NASRI Massinissa : Azul. Pour commencer, si vous le voulez bien, où en êtes-vous dans vos études ?
ZAOUCHE Hafit : Actuellement, je suis en France, en tant qu’étudiant en sciences économiques. J’ai la chance de pouvoir continuer mes études dans ce grand pays de liberté qu’est la France. Je m’intéresse à sa démocratie et au fonctionnement de ses institutions et particulièrement à la manière de dépasser son jacobinisme dans le cas d’une Algérie plurinationale et respectueuse des différences de chacun.
Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à quitter la Kabylie ?
Je ne quitte pas la Kabylie. Je la porte en moi où que j’aille. Je ne peux vivre sans elle. C’est pour elle que je poursuis mes études en sciences économiques, dans le domaine de la macroéconomie dynamique et l’économie du développement. Ces deux domaines traitent des systèmes les mieux appropriés pour obtenir ou maintenir, dans un pays, une croissance économique optimale à long terme. En parallèle je fais aussi une spécialité dans les systèmes monétaires des banques et des assurances pour me préparer à un éventuel métier de banquier. Je vous avoue qu’en ces 4 mois de présence en France, tout ce que j’ai appris j’essaie de le mettre en perspective au service de la Kabylie. J’espère en apprendre beaucoup plus.
Ce que j’ai le plus remarqué en France, c’est la formidable disponibilité des fonctionnaires des différentes administrations à servir les acteurs économiques et le citoyen. Ils font tout pour leur faciliter la tâche. Le plus remarquable encore est la grande assistance qu’ils apportent aux créateurs et aux repreneurs d’entreprises. Contrairement à ce qui se passe en Algérie, ici les entrepreneurs ne sont pas vus comme des vaches à lait ou comme des charognards ou des esclavagistes. Bien au contraire ! Ils sont respectés et admirés et même aidés pour développer d’avantage leurs entreprises. Bien entendu, dans le respect des lois et des règles sociales(relation patron-employé) et économiques (impôts à payer). Par définition, un entrepreneur est celui qui réussit à fédérer le capital et la force de travail pour obtenir un instrument performant au service de la création de richesses. Celles-ci, in fine, profitent à toute la société, en particulier le citoyen.
Je rêve du jour où, en Kabylie autonome, et pourquoi pas dans le reste de Tamazgha, je mettrais mes connaissances à la réalisation d’un système socioéconomique assurant au peuple kabyle le confort matériel dans la liberté et la justice.
Mon projet de venir en France n’est pas tombé du jour au lendemain, il remonte à plus de 6 ans. J’ai pris de gros risques pour continuer mes études.
La plupart des kabyles, quittent la Kabylie pour ne plus revenir, sera-t-il votre cas ?
En aucune façon. Personne ne part pour ne plus revenir et j’en sais quelque chose. Pour avoir approché certains de ces nouveaux émigrants je peux vous dire qu’ils ne rêvent que du jour où ils reviendront riches pour se construire une belle maison sur la terre de leurs ancêtres, monter une entreprise pour développer la Kabylie, aider leur famille, leur village… Je me suis rendu compte qu’ils sont majoritairement comme moi. A chaque fois que j’acquiers de nouvelles connaissances, je pense au meilleur moyen de les appliquer en Kabylie dans le cadre d’une autonomie régionale la dotant d’un Etat fort et démocratique. Je ne connais personne parmi eux qui ne voudrait plus revenir en Kabylie. En plus, pour ce qui me concerne, en adhérant au MAK j’ai pris des engagements que je ne pourrai jamais trahir et je n’abandonnerai jamais mes frères de luttes qui se battent chaque jour pour que notre rêve commun devienne réalité !
Vous savez, il fut un temps où, comme tous les jeunes en mal de perspective, j’ai pour de bon perdu espoir en l’Algérie mais jamais en la Kabylie. En plus, le jour où j’ai eu l’honneur et le privilège de rencontrer des hommes de cœur et de principes au sein de la grande famille du MAK, ces derniers m’ont donné des moyens pour m’exprimer et ils ont toujours su faire montre de respect et d’écoute vis-à-vis de moi et de mes opinions. C’est alors que j’ai compris que le peuple kabyle est comme un phénix qui renait toujours de ses cendres ! C’est un honneur et un privilège pour moi d’appartenir à ce grand peuple !
