait une période de sécheresse, c’est pourquoi d’ailleurs j’ai décidé d’acheter 2 stations modèles de dessalement de l’eau de mer, comme cadeau aux Algériens. Elles ont coûté plus de 3,5 millions de dollars.
Les trois autres stations dont la valeur est de l’ordre de 26,5 millions de dollars n’ont pas été acheminées vers l’Algérie ».
« Est-ce que vous avez transféré 45 millions de dollars pour l’achat d’une villa située à Cannes ? » interroge le président. « Je n’ai jamais détourné ces sommes faramineuses pour l’acquisition de la villa de Cannes ». Khalifa a rectifié : c’est 30 millions d’euros et non pas 45 millions de dollars.
« Pourquoi vous avez acheté la villa de Cannes ? » C’était un investissement d’Al Khalifa Airways dans l’immobilier ». Le juge l’interrompe : « Et les soirées qui y étaient organisées ? » Abdelmoumène Khalifa rétorque : « Il arrivait que la Chaîne Al Khalifa TV organise des soirées ou des émissions , ou que ce soit loué par des particuliers, mais nous n’avons pas acheté la villa à cette fin. Même la TV officielle organise des émissions comme « AlhenWa Chabab ».
A la question de savoir s’il a donné des ordres par téléphone pour lui faire venir la « Chekara », le mis en cause a répondu : « C’est faux ! Je ne prenais que mes salaires ! »