Interview / Pape Diouf (Ex-Président de l’Olympique de Marseille)

Interview / Pape Diouf (Ex-Président de l’Olympique de Marseille)
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“La Côte d’Ivoire peut battre tout le monde si…”

Pape Diouf est à la CAN 2010 comme chroniqueur pour une chaîne de télé française. Nous l’avons rencontré dans son hôtel à Luanda, Avalade. En observateur averti, le Sénégalais pense que la Côte d’Ivoire, son favori pour le sacre continental, peut réaliser son rêve si tout le monde joue ensemble pour l’intérêt général.

Dans quel cadre Pape Diouf est en Angola ?

Je suis ici dans le cadre de l’observateur que j’ai toujours été pour les CAN. Depuis Abidjan en 1984, j’ai toujours suivi les CAN. Il y en a deux que j’ai du manquer. En plus, je fais un éditorial tous les soirs sur la chaîne française Orange Sports et sur certaines stations de radios aussi. Voilà pour compléter mon plaisir.

Après les matchs du premier tour, quelle analyse peut-on faire à ce stade de la compétition ?

Je crois que le football africain reste égal à lui-même en ce sens que les équipes, dans l’ensemble, sont fortes même si elles n’ont pas encore produit un jeu chatoyant, un jeu suffisamment prenant pour qu’on parle de CAN spectaculaire. Cela est dû à plusieurs facteurs bloquants. L’un d’eux, à mon avis, c’est l’état des pelouses qui n’est pas du tout extraordinaire. Cela ne permet pas aux techniciens de s’exprimer ou d’exprimer leur potentiel. Il y a aussi la chaleur qui, parfois, anesthésie l’énergie des uns et des autres si on considère que la plupart de nos grands joueurs évoluent aujourd’hui dans les championnats européens. Mais globalement, je pense que la Coupe d’Afrique des Nations tient son rang. Même si on peut regretter qu’il n’y ait pas plus de spectacle et même s’il y a des buts.

Le manque de spectacle n’est-il pas du, également, au fait que les joueurs en garde souvent sous la semelle quand ils sont en sélection?

Je ne le pense pas. En le faisant, c’est jouer contre eux-mêmes. Qu’on le veuille ou pas, quand ils viennent ici, il y va de leur réputation, de leurs noms. Je ne pense pas que les joueurs africains en gardent sous la semelle parce qu’ils veulent tous gagner. Ils savent ce que représente la CAN pour le pays, pour leurs compatriotes. Je pense plutôt que la rupture brutale entre le climat où ils évoluaient jusqu’à présent et le climat qu’ils retrouvent y est pour quelque chose. Il faisait très froid en Europe et subitement les voilà projeter dans la chaleur africaine. Cela peut parfois provoquer des distorsions, ça peut emmener des joueurs à ne pas avoir leur rendement habituel. Mais honnêtement, je pense qu’ils ont envie de tout donner quand ils viennent en sélection.

Nous sommes déjà au niveau des quarts de finale avec un certain Côte d’Ivoire-Algérie à Cabinda…

C’est vrai, au départ de la compétition et c’est le cas aujourd’hui, la Côte d’Ivoire paraît être l’ogre de la CAN. Quand on voit les individualités qui composent cette équipe, on peut penser raisonnablement que la Côte d’Ivoire est la grande favorite de cette CAN. Mais, il faudrait que dans l’équipe de Côte d’Ivoire, on apprenne à gérer les égos. Le problème avec cette équipe, c’est qu’il y a trop de grands joueurs, de bons joueurs. Je sais que si l’un ou l’autre ne joue pas, il peut ne pas le prendre comme il faut.

Or, il faut se rappeler qu’une équipe qui gagne, c’est un effectif de 20 joueurs. Ce n’est pas simplement un 11. Je pense que tous les entraîneurs au monde seraient ravis avec les dirigeants si on pouvait avoir une équipe de 11 joueurs qui seraient les meilleurs et qui ne seraient jamais blessés, jamais suspendus et jamais malades. Malheureusement, ça n’existe pas. Pour gagner une compétition internationale comme la CAN, la Coupe du monde, les Jeux olympiques et tout ça, il faut nécessairement pouvoir compter sur un effectif de 20.

