Une joint venture à trois têtes est décidée à réaliser l’ouvrage d’histoire commune aux peuples du pourtour méditerranéen. La France pour y assurer les fonds, Israël l’orientation et le Maroc l’exécution
La France dit avoir le plus grand budget de coopération culturel en Méditerranée, notamment en Algérie. Qu’en est-il réellement ? Quels sont les grands projets culturels consacrés par la France à la société civile du sud de la Méditerranée ?
Il existe certes un pacte millénaire entre la France et sa culture, mais appartient-il aux politiques de le mettre en œuvre, surtout lorsqu’il s’agit d’impliquer la rive sud ? La question mérite d’être posée lorsque l’on s’intéresse aux suites données par les Ateliers culturels méditerranéens lancés par certains départements français.
L’un des plus importants projets reste le processus lancé en 2005 par Jacques Chirac, dans le cadre des dix ans du processus de Barcelone. Une décision politique, constatant la réalisation de deux des trois piliers Euro-Med, politique et économique, alors que le troisième, culturel, était resté en jachère.
Pour marquer la réussite des deux premiers, il fallait célébrer le troisième par un forum, confié à la société civile et réalisé dans trois lieux majestueux, Paris, Séville et Alexandrie, avec trois pays parrains, France, Egypte et Turquie.
Un ambassadeur, Jacques Huntzinger, était aux manœuvres. Il s’agissait d’un de ces ambassadeurs sans poste, hébergés à Kléber. Le forum, avec ses différents Ateliers, s’est achevé après trois réunions, la dernière en 2007, après que nombre de participants du Sud méditerranéen se demandaient ce que la France attendait d’eux !
En 2008, avec Sarkozy à l’Elysée, pour soutenir la candidature de Marseille comme ville européenne de la Culture, la France a décidé de rejouer la même partition. Les Ateliers se transformaient en Etats généraux culturels.
L’ambassadeur voulait capitaliser l’apport initial (Ateliers) et offrir à son ministre (Kouchner) une tribune privilégiée. C’était l’époque où l’on parlait d’UPM, la première réunion du 13 juillet 2008 passant pour une victoire de la France en Méditerranée. Pour le grand public, l’ambassadeur tisse une belle histoire : les Etats généraux devenaient le volet culturel de l’UPM.
Pour l’histoire partagée et le concept, la présentation de 2008, présentée devant l’Alesco, est toujours d’actualité. En résumé, il faut y entendre les faits positifs qui ont mis en relation le Nord et le Sud qui, sans nier les faits négatifs (croisade, colonisation pour faire simple), permettraient de faire apparaître les éléments culturels d’une civilisation méditerranéenne.
Le rôle du Sud devait être aussi important que celui du Nord. Toutefois, il y a eu plus de posture que d’activité.
Une des raisons se trouvent dans les réseaux universitaires Sud-Nord qui existent, alors que la force du projet devait être la mise en commun des réseaux Sud-Sud et Nord-Nord. La participation algérienne s’est limitée à Hassan Remaoun, de la faculté des sciences sociales de l’université d’Oran, présent dès l’origine du projet (2008-2010), et à l’envoi du conseiller culturel du consulat général de Marseille lors de la conférence de presse de juin 2010.
A ce propos, voici ce qu’il a dit : «Par rapport à ce projet, je ne détiens que la lettre du ministère de l’Education nationale français écrit au ministère algérien, mais je ne sais rien d’autre. Nous sommes à votre disposition si vous voulez bien nous informer de ce que vous attendez de nous.» «L’ordonnancement, je le comprends maintenant, mais pas à l’époque où l’on était venu me chercher.
Après avoir participé aux Ateliers culturels, section histoire, l’ambassadeur m’a demandé de monter un atelier pour les Etats généraux pour le grand dam de l’UPM», nous affirme l’un des acteurs de ce projet, qui préfère garder l’anonymat.
«Ayant entendu, aussi bien au Conseil de l’Europe que durant les Ateliers, parler des erreurs contenues dans les manuels occidentaux quant à l’image du Sud, mais étant également au fait de travaux novateurs du Conseil de l’Europe en la matière, j’ai proposé un manuel commun d’histoire partagée en réunissant une équipe de chercheurs, d’enseignants, de membres de la société civile ! Et nous avons décidé, en novembre 2008, de réaliser ce manuel commun », conclut notre source.
