À la tombée de la nuit, les frondeurs du soir sont sur les toits. «Allah Akbar ! Mort au dictateur !», chantent quotidiennement, pendant une demi-heure, les partisans de Mir Hossein Moussavi.
Un rituel bien rodé, en signe de résistance pacifique contre les fraudes électorales. «C’est la seule forme de contestation qui nous reste», se désole Mohsen, un ex-manifestant.
Pendant plus d’une semaine, cet employé de banque n’a raté aucun rassemblement anti-Ahmadinejad. Mais, depuis la violence de ce week-end, il s’est résigné à un demi-silence.
«La répression est pire que pendant les émeutes étudiantes de 1999. Aujourd’hui, nous sommes face à deux options : la mort ou l’exil», dit-il.
Lundi, à peine quelques centaines de contestataires téméraires se sont donné rendez-vous sur la place Haft-e-Tir. Mais la police a rapidement sévi, en interpellant près de 60 personnes.
Les voitures qui osaient klaxonner en traversant la place ont été «marquées» à coup de peinture pour être identifiables, plus tard, par les forces de l’ordre.
Un membre haut placé du pouvoir judiciaire, Ebrahim Raisi, vient également d’évoquer la création de tribunaux spéciaux pour juger les protestataires arrêtés.
De leur côté, les gardiens de la révolution, l’armée idéologique du régime, n’hésitent plus à sévir.
Pas de retour en arrière
Faut-il conclure à la fin de cet appel d’air, d’abord porté par la «vague verte» de la campagne électorale, puis relayé par les manifestations de la semaine dernière ?
«La déprime est au rendez-vous», répond, abattu, un professeur pro-Moussavi, qui refuse de donner son nom par peur d’être sanctionné.
D’après lui, la protestation se trouve dans une impasse, le guide religieux ayant clairement confirmé, vendredi, son soutien à Ahmadinejad.
Une façon indirecte de tracer un trait sur l’espoir, formulé par Moussavi, d’organiser un nouveau scrutin.
«Tous les Iraniens, surtout les jeunes et les femmes, qui sont allés voter en masse en rêvant d’un changement ont le cafard. Ils se sentent trahis. La prochaine fois, ils ne se donneront pas la peine de se déplacer aux urnes», poursuit-il.
Si la contestation s’essouffle, c’est aussi, selon de nombreux observateurs, parce qu’elle est en train de révéler ses faiblesses.
«Elle manque à la fois d’organisation et de vrai leadership», relève un sociologue. Son point de comparaison : la révolution de 1979.
«À l’époque, la contestation menée par l’ayatollah Khomeyni, en exil, avait permis de fédérer des millions d’Iraniens autour de lui.
Il avait pu s’appuyer sur un véritable réseau de mosquées, de vrais relais disséminés à travers le pays.
Aujourd’hui, Moussavi est un héros malgré lui, qui dispose de peu de moyens pour mener à bien sa contestation. De plus, le gros de la protestation se concentre sur Téhéran.
On est loin des millions d’Iraniens qui sont descendus dans les rues à travers le pays il y a trente ans», dit-il. Quant aux enjeux, ils ne sont pas les mêmes.
«La plupart des Iraniens demandent des changements internes, pas un renversement du système. Ils sont donc moins nombreux à être prêts à se sacrifier pour la cause», dit le professeur.
Les plus optimistes refusent pourtant de conclure à un vrai retour en arrière. «En trente ans de République islamique, nous avons appris à slalomer entre les interdits», relève une activiste des droits de l’homme.
C’est paradoxalement sous le premier mandat d’Ahmadinejad, rappelle-t-elle, que la campagne de «un million de signatures» pour la parité entre hommes et femmes a été lancée.
«Nous sommes nombreuses à en avoir payé le prix fort, en passant par la prison. Mais notre mouvement n’est pas mort, car il touche le cœur de la société», dit-elle.
Selon elle, il serait d’ailleurs possible que le président trouble-fête soit obligé, malgré lui, de lâcher du lest. «Il sait que ses opposants sont nombreux et que sa légitimité est vivement contestée.
Car ce ne sont pas que les réformateurs qui mettent en doute sa victoire, mais également de nombreux conservateurs traditionnels et pragmatiques», note-t-elle.