Islam, Réforme et Coran

Islam, Réforme et Coran

Le Coran n’a reçu sa forme définitive qu’après la mort du Prophète (Qsssl).(4e partie)

Quelle que soit la manière dont les adeptes de l’aggiornamento de l’Islam conçoivent ce qu’ils appellent leur «réforme», ils ont tous été inévitablement amenés, à un moment ou à un autre dans leur démarche, à aborder la question du Coran. Ceci est tout à fait normal du moment que la place centrale du Coran dans l’islam oblige quiconque veut parler de cette religion à parler du Coran et, à plus forte raison, ceux qui prétendent vouloir «réformer l’Islam». Aussi, lorsqu’on considère les travaux des «réformateurs de l’Islam», on observe aisément que, par rapport au Coran, cinq approches différentes ont été développées. Aujourd’hui, nous présentons les deux premières de ces approches, les autres feront l’objet du prochain article

Lire le Coran autrement

La première approche que l’on constate et que nous appellerons «l’approche par la relecture» consiste, selon ses adeptes, à procéder à une nouvelle lecture du Coran. Une lecture qui devrait se faire, selon eux, non pas à l’identique de ce qui avait eu lieu jusqu’à présent mais à la lumière des connaissances nouvelles et des exigences de l’époque. L’idée de base de cette démarche est que les musulmans doivent renouveler leur lecture du Coran en se démarquant de l’interprétation qu’ils en ont eue jusque-là et en s’attelant à réinterpréter le Texte sacré en intégrant les nouvelles découvertes et les avancées des techniques et de la science.

Mais cette manière de faire ne doit pas, selon les adeptes de cette démarche, déborder sur des changements à apporter au contenu du texte sacré lui-même car, insistent-ils, «s’agissant du Coran, le sujet est clairement délimité, son contenu est indiscutablement définitif, et seules les lectures qui en sont faites peuvent être discutées ainsi que la méthodologie de lecture à mettre en oeuvre, non plus pour le relire, mais pour le lire vraiment.»(1). Il s’agit en fait, selon cette approche de «réformer notre lecture du Coran pour réformer notre être par le Coran»(2).

Revoir notre lecture du Coran signifie, en d’autres termes, revisiter les interprétations (tafasir) effectuées par les anciens et renouveler notre compréhension à partir des connaissances de l’époque, exactement comme avaient procédé, par le passé, ceux qui en avaient fait une lecture à la lumière du niveau de connaissances de leur époque.

Mais lorsqu’on dit relecture, il y a lieu de ne pas confondre cette première démarche avec la seconde, celle que nous présentons ci-dessous et qui, pour sa part, appelle à une relecture non pas à travers le sens, c’est-à-dire par une nouvelle interprétation mais, plutôt, par la reprise et la reconfiguration du texte du Coran lui-même en procédant au réagencement des sourate.

Le seconde approche que nous appellerions «approche par la réorganisation» consiste, pour sa part, à vouloir remettre les sourate du Coran dans l’ordre chronologique de leur révélation. Ce n’est qu’ainsi, affirment-ils, que l’on pourrait mieux comprendre la religion et donc mieux la pratiquer.

En réalité, et bien qu’on ne nous le dise pas souvent, il s’agit là d’un des plus anciens débats autour du Coran qui ont accompagné, de manière ininterrompue, l’histoire des musulmans. Certains justifient cet appel à changer l’ordre des sourate par le fait que «l’ordre actuel des sourate du Coran perturbe la pensée et empêche que l’on tire profit de la révélation du Coran parce qu’il n’est pas conforme à la progression de la législation que la révélation a pourtant prise en considération».(3)

Pour d’autres, il faut revenir à l’ordre originel car «le classement des sourate dans un ordre autre que celui de leur révélation ne pouvait pas s’effectuer sans affecter, à terme, la perspective globale et l’économie du Coran. La règle des trois unités (unité de temps, de lieu et d’action) qui vaut pour tout ouvrage, divin ou humain, a été rompue, obligeant à un détour par les «sciences religieuses» pour comprendre le sens d’un verset ou saisir les raisons d’une disposition juridique»(4).

En réalité, ce qui est difficile à comprendre chez les adeptes de cette approche c’est qu’ils appellent à remettre les sourate en ordre selon la chronologie de leur révélation mais ils ne disent mot quant à l’ordre chronologique des versets sachant qu’il existe des versets qui n’apparaissent pas dans le Coran selon l’ordre de leur révélation. Or, lorsqu’on est soucieux de l’ordre chronologique du moment que, comme ils le soutiennent, il permet de mieux comprendre le sens du Coran, alors il faudrait oser aller jusqu’à demander aussi la remise en ordre des versets selon la chronologie de leur révélation.

