Interview de Dr. Makri sur sa participation à la « Global Sumud Flotilla », sa vie politique et l’Algérie

Interview de Dr. Makri sur sa participation à la « Global Sumud Flotilla », sa vie politique et l’Algérie
Dr. Abderrazak Makri

À 65 ans, il s’est embarqué sur la « Global Sumud Flotilla » pour briser le blocus de Gaza. Ancien dirigeant partisan mais toujours acteur du débat national, Dr. Abderrazak Makri refuse l’étiquette de retraité politique. Loin des jeux partisans, il revendique un engagement plus direct à travers des publications, des conférences, des interventions médiatiques et des prises de position sur les grandes causes, en particulier la Palestine.

Dans cet entretien exclusif, il explique pourquoi il reste au cœur de la scène politique algérienne, détaille les raisons qui l’ont poussé à prendre la mer pour Gaza, répond aux accusations de “buzz” lancées par ses détracteurs et revient sur les défis logistiques de cette flottille internationale.

Vous vous êtes retiré de la scène politique depuis deux ans. