Groggys après leur déroute aux législatives, les fondamentalistes algériens font mine de préparer les municipales de novembre, mais le coeur n’y est plus. Quant aux maquisards, ils se consolent avec les victoires de leurs « frères » au Mali.
Trois mois après leur cinglante défaite aux législatives du 10 mai dernier, les islamistes algériens, partis politiques ou groupes armés, vont de déconvenues en déboires. Convaincus qu’ils allaient l’emporter, à l’instar de leurs « frères » tunisiens, marocains et égyptiens, les partis fondamentalistes n’arrivent toujours pas à digérer leur déroute : démissions en chaîne, directions contestées, multiplication de déclarations contradictoires. Quant aux djihadistes, leurs derniers faits d’armes ont eu lieu… au Mali, où ils ont enfin réussi à s’emparer d’un « territoire imprenable ». Dans leur fief kabyle, en revanche, l’essentiel de l’activité s’est mué en grand banditisme : kidnapping de riches commerçants libérés contre rançon, racket d’automobilistes à de faux barrages sur les routes escarpées du Djurdjura, descentes musclées dans les bars clandestins…
Si Abdelmalek Droukdel, alias Abou Mossab Abdelwadoud, émir national d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), est encore l’ennemi public numéro un, il n’est plus le cauchemar de la République ; il n’est plus en mesure de menacer ses institutions ni de monter une grande opération terroriste. Comble de l’humiliation : le dernier attentat-suicide en date (une attaque à la voiture piégée, le 29 juin 2012, contre le commandement de la gendarmerie de Ouargla, dans le sud du pays) a été revendiqué par le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), une dissidence d’Aqmi composée d’éléments maliens et mauritaniens récusant la suprématie des émirs algériens.
Politique ou militaire, la mouvance fondamentaliste algérienne, qui avait failli il y a une vingtaine d’années emporter le système en place, est en piteux état, alors qu’elle prospère ailleurs dans la région. Politologues et chancelleries multiplient les tentatives d’explication de ce paradoxe. Exception algérienne, pour reprendre une formule en vogue ? « C’est un phénomène de mode en fin de cycle », assurent les uns, quand d’autres avancent l’argument de la faillite du leadership local ou encore le choix d’une mauvaise stratégie électorale.
Sur le plan politique, les formations islamistes se déclinent en cinq partis agréés : le Mouvement de la société pour la paix (MSP, de Bouguerra Soltani), Ennahda (de Fateh Rebaï), El-Islah (présidé par Hamlaoui Akkouchi), le Front pour la justice et le développement (FJD, d’Abdallah Djaballah) et le Front du changement (FC, une dissidence du MSP que dirige Abdelmadjid Menasra). Les trois premières formations se sont regroupées pour créer l’Alliance de l’Algérie verte (AAV). Cette dernière et les deux autres partis totalisent 58 députés dans un hémicycle qui en compte 462. C’est dire la bérézina pour ce qui était la deuxième force politique du pays.
Déblâcle électorale
Mais, aux yeux des islamistes, cette débâcle électorale ne peut être que le résultat d’une fraude massive. C’est pourquoi les chefs de l’AAV attendaient avec impatience la publication du rapport de la mission des observateurs européens. Grande fut leur désillusion quand, le 6 août, l’Espagnol José Salafranca, chef de ladite mission, a rendu publique la teneur du document. Si les scrutateurs européens ont relevé des insuffisances dans l’organisation des opérations de vote et émis 31 recommandations pour améliorer la transparence du scrutin, la régularité de l’élection ne fait pas l’ombre d’un doute. Pis : la victoire du FLN s’explique, selon le rapporteur, par la multiplication de l’offre politique et l’émiettement des voix. Autrement dit, les islamistes n’avaient qu’à ne pas y aller en rangs dispersés. Fureur de Bouguerra Soltani, qui remet en question « l’objectivité des Européens, dont certains, à l’instar des Espagnols, se sont publiquement félicités de la défaite des partis islamistes ». Son partenaire d’El-Islah, Hamlaoui Akkouchi, va plus loin, accusant les observateurs européens de « complaisance, voire de complicité avec le pouvoir ».
Akkouchi n’a cependant pas manqué de prendre en considération les remarques du rapport, appelant « l’ensemble des forces islamistes à rejoindre l’Alliance à l’occasion du prochain rendez-vous électoral : les municipales du 29 novembre 2012 ». Mais les deux autres formations islamistes ont d’autres soucis. Abdelmadjid Menasra, ex-ministre de l’Industrie et chef du FC, est encore groggy après sa déroute dans son propre fief, Blida. Abdallah Djaballah s’est vu reprocher par ses huit députés sa stratégie de boycott des instances de l’Assemblée populaire nationale (APN) qui les a privés d’une participation aux commissions et donc des juteuses promesses de per diem.
Dissous par la justice en mars 1992, le Front islamique du salut (FIS), matrice de l’islamisme armé, a perdu de son aura et de son influence. Autrefois icône des « mosquées libres », le prêcheur Ali Belhadj, ex-numéro deux du FIS, est aujourd’hui indésirable dans les quartiers, où les jeunes lui interdisent d’occuper le minbar (tribune d’où est prononcé le sermon du vendredi). Actif dans les réseaux sociaux, présent à Genève, Londres ou Doha, le FIS dispose d’une chaîne de télévision, Al-Magharibia (à ne pas confondre avec la marocaine Al Maghribia) basée à Londres et dirigée par Oussama Madani, fils d’Abbassi, président-fondateur du Front.
Reste les maquis islamistes. De l’aveu même de Dahou Ould Kablia, ministre de l’Intérieur, « il est difficile de quantifier avec exactitude les effectifs des groupes armés dans les maquis ». Il a toutefois précisé, le 5 août, à l’occasion du forum hebdomadaire organisé par le quotidien algérois Liberté, que l’islamisme armé a perdu de ses capacités de nuisance, notamment en milieu urbain. Est-ce à dire que l’islamisme n’a plus d’avenir en Algérie ? Rien n’est moins sûr. Car si le vote islamiste a enregistré un net recul, le regain du phénomène religieux est bien réel ; la fréquentation des mosquées est en augmentation, et l’Algérienne, même si elle prend de plus en plus de place dans la sphère économique et dans l’espace public, est généralement voilée. Visiblement, l’Algérien semble durablement fâché avec son barbier et son rasoir.