Nul n’ignore, en effet, que certaines sourate contiennent des versets dont la révélation fut bien postérieure à la sourate elle-même comme c’est le cas, pour ne donner qu’un seul exemple, du verset «Certes, Allah commande l’équité, la bienfaisance et l’assistance aux proches. Et Il interdit la turpitude, l’acte répréhensible et la rébellion. Il vous exhorte afin que vous vous souveniez» qui fut, selon certains, le dernier verset à être révélé et qui, à la demande du Prophète (Qsssl), fut pourtant placé au 90ème rang dans la Sourate Ennahl.

Au nom de quoi demande-t-on alors un ordre chronologique pour les sourate sans demander la même chose pour les versets? Comment est-ce que le non-respect de l’ordre chronologique des sourate perturberait l’unité du temps alors que celui des versets n’y porterait pas atteinte? Comment peut-on affirmer que «si l’ordre chronologique avait été gardé, n’importe qui, même le non-musulman, aurait pu accéder avec plus de facilité au sens propre et figuré des versets du Coran et connaître les circonstances dans lesquelles un verset est venu» sachant que, à l’intérieur de certaines sourate, les versets ne sont pas dans l’ordre chronologique de leur transmission au prophète (Qsssl)?

Quel ordre pour les sourate dans le Coran?

A notre avis, cette attitude volontairement sélective est due au fait qu’il est de notoriété que, lorsque les versets lui étaient révélés, Mohammed (Qsssl) demandaient à ceux parmi ses compagnons qui étaient chargés de la transcription, de les mettre, selon les indications de Jibril, à tel endroit ou tel autre, dans telle ou telle sourate (ex. le verset 90 de sourate Ennahl, le verset 281 de sourate El Bakara…etc.). De ce fait, l’emplacement des versets étant indiscutable car relevant du fait du Prophète (Qsssl) lui-même et non de l’oeuvre de ses compagnons, les adeptes de l’approche par la réorganisation se sont limités aux seules sourate omettant à chaque fois de faire la même demande pour les versets.

On peut aussi évoquer ce hadith (5) selon Omar et dans lequel il affirmait que le Prophète (Qsssl) lui avait rappelé que le verset relatif à la Kalala était à la fin de la sourate Ennissa, ce qui dénote, encore une fois, que l’ordre des versets est bien un fait du Prophète (Qsssl) de l’Islam.

En ce qui concerne l’ordre des sourate, les avis ne sont pas aussi tranchés qu’on veuille nous le faire croire et s’il est bien vrai que «la version du Coran qui nous est parvenue est ce qu’on appelle la «Vulgate d’Othman», troisième calife»(6), il demeure pour le moins difficile d’affirmer que c’est Othman lui-même qui aurait décidé de cet ordre ou que Othman ait «pris sur lui de considérer une version de lecture élaguée»(7) car ces affirmations sont plus que discutables et il n’existe aucune unanimité rapportée en ce sens.

Comment Othmane aurait-il pu changer, de sa propre initiative l’ordre du Coran alors qu’il avait refusé de négliger, à la demande d’Abdallah Ibnou Zoubeir, un seul verset mansoukh (abrogé) de surcroît? En effet, selon Boukhari(8), à Abdallah Ibnou Zoubeir qui avait montré son étonnement à Othmane de ne pas avoir cessé de transcrire le verset 240 de sourate El Bakara parce qu’un autre verset l’aurait abrogé, il répondit «je n’y (le Coran) changerai rien».

Par ailleurs, en ce qui est rapporté par Tabari, à ce propos, c’est que Ali Ibnou Abi Taleb et Ibnou Messaoud disposaient de versions différentes de celle qui devint la «Vulgate d’Othmane» mais que cela datait d’avant la dernière récitation (el ardh el akhir). D’un autre côté, il nous semble difficile d’affirmer ainsi de manière aussi catégorique que c’est Othmane qui aurait pris sur lui de changer l’ordre des sourate alors qu’il existe plusieurs récits qui affirment, quant à eux, que cet ordre a été effectué selon les orientations du Prophète (Qsssl). Il suffit de revenir aux récits rapportés en ce sens pour se rendre compte que, en fait, il y avait quatre avis sur ce point.

