Selon une dépêche publiée mercredi par l’APS, le groupe Cevital a été invité par le ministère du Commerce à se conformer à l’accord conclu avec les producteurs et importateurs de sucre et d’huile pour faire baisser les prix de ces deux produits. Peut-on connaître votre réaction ? Qu’est-ce qui a été reproché au juste à votre entreprise ?
Issad Rebrab : J’ai rencontré personnellement le ministre du Commerce, Mustapha Benbada, jeudi, et j’ai posé cette question sur la dépêche diffusée par l’APS. Il m’a répondu ne pas être au courant de cette information, précisant que l’un de ses services avait adressé cette dépêche à l’APS. En réalité, il n’y a pas eu de mise en demeure du ministère du Commerce envoyée à Cevital.
Le ministre voulait savoir si nous commercialisions nos produits à perte ou avec des bénéfices. J’ai répondu que nous cédons nos produits avec des bénéfices. Pour le ministère du Commerce, Cevital vendait à perte, parce que les autres producteurs de sucre et d’huile ont soulevé cette question, accusant Cevital d’avoir trop baissé les prix. Pour rassurer les autorités,
j’ai remis personnellement le prix de revient de nos produits. Les cadres du ministère ont constaté que nous produisons actuellement sans aucune politique de dumping. Il m’a été demandé d’augmenter les prix, parce que certains producteurs se sont plaints et disaient de ne pas pouvoir vendre au même niveau que nous.
Pour le 1 kg de sucre, le prix est fixé à 69,50 DA, tandis que pour l’huile végétale de marque Elio, le bidon de 5 litres est à 495 DA.
Nous avons affiché les prix dans une totale transparence. Il s’est avéré que l’un des responsables du ministère du Commerce a été informé par les autres producteurs et importateurs de nos prix, sans prendre notre avis. Il est de son devoir (le ministère du Commerce) de vérifier si Cevital ne faisait pas de dumping.
Lors de nos discussions, j’ai expliqué aux cadres du ministère qu’au niveau des pays de la Méditerranée, l’huile de table et de sucre étaient des produits de première nécessité exonérés de TVA pour les matières premières et non pas pour les produits finis.
Cevital a diminué les prix juste après la première rencontre avec le ministre du Commerce, et j’ai respecté à la lettre les engagements pris avec les pouvoirs publics avec la réduction des droits de douanes et de la TVA. Aujourd’hui, les prix ont baissé au niveau exigé par l’Etat. Malheureusement, les autres producteurs pensaient que l’Etat allait donner plus. Ils ont oublié qu’ils doivent être compétitifs pour pouvoir vendre.
Ils ont interprété les choses pour dire que Cevital veut garder le monopole du marchén alors que nous avions répercuté immédiatement les taxes et droits de douanes supprimés sur nos prix.
Comment les choses se déroulaient-elles avant l’intervention des pouvoirs publics pour soutenir les prix ?
La loi sur la concurrence souligne la chose suivante : les prix et la concurrence sont libres. La réglementation interdit le dumping et la vente à perte. Or, aujourd’hui, il existe deux raffineries qui vendent à perte, et ce, depuis 2008. Cette année, je ne sais pas ce qu’ils vont déclarer (les industriels du raffinage).
Pourquoi et comment vendent-ils à perte, selon vous ?
C’est beaucoup plus profond que cela. Il faut leur poser la question à eux. Mais un jour, tout le monde le saura.
Pour le sucre, l’Etat a diminué de 52% les taxes et les droits de douanes sur le sucre blanc pour les importateurs, alors qu’il n’a supprimé que 22 % des taxes et charges pour les producteurs. Dans ce contexte, Cevital est obligé de se défendre pour que le marché ne soit pas envahi par le sucre étranger.
Pour continuer à vendre, il faudrait obligatoirement être compétitif au prix appliqué à l’international. Cevital, avec trois autres raffineries, couvre 200% des besoins du marché national. Il n’y a pas eu jusqu’à présent de problème de pénurie de sucre. Nous avons même exporté 400 000 tonnes l’année 2010 et cette année,
nous comptons en exporter 800 000. Pour défendre notre marché, nous avons adopté un tarif moins cher que le prix de revient obtenu par des importateurs et producteurs algériens. C’est le meilleur moyen d’éviter que les opérateurs aillent sur le marché international pour importer. Cevital a réussi à produire un sucre de qualité supérieure à celui qui est disponible actuellement sur notre marché.