Votre point de vue sur la situation du MAK en France ?
Comme c’est le cas en Kabylie, le MAK avance et voit sa base militante s’élargir en nombre et en qualité.
J’ai eu l’occasion de rencontrer quelques militants du MAK-France, et j’ai été agréablement surpriss par leur niveau intellectuel, leur sens des responsabilités et leur bonne connaissance de la situation qui prévaut en Kabylie. Les militants du MAK sont physiquement en France mais leur cœur et leur pensée sont en Kabylie.
Je n’oublierai pas d’ajouter que le MAK est aujourd’hui présent dans de nombreux pays d’Europe et d’Amérique. Il est même présent au Japon, ce qui est une bonne nouvelle pour nous, tous.
Pourquoi les kabyles n’arrivent toujours pas à constituer un lobby politique puissant en France ?
Cela tient à leur histoire chaotique. La débandade qui avait suivi la guerre du FFS en 1963, au lendemain de l’indépendance de l’Algérie, avait divisé les rangs kabyles entre « amicalistes » pro-régime algérien et l’opposition constituée par le FFS de Hocine Ait Ahmed, le MDRA de Krim Belkacem et le PRS de Boudiaf dont plus de 80% de ses militants étaient kabyles. Mettre sur pied une organisation des Kabyles en France c’est d’abord reconstruire un espoir et une confiance. C’est ce à quoi s’attelle aujourd’hui le MAK-France. Les Kabyles de France commencent à avoir une visibilité à travers cette organisation et celle des Taxis Kabyles Parisiens, des premières associations qui ne s’appellent plus berbères ou amazighes mais kabyles, celles regroupées au sein de la CABIL…
La construction d’un lobby demande du temps et des conditions dont des moyens financiers. J’ai la ferme conviction que nous y arriverons tôt ou tard.
Nous devrions prendre exemple sur le peuple juif. Jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre Mondiale ils étaient considérés comme des sous-hommes par leurs pays d’adoption. Mais le fait d’être parvenus à créer un Etat puissant a fait d’eux des hommes et des femmes respectés de par le monde. Ce que je veux dire est ceci : Si les kabyles veulent être respectés en Algérie et dans leurs pays d’accueil, ils ont intérêt à avoir derrière eux un Etat qui puisse défendre leurs intérêts. Un Etat propre à eux et non l’Etat algérien qui est là pour les réprimer et non pour les défendre. De ce fait, il est du devoir de chaque kabyle de se battre pour l’autonomie de sa première patrie où qu’il soit ne serait-ce qu’en faisant des dons, même minimes, au MAK.
A part le livre de Ferhat, on constate un manque d’ouvrages sur l’autonomie. Selon vous, à quoi cet état de fait est-il dû ?
Certes, il y peu de publications de ce genre. En plus de « Algérie : la question kabyle » de Ferhat, il ya l’essai de Salem Chaker qui est le pionnier en la matière, les actes de trois rencontres : Ecancourt (février 2002), Kabylie-Catalogne (septembre 2002), Conférence Méditerranéenne des Nations Sans Etat, sans compter le livre de Mohand Tilmatine avec Rolles sur le droit des peuple à disposer d’eux-mêmes et la nombreuse littérature du MAK depuis 2001. On peut aussi citer le livre de Younes Adli, « La Kabylie à l’épreuve des invasions , ainsi que celui de Khalfa MAMERI « ABANE RAMDANE : le faux procès » dans lequel l’auteur évoque l’autonomie de la Kabylie comme une solution très positive pour tous les Algériens.
Pourquoi selon vous les partis politiques les plus influents en Kabylie ne vous soutiennent pas ?