La problématique a été l’orientation (un manuel à destination des formateurs de formateurs de l’aire méditerranéenne) et la gouvernance (un «binômage» Nord-Sud de toutes les fonctions de coordination).
Le Centre Nord-Sud (CNS) du Conseil de l’Europe (CoE) a été embarqué dans cette affaire. Une première réunion a eu lieu en juin 2009 à Lisbonne.
Mais à une semaine de la date de la rencontre, le CoE retire son soutien, alors qu’il était la seule raison de cette réunion. Deux événements antinomiques étaient apparus. Le premier concernait le CNS : la France s’en était retirée et les pays membres voyaient mal financer un projet français. Le second était «scientifique» : le CoE avait signait une convention avec l’IRCICA, d’Istanbul, pour un projet similaire. Une troisième réunion s’est tenue à Marseille en juin 2010.
Un financement avait été trouvé auprès du ministère de l’Education nationale français. Mais l’objet de la réunion était de présenter aux pays méditerranéens (Italie, Liban, Slovénie, Algérie, Tunisie) une maquette de ce que devrait être le manuel commun d’histoire partagée. Une conférence de presse, en présence du recteur de l’université d’Aix-Marseille, s’est même tenue… sans les journalistes.
Il n’était pas prévu que ce projet dure (aucun financement n’était prévu), d’autant plus que le candidat à la mairie de Marseille, Renaud Muselier, craignait les initiatives d’Huntzinger à Marseille.
L’un est de droite, l’autre est devenu ambassadeur grâce à ses piges au Parti socialiste avant 1981. Résultat : entre Lisbonne et Marseille, tous les plans de pérennisation des Etats généraux (association, mission interministérielle) ont été bloqués et la gestion du projet laissée entre les mains d’une simple stagiaire.
Mieux, l’Association des ateliers culturels méditerranéens, un faux-nez du ministère des Affaires étrangères monté en 2005, décidait de se dissoudre.
En septembre 2010, l’ambassadeur Hintzinger décide lui aussi de se retirer, laissant les commandes du projet, le seul qui n’avait pas été abandonné après Marseille 2008, à la stagiaire, propulsée chef de projet, et financé jusqu’au mois de mars 2011 par l’association Marseille-Provence 2013.
A cette date, le projet devait être terminé et présenté, à Alexandrie, à la fondation Anna Lindh. Une mission au Caire auprès de cet organisme culturel de l’Union européenne laissa entendre qu’aucune démarche n’avait été faite depuis 2008, et encore moins depuis la réunion de juin 2010 où la fondation avait envoyé un représentant. «La quasi-totalité des six chapitres étaient en cours de rédaction.
Seulement, j’avais mésestimé la susceptibilité de mon co-coordinateur, le professeur marocain Mostafa Hassani-Idrissi», nous confie notre source. Didacticien reconnu en France, il était aussi membre du projet concurrent du CoE. Idrissi ne connaissait pas les auteurs recrutés, mais n’avait fait aucun effort pour ce projet, sinon venir aux réunions.
Toutefois, au moment où il entendait démissionner, l’ambassadeur et son chef de projet étaient entrés en contact avec la mission interministérielle pour l’UPM. Il y avait un financement (Marseille-Provence 2013) et une volonté politique qui voulait que M. Hassani-Idrissi prenne la direction du projet. Il convenait, en effet, que ce projet français passe en Méditerranée pour un projet venant du Sud.
En outre, le prestige de M. Hassani-Idrissi convenait le mieux pour faire passer la pilule. En février dernier, une réunion au ministère de l’Education nationale français remit en cause la gestion du chef de projet, n’accordant que quelques secondes au côté scientifique.
Le travail de rédaction est en cours, sur des bases fixées à Lisbonne et acceptées à Marseille 2010. En fait, l’objectif était de démonter ce qui a été fait pour impulser une autre direction. La réunion qui se tiendra les 10 et 11 juin prochain à Marseille révèlera la suite de cette histoire…
Samir Méhalla