Les pompiers de Rome ont dû intervenir, mercredi 3 juin, au palais de Montecitorio, le siège du Parlement italien : la hampe du drapeau étoilée de l’Europe menaçait de tomber.
Pour éviter tout incident, il a été retiré pendant quelques heures.
L’anecdote résume à sa manière la disparition du débat européen dans la campagne électorale italienne. Celui-ci a été littéralement avalé par le « Noemigate », comme la presse désigne désormais l’affaire des liens entre Silvio Berlusconi et une jeune fille de la banlieue de Naples, Noemi Letizia.
A ce scandale s’ajoute encore la multitude de scrutins locaux (plus de 4 000) qui auront lieu en même temps que le vote européen. S’ils devraient favoriser une bonne participation, ils contribuent également à brouiller les enjeux.
La révélation de la présence du chef du gouvernement à l’anniversaire des 18 ans de Noemi, suivie par la demande de divorce de Veronica Lario, l’épouse de M. Berlusconi, qui accuse son mari de « fréquenter des mineures », a été le prélude à un grand déballage.
Il en ressort que le président du conseil, troisième fortune d’Italie, aime se comporter en sultan dans sa villa de Sardaigne, y faisant venir toutes sortes de personnes qu’il croit utiles à son divertissement : des jeunes filles, des amis, un chanteur, une danseuse de flamenco.
Ces deux derniers ayant fait le voyage dans un avion de la République, M. Berlusconi a été placé sous enquête, à Rome, à la suite de la plainte d’une association de consommateurs. « Cela sera classé très vite », s’est-il défendu.
C’est sans doute vrai, mais la question est de savoir ce que pèseront les nouvelles informations sur la vie privée de M. Berlusconi – appelé à plus de « discrétion » par l’Eglise catholique – dans le choix des Italiens, samedi 6 et dimanche 7 juin.
« Nous sommes entrés dans une ère d’incertitude, explique Luca Comodo, de l’institut Ipsos. Les gens se rendent compte qu’ils vont voter pour de vrai. »
« Il faut surveiller le peuple des indécis, écrit le politologue Ilvo Diamanti dans La Repubblica. Ces Italiens qui se sentent étrangers dans le pays de la télé-réalité et du journal télévisé unique, loin du berlusconisme.
» Alors que la proximité du scrutin aurait dû conduire à une plus grande certitude de choix, c’est le contraire qui se produit. Un tiers des électeurs, contre un quart, il y a un mois, n’ont pas encore choisi le parti pour lequel ils voteront aux européennes.
La chasse aux indécis s’est ouverte dans les deux derniers jours de campagne. M. Berlusconi claironne que son parti, le Peuple de la liberté (PDL), dont il est tête de liste dans les cinq circonscriptions, est à « 43 % » d’intentions de vote.
Rêvant de recueillir sur son seul nom plus de 4 millions de « préférences » (les électeurs peuvent mentionner les candidats qui ont leur préférence sur une liste), il veut croire qu’il échappera à une forme de dégoût de la politique qui se manifeste au fur et à mesure que s’égrènent les scandales.
Toutefois, les derniers chiffres (non publiables) dont disposent les instituts situent aujourd’hui le PDL autour de 38,5 %. Selon qu’il dépasse ou non la barre des 40 %, le score du parti sera interprété comme une victoire ou une défaite personnelle pour M. Berlusconi.
Chose nouvelle : quelques contestataires ont réussi à perturber, ne serait-ce que brièvement, ses rares apparitions publiques.
De son côté, le Parti démocrate (PD, centre gauche) appelle au « vote utile ». Ses dirigeants savent qu’ils ne renouvelleront même pas le score, pourtant modeste, de 33 % obtenu aux législatives de 2008.
Divisé au point ne pas savoir à quel groupe ses futurs eurodéputés s’inscriront à Strasbourg, sans chef charismatique, il vise un score autour de 26 %. Une sorte de seuil de survie au-dessous duquel son avenir n’est pas assuré.
Lassés de la tiédeur de son opposition au berlusconisme, les électeurs du PD se tournent désormais vers l’abstention, vers l’Italie des Valeurs de l’ex-juge Antonio Di Pietro ou vers les listes du Parti radical et « Sinistra e Liberta » (Gauche et liberté).
Ces deux dernières formations, qui n’ont actuellement aucun représentant à l’Assemblée nationale, pourraient dépasser les 4 % et envoyer un élu à Strasbourg.
Insensible à ces fluctuations, jouissant d’électeurs fidèles, enraciné, le parti populiste et xénophobe de la Ligue du Nord vise moins les européennes que les scrutins locaux.
Son objectif : devenir le premier parti dans certaines provinces comme la Vénétie et se développer dans le centre de l’Italie, où se trouvent les fiefs de la gauche. Alliée de M. Berlusconi au gouvernement, elle compte pourtant bien profiter dans les urnes des écarts du président du conseil et du Noemigate.