Deux événements, sans lien entre eux, sont venus récemment remettre sérieusement en question l’idée reçue en Occident qui veut que les musulmans soient une menace pour la culture, l’identité et même la sécurité de cette région du monde.
C’est un préjugé tenace et sournois. On entendra rarement un officiel ou un intellectuel attaquer de front et publiquement la culture ou la communauté musulmane en Amérique. Effectivement, les intellectuels et les hommes politiques qui sont convaincus qu’il ne faut pas jeter l’anathème sur toute une communauté sont nombreux. Mais il en est quelques uns, influents, qui pensent qu’il faille surveiller de près ces « drôles de gens aux pratiques étranges ». Cette idée est si répandue qu’elle suscite des commentaires foncièrement racistes sur les forums et les réseaux sociaux.
Le plus souvent sous couvert d’anonymat. Cela n’en est pas moins symptomatique d’une crainte qui trouve ses justifications dans l’expression islamique extrême, mais néanmoins marginale. Dans le même temps cette peur, qui tue l’esprit, occulte le fait que les victimes les plus nombreuses de l’islamisme politique sont avant tout des musulmans. Le livre de Doug Sanders, récemment publié par Random House « The Myth of the Muslim Tide » (le mythe de la marée musulmane) souligne justement cette crainte omniprésente en Occident depuis les événements du 11 septembre 2001.
Certes, la crainte a été largement alimentée par des médias et un cinéma mal inspiré, mais qui puisait sa source dans les faits historiques récents enregistrés dans des pays musulmans. Doug Sanders est journaliste, éditorialiste et correspondant à Londres du journal torontois « Globe and Mail ». Il n’en est pas à son premier opus. C’est avec des statistiques précises et documentées, des éléments d’analyses sérieuses et des études en matière de sécurité que le journaliste a bâti son argumentation. Il bat en brèche l’idée que le nombre de musulmans augmenterait plus vite que n’évoluent les autres communautés et dès lors se répandraient sur la société occidentale comme évoluerait un péril.
Les chiffres, selon Sanders, indiquent que la communauté musulmane est loin de constituer une communauté en très forte progression. Ce qui a motivé son livre, explique Sanders dans des entretiens de promotion, c’est le fait de voir surgir en Europe un extrémisme violent comme celui de Anders Brevick. Sanders qui ne croit pas au multiculturalisme, qui n’est pas un religieux et qui est convaincu de l’identité universelle fondée sur les valeurs occidentales, est persuadé aussi que ce qui se dit aujourd’hui des musulmans est du même acabit que ce qui s’est dit des catholiques et des juifs en Amérique. Il est par ailleurs convaincu, qu’une fois la fièvre passée, les musulmans feront partie de manière complètement intégrée et assumée de l’identité de l’Amérique. Par contre, il tire la sonnette d’alarme en voyant se créer des îlots identitaires qui favorisent la marginalisation. C’est cela le vrai danger. Plus que jamais il appelle l’opinion à comprendre qu’il faut aider les musulmans à s’intégrer dans leurs sociétés d’accueil plutôt que de les laisser se complaire dans une victimisation risquée.
LA POLICE PASSE AUX AVEUX
Si sur le plan intellectuel, un journaliste a mis au jour le danger des préjugés, sur le plan factuel, c’est de la police de New York qu’est venue la bonne nouvelle, aurait-on envie de dire. Six ans de surveillance des quartiers musulmans de New York, d’écoutes et de fichage des mosquées n’ont donné aucun résultat probant. Les révélations sont contenues dans le témoignage fait le 28 juin dernier par le chef adjoint de la Division du renseignement du NYPD, Thomas Galati.
Il était entendu dans le cadre d’une enquête fédérale sur de possibles violations des droits civiques commises par la police. Galati avait indiqué qu’aucun renseignement collecté ou une conversation écoutée par ses services via la « Demographics Unit », l’unité démographique, n’avait servi de « point de départ à une enquête ». Quelques mois après les événements du 11 septembre, l’Unité démographique de la police de New York, unité secrète au centre d’un programme d’espionnage policier, était installée avec l’aide de la CIA. Elle a commencé à rassembler des données sur les musulmans : leurs domiciles, les magasins et mosquées qu’ils fréquentent, leurs lieux de travail.
Dans cette traque, la police n’a épargné personne. Elle a infiltré les étudiants, les mosquées. Elle a surveillé les prêches et même fiché tous les musulmans de New York qui avaient pris des noms à consonance américaine. Un travail colossal certes, mais mené en toute illégalité, bafouant les principes mêmes qu’un tel dispositif est censé défendre. Sans être dissoute, celle-ci opère sous le nom d’Unité d’évaluation par zone (Zone Assessment Unit) et aurait cessé toute activités hors de l’État, alors qu’elle avait agi en dehors de sa juridiction. La « Demographics Unit » était une sorte de système d’alerte en amont, devant signaler l’éventualité d’un acte terroriste.
Si la police savait qu’un terroriste afghan était à New York, elle savait aussi où il allait louer une chambre, où il allait faire des emplettes et où il allait même suivre un match de « soccer ». En 2011, l’agence Associated Press avait déjà publié un article à ce sujet, notamment sur l’espionnage et le fichage ethnique, religieux ou linguistique.
Le NYPD avait nié dans un premier temps l’existence d’une telle unité, puis certains ont défendu ce système, le présentant comme vital pour la sécurité de New York. Les confessions de Galati n’ont pas été obtenues dans le cadre d’une enquête sur l’Unité démographique mais dans le cadre de l’affaire Handshu, une affaire d’espionnage d’étudiants par la police qui remonte à 1971. Il reste que ces révélations devraient réduire des craintes avant de pouvoir mettre à bas les préjugés chez une opinion publique malmenée, mal informée et finalement mal protégée.