Interview de Zemmour Zine Eddine, spécialiste du phénomène des harraga

Interview de Zemmour Zine Eddine, spécialiste du phénomène des harraga

L’interception d’une embarcation de harraga à Annaba, samedi dernier, ayant conduit à la mort d’un jeune homme avec aussi le bilan de 11 blessés, anime encore les débats des Algériens.

Zemmour Zine Eddine, chercheur au CRASC, spécialiste du phénomène « harraga » décortique, dans cet entretien, les raisons qui poussent les jeunes à risquer leur vie pour tenter de regagner le rivage des pays européens.

De plus en plus de harraga tentent l’aventure périlleuse, malgré toutes les mesures coercitives employées par l’Etat. Qu’est-ce que cela inspire au spécialiste que vous êtes ?

– Soyez sûr que les actions par à-coups ne mènent pas loin et les options appuyées sur des démarches occasionnelles n’ont jamais aidé à trouver des solutions radicales sur le long terme.

Il faut me croire, ça incite plus que ça ne dissuade le jeune harrag. Le traitement sécuritaire est fatalement inopérant s’il n’est pas suivi d’approches globales qui associeraient tout le monde.

C’est quoi tout le monde ?

– Tout le monde c’est les politiques, le mouvement associatif, la société civile, les médias, les chercheurs universitaires, les sociologues et surtout les jeunes, eux qu’on oublie toujours, eux les principaux concernés qui n’ont pas droit au chapitre, le chapitre de leur avenir.

Mais comment faire alors pour atténuer ce besoin de partir au risque de perdre sa vie ?

– Il faut rappeler d’abord que le phénomène de la harga (émigration clandestine) n’est pas nouveau et qu’il faut remonter loin pour trouver sa source.

Ceci dit, les jeunes d’aujourd’hui, candidats à l’émigration clandestine, souffrent tout d’abord d’un problème d’écoute, ils souffrent d’un problème d’intégration chez eux, dans leur propre pays.

Le jeune se sent rejeté par les responsables, par sa société, il subit de plein fouet la bureaucratie générée par une administration à son tour gangrenée par le clientélisme, la corruption à tous les niveaux et le laisser-aller.

L’exclusion mène à tout, même aux solutions extrêmes : la mort.

Mieux s’ouvrir aux jeunes, d’après vous, cela peut-il suffire ?

– Grandement. Il faut savoir les écouter et surtout ne pas essayer de les « sensibiliser », une énième fois, sur les pseudo politiques de leur intégration économique à travers des opérations de type Ansej, Anjem, etc., leur expliquer ce qui se passe là-bas, leur montrer des films sur la crise qui sévit en Europe et ailleurs, des reportages filmés, leur faire découvrir que ce qui se dit et se fait là-bas n’est pas nécessairement la vraie vie.

Il y a de fausses images qui circulent, de fausses vérités, de faux clichés sur la réussite de certains jeunes qui sont arrivés en Europe, de l’autre côté de la mer.

Installer une sorte de médiateurs ne serait-ce pas une bonne approche pour corriger ces images, inverser le cours des choses ?

– Absolument, mais des médiateurs qui sachent ce que l’Etat veut, un Etat qui ne se voile pas la face, un Etat courageux qui ne méprise pas ses jeunes.

Des médiateurs pleinement conscients de leur mission. Des médiateurs dont l’interlocuteur privilégié serait précisément ce jeune tenté par l’aventure du zodiac.

Un jeune qui peut nourrir l’espoir sans avoir peur du lendemain, un jeune dont on ne parle pas à sa place, un jeune qui sait qu’il a effectivement une place dans sa société, un jeune à qui on n’exige pas une tchipa à la moindre démarche administrative.

Bouziane Benachour