Justement, comment Cevital est-il parvenu à ce niveau ? Quelle est réellement votre force ?
Tout simplement, nous avons investi dans des tailles mondiales. Les raffineries de Cevital ont des capacités de production de près de 2 millions de tonnes. Ce sont les plus grandes raffineries de sucre au monde, ce qui permet d’être compétitif.
Lorsque nous atteindrons un seuil critique, nous pourrons réduire nos coûts de production inférieurs à ceux des raffineries européennes. C’est bien la réalité aujourd’hui et la plus grande raffinerie européenne dispose d’une capacité de 200 000 tonnes.
Si l’on comprend bien vos propos, l’Algérie a de la chance de disposer d’un tissu industriel d’une taille aussi importante…
Bien sûr. S’il n’y avait pas Cevital, le marché algérien serait inondé de sucre étranger.
Malgré la suppression des taxes et des autres charges, les trois autres raffineries concurrentes, une située à Mostaganem, l’autre à Khemis Miliana et la dernière à Guelma, ne peuvent pas y faire face. Elles ne vont pas tenir, surtout avec la concurrence actuelle des importateurs. Nous venons justement de faire un communiqué appelant les importateurs de sucre à s’approvisionner chez Cevital.
Nous sommes prêts à leur vendre du sucre de qualité supérieure par rapport au marché mondial et à un prix inférieur. Ce qui permettra à ces opérateurs d’éviter de vendre à perte.
C’est inadmissible d’aller importer sur le marché international à un prix supérieur, alors que le prix à l’intérieur est moins cher. Les autres raffineries algériennes ont un prix de revient supérieur à nos prix.
On vous reproche cependant d’être en situation de monopole de fait sur le marché…
Il n’existe aucun monopole sur le marché algérien. C’est vrai que notre groupe est en position dominante. Or, la loi sur la concurrence et les prix stipule que la position dominante n’est pas interdite. Ce qui est interdit par la réglementation, c’est l’abus de la position dominante. Mais Cevital, entreprise citoyenne, n’a jamais abusé de sa situation dominante sur le marché. Lorsque l’Etat a enlevé les taxes et droits de douanes, nos prix sont restés toujours compétitifs même à l’échelle mondiale.
Peut-on connaître les décisions prises jeudi lors de votre réunion avec les responsables du ministère du Commerce ?
Pour protéger les autres confrères producteurs, nous avons accepté d’aligner nos tarifs d’usine pour les huiles alimentaires.
Mais pour le sucre, nous n’avons pas le choix. Nous sommes obligés de défendre notre marché.
Nous voulons aussi donner une marge aux distributeurs et aux grossistes, ainsi qu’aux détaillants, ce qui va leur permettre de gagner leur vie et de payer leurs charges et impôts, et aussi de respecter le prix public de 90 DA pour le kilo de sucre et 600 DA la bonbonne de 5 litres d’huile. Les autres producteurs ont laissé seulement 10 DA de marge au réseau de distribution.
Personnellement, j’ai convaincu les responsables du ministère et j’ai démontré que Cevital n’avait pas pratiqué de dumping. Ils m’ont demandé d’augmenter les prix d’usine des produits pour permettre aux autres de survivre. Pour l’huile, j’ai accepté de revoir les prix. Quant au prix du sucre, on ne pourra pas l’augmenter parce que l’Etat a priorisé les importateurs en diminuant 52% de taxes. Il faut préserver l’outil national de production. Ce sont des emplois à préserver.
Cevital a toujours travaillé pour l’intérêt du citoyen et pour que les prix soient tirés vers le bas. Nous avons respecté les décisions prises par l’Etat. Malheureusement, nous n’avons pas compris pourquoi les importateurs ont bénéficié de suppression de taxes de 52%, alors que les producteurs transformateurs ont bénéficié de 22%. Je n’ai sincèrement pas compris la raison. Mais les conséquences seront importantes, parce que les trois autres raffineries ne pourront pas y faire face.
Farouk B.