Pour deux raisons essentielles. La première est le fait qu’ils vivent le MAK comme un rival auquel il ne faut faire aucun cadeau. La deuxième est qu’ils ne veulent pas paraitre pour ce qu’ils sont réellement, c’est-à-dire des partis kabyles. Ils se disent « nationaux » au sens algérien du terme mais ne reçoivent de suffrages que kabyles. Leurs bureaux, quand ils en ont quelque part en dehors de la Kabylie, ne sont gérés que par des Kabyles.
Qu’ils le veuillent ou non, ces partis ont un projet de société qui ne correspond pas à la société non-Kabyle. A ce titre, ils seront toujours des partis minoritaires car rejetés ailleurs pour leur identité kabyle.
Ce que je leur conseille, c’est d’admettre que la Kabylie a une telle identité et un tel besoin de son autonomie régionale que cette revendication mériterait qu’elle soit soutenue par eux. Elle leur ramènera la confiance populaire qui les a désertés depuis dix ans. Il serait salutaire pour eux d’appeler à ce que la Kabylie serve de modèle à une future autonomie progressive de toutes les régions d’Algérie. Bref, ils ont intérêt à soutenir ouvertement le MAK. Cela fera gagner du temps pour tout le monde !
Pour le moment, pour se valoriser aux yeux des non-Kabyles et pour ne pas laisser le MAK prendre leur place ils traitent celui-ci en chœur de séparatiste. Or le MAK ne l’est pas, bien au contraire ! C’est un mouvement qui ne cherche que le bien de l’Algérie mais dans le strict respect des différences de chaque peuple qui la compose.
Même les chanteurs kabyles les plus en vue, en dehors d’Oulahlou, hésitent à vous apporter leur soutien ?
Il y a beaucoup de chanteurs qui nous soutiennent, soit à travers des chansons soit par leurs présence dans des manifestations diverses du MAK, soit avec des déclarations sur scène ou dans des interviews.
La plupart d’entre eux ont compris que la lutte pour l’autodétermination de leur peuple est un droit absolu, que l’Etat algérien le veuille ou non ! Chacun est donc en train de faire ce qu’il peut en son âme et conscience et l’Histoire leur sera tous reconnaissante !
Je salue au passage le courage d’Oulahlou mais aussi celui de tous ceux, nombreux qui chantent et qui expriment le désir de liberté du peuple kabyle.
On vit dans la société d’information, le peu de journaux en Tamazight qui ont existé ont disparu, faute de lecteurs alors que les journaux arabophones ne cessent de battre des records. Iwac ?
La Kabylie lit en français. Le kabyle, jusqu’à preuve du contraire, n’est ni reconnu ni enseigné. Il faut savoir que sans une institutionnalisation de la langue kabyle pour son usage partout dans les administrations de Kabylie, elle sera vouée à disparaitre d’ici quelques dizaines d’années. Sans un Etat régional kabyle, le temps travaille contre la Kabylie !sachez le !
Comment voyez-vous les marches du MAK de ce Yenayer 2010 ?
Il y a de quoi être très fier de ces actions. Malgré l’absence d’information que le régime a censurée, la répression et les interpellations, le fait que le 12 janvier n’est pas férié, l’insécurité, le terrorisme, la jeunesse kabyle a répondu à l’appel du MAK. C’est une très grande victoire. Vgayet a marché avec plus de 6000 personnes, Tizi-ouzou avec presque autant et Bouira, un peu moins. C’est un prélude pour faire du 20 avril prochain, en ce 30e anniversaire du printemps berbère et le 9e du printemps noir, le rendez-vous historique avec notre destin de liberté.
Un dernier mot ?
A tous ceux qui essayent de discréditer Ferhat MEHENNI, je leur demande d’arrêtez leurs inepties !
Ferhat MEHENNI est dans le cœur de tous les kabyles et ils savent très bien que c’est un homme de principes et d’honneur, il ne trahira jamais les siens.
C’est l’un des hommes les plus intègres et les plus intelligents que j’ai eu à rencontrer et c’est un honneur pour moi de servir la même cause que lui et je peux vous dire qu’il fera un exceptionnel chef d’Etat car il est de la même trempe que Winston CHURCHIL, Abraham LINCOLN et Franklin ROOSEVELT !
Tanemmirt !
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