Il y a, d’abord, ceux qui affirment que l’ordre des sourate dans le Coran est celui-là même qui existait du temps du Prophète (Qsssl) car le mashaf était déjà réuni de son temps. Ceux qui avancent cet argument citent plusieurs récits.

A ce titre, El Bayhaqi, par exemple, avait rapporté un récit d’Ibnou Abbès selon lequel les gens apportaient leurs supports pour écrire le Coran. Mouslim avait rapporté, de son côté, qu’il y avait un endroit appelé «makane el mushaf» (l’endroit du Livre) dans la mosquée de Médine. Or, dire que le mushaf existait déjà à l’époque du Prophète (Qsssl) c’est dire que les sourate y avaient un certain ordre. Prétendre que Othmane aurait pris l’initiative de mettre un autre ordre c’est l’accuser d’avoir changé quelque chose qui était établi du temps de Mohammed (Qsssl), ce qui est impossible tout simplement car ni lui n’aurait osé le faire ni ses compagnons ne le lui auraient permis.

Il y a, ensuite, ceux qui soutiennent que le Coran n’était pas réuni en un seul livre du temps du Prophète, mais éparpillé dans des supports différents alors que l’ordre des sourate était, lui, connu car déterminé par le prophète (Qsssl) lui-même. Ceux-là aussi avancent quelques récits pour étayer leur thèse. Selon le troisième avis, l’ordre n’était pas parachevé car toutes les sourate étaient ordonnées selon les orientations du Prophète (Qsssl) sauf la séparation entre sourate El Anfal (sourate 8) et sourate Ettawba (sourate 9) car Mohammed (Qsssl) mourut sans en montrer la séparation, ce qui laissa, selon cet avis, Ettawba sans basmala et, lorsque Othmane fut interrogé, sur cette absence de la basmala, il répondit que le Prophète (Qsssl) mourut avant de lui montrer la limite entre les deux sourate.

En plus, il existe un quatrième avis qui attribuerait l’ordre actuel des sourate aux seuls compagnons du Prophète (Qsssl).

Ainsi comme on le constate, tous les avis, à l’exception d’un seul, contredisent clairement les affirmations préconisant que les musulmans contemporains du Prophète (Qsssl) auraient «vécu pendant une certaine période sans avoir entre les mains le Coran sous la forme que nous connaissons.»

Sur un autre plan, il nous semble difficile d’affirmer catégoriquement que les titres de sourate sont l’oeuvre des compagnons du prophète (Qsssl) du moment que beaucoup de récits soutiennent que, sinon toutes, du moins pour nombre d’entre elles, elles ont été dénommées par Mohammed Qsssl. C’est ce qu’affirment Essouyouti lorsqu’il écrit qu’«il est établi, à partir des hadiths et des récits, que l’appellation de toutes les sourates est due au Prophète (Qsssl)»(9) et Tabari lorsqu’il souligne que «les sourate ont les noms que leur avait donnés Mohamed (Qsssl)» (10)

Ce qu’il y a lieu de remarquer pour cette approche, qui justifie son apparition par le fait que l’organisation actuelle des sourate rend difficile la lecture et la compréhension du Coran, c’est qu’elle repose sur des arguments de linguistique et de littérature alors que, parmi ses adeptes, on ne trouve pas de spécialistes de la linguistique ni de la littérature.

Par ailleurs, cette approche est, comme on l’a vue, ancienne, voire très ancienne alors que l’on perçoit, dans les analyses d’aujourd’hui, une sorte d’omission de cette ancienneté comme s’il s’agissait de faire croire à une problématique récente ou nouvelle.

En réalité, il n’est pas aisé de comprendre que «les récits concernant la collecte du Coran, les variantes textuelles et les recueils attribués aux compagnons de Mohammed auraient eu le même but: enraciner la fiction que le Coran n’a reçu sa forme définitive qu’après la mort du Prophète (Qsssl) de l’Islam»(11), cet effort vise à séparer, d’abord, Mohammed (Qsssl) du Coran, du point de vue temporel pour pouvoir, ensuite, désacraliser à l’aise le contenu lui-même du texte qui perdrait alors son caractère divin. Cela n’est pas sans rappeler l’objectif poursuivi par certains qui affirment que «si faire du Coran l’oeuvre de Mahomet, peut sembler dans un premier temps résoudre la question de la violence coranique en la contextualisant, cela aboutit inexorablement à l’anéantissement de l’islam. Ce type de relecture du Coran brise le socle sur lequel repose tout l’édifice théologique musulman». (12)