On ne peut pas faire jouer plus de 11 joueurs. Si en Côte d’Ivoire, on prend ça, si les joueurs arrivent à comprendre que le palmarès sera fait par un groupe et non par des individualités, si on sait que pour gagner il faut que chacun soit au service de l’autre, la Côte d’Ivoire indiscutablement me paraît être la meilleure équipe de ce tournoi. Maintenant, pour ce qui est du prochain match des Eléphants, le match contre l’Algérie ne sera pas une sinécure. Ça ne va pas être très simple puisque l’Algérie, hormis sa défaite spectaculaire initiale subie face au Malawi, reste un groupe compact, un groupe où les joueurs ont le sens collectif. Un peu plus qu’en Côte d’Ivoire. C’est de ça qu’il faut se méfier. Si les Ivoiriens arrivent à jouer en équipe, évidemment, j’en fais mon favori. Ça reste très jouable pour les Ivoiriens, mais ce n’est pas joué.

Concrètement, la Côte d’Ivoire peut-il passer le cap algérien ?

Je le pense bien. Si les conditions que j’ai édictées sont réunies, la Côte d’Ivoire peut passer, la Côte d’Ivoire peut battre toutes les nations présentes, ici, en Angola et même au-delà. La Côte d’Ivoire est une nation de football aujourd’hui, à même de rivaliser avec les meilleurs mondiaux. Mais pour cela, il faut que les joueurs comprennent qu’ils sont au service d’un collectif et non d’un talent individuel aussi grand qu’il soit.

Après deux semaines de compétition, que peut-on retenir de l’organisation ?

Ici en Angola, on peut penser que les Autorités ont fait tout ce qu’elles ont pu. Mais, il n’en demeure pas moins qu’il y a de petits couacs. Il y a évidemment de l’inexpérience dans ce que nous voyons. Ce que je regrette le plus, c’est les difficultés d’accès que le public africain a pour rejoindre l’Angola. Les transports sont éloignés et très chers, la vie localement est très chère aussi. Ce qui fait qu’habituellement, ce qui était une grande fête africaine, ça ne l’est pas totalement aujourd’hui. Parce qu’ici, on ne voit, pas comme il est de coutume dans les autres CAN, des délégations de pays étrangers venir pour faire la fête.

Peut-on qualifier de gâchis l’élimination du Mali et du Burkina Faso?

On peut dire aisément que c’est du gâchis. Surtout pour le Mali. Quand on voit tous les joueurs qu’ils ont. Après la Côte d’Ivoire, à mon avis, c’est le Mali qui compte les plus grandes individualités de ce tournoi. Or cette équipe n’arrive pas encore à exprimer ce potentiel. C’est dû, de mon point de vue, au manque de notion de groupe. Ce que je disais tout à l’heure pour la Côte d’Ivoire est encore plus vrai pour le Mali. Il faudrait que les plus grands joueurs maliens jouent véritablement leur rôle de leader, de locomotive. J’ai l’impression qu’ils pensent à leur prestation personnelle qu’à la prestation collective. C’est dommage pour le Mali parce que ce sont des joueurs qui arrivent en fin de cycle. Sur le plan résultat, ils n’auraient pas gagné grand-chose.

Or être un joueur ou une équipe, c’est d’abord le palmarès. Ce qui n’est pas le cas pour l’instant.

Il fallait un point au Burkina face au Ghana pour se qualifier. Ils se sont pris entenaillés entre l’enclume d’un match nul qui les aurait qualifiés et le marteau d’une victoire qui les aurait qualifiés également. Ils n’ont pas fait le choix brutal. Et pourtant, ils devraient choisir. Ils devraient dire qu’on ne veut pas perdre pour nous qualifier ou gagner. Ils n’ont fait ni l’un ni l’autre.

Après votre départ de Marseille, verra-t-on un jour Pape Diouf à la tête d’un autre club ?

Vous savez, l’avenir n’appartient à personne. Aujourd’hui, j’ai plus besoin de recul, de repos. Quand on a dirigé l’Olympique de Marseille pendant cinq ans et quand on sait que la durée de vie des présidents c’est deux ans ou deux ans et demi, on a besoin de repos. C’est ce que j’observe aujourd’hui. Une chose me paraît quand même sûre. Quand on a dirigé l’OM comme je l’ai fait avec toute la sympathie populaire qui a entouré ma présidence, il est difficile après d’aller diriger un autre club en France. Ça me paraît très compliqué. Sans insulter l’avenir, je préfère dire que je ne sais pas de quoi il sera fait.

Par OUATTARA Gaoussou à Luanda