Le nouveau gouvernement islandais de gauche, formé le 10 mai, s’est engagé à ouvrir des négociations avec l’Union européenne (UE) dans la perspective d’une prochaine candidature. La situation est assez étrange, car le Parti social démocrate de la première ministre Johanna Sigurdardóttir veut entrer dans l’UE, tandis que ses partenaires, les gauche-verts, y sont opposés. Ils ne feront cependant pas obstruction à ces négociations et c’est le Parlement, où une majorité est favorable à l’adhésion, qui tranchera, avec l’appoint indispensable de voix de l’opposition.
L’opinion, au fil des sondages, se montre tour à tour favorable ou hostile à une candidature. Et au Parlement même, l’Europe divise les partis. Seuls les sociaux-démocrates sont « pour » sans états d’âme. Toutes les autres formations, divisées, prennent la question avec des pincettes.
On ne parle jamais en Islande d’ »entrer dans l’Europe » mais « d’engager des négociations en vue d’une éventuelle adhésion », comme s’il fallait attendre de Bruxelles des concessions pharamineuses sur la bonne mine des Islandais. Les gauche-verts, formation radicale, refuse que le problème affaiblisse la coalition et ils laisseront leurs députés libres de voter comme ils l’entendent. Les conservateurs veulent encore essayer d’adopter l’euro sans entrer dans l’UE. Les progressistes, favorables à l’Europe et dont les voix sont nécessaires à une majorité sur la question, ont le sentiment d’être manipulés.
Les organisations professionnelles sont elles aussi divisées. Les syndicats souhaitent l’adhésion, tandis que les agriculteurs sont contre (leur production est protégée de la concurrence), de même que le secteur de la pêche, qui redoute de devoir renoncer à la zone exclusive de 200 milles autour de l’île qui fait vivre les Islandais. Après l’effondrement des banques et de l’économie en général, la pêche reprend toute sa place, la première, dans l’activité du pays. Les stocks de poisson sont en diminution et en livrer l’accès aux pêcheurs de l’UE représenterait un manque à gagner immédiat. Quant à l’accès au marché européen, il est déjà captif, le poisson est devenu une denrée rare qui se vend toujours. Les intérêts islandais dans le secteur doivent être, selon la loi actuelle, majoritaires. Qu’en sera-t-il si l’Islande rejoint les Vingt-Sept ?

Aucun des voisins de l’Islande ne fait partie de l’UE. Le Groenland et les îles Féroé, à l’ouest et au sud, territoires autonomes dépendant du Danemark, n’en font pas partie, ni la Norvège, à l’est. Certains Islandais se sentent plus proches de l’Amérique que des pays de l’UE. L’Islande par ailleurs fait partie de l’Espace économique européen avec la Norvège et le Liechtenstein, et elle a donc déjà fait sienne la plupart des directives européennes. Cela s’appelle, en Islande, « avoir tous les avantages de l’Europe sans en avoir les inconvénients ».
L’Islande qui se croyait si riche il y a un an encore avant la banqueroute de ses banques, renâclait à l’idée de contribuer aux fonds de solidarité européens. Aujourd’hui le vent a tourné et le pays cherche à retrouver sa place dans la communauté des nations. Le temps n’est plus à la rente des exceptions, aux niches miraculeuses. Personne ne veut plus de sa monnaie, la couronne, qui s’est dévaluée de 2 000 % depuis sa création par rapport à la couronne danoise. Ah, ce rêve de l’euro ! Si seulement on pouvait l’adopter sans entrer dans l’Union ! Mais Bruxelles a bien fait comprendre qu’il n’y aurait jamais adoption de l’euro sans adhésion préalable.
Être proeuropéen est à Reykjavik un concept vide de sens. L’enjeu est vécu ici comme une pure question d’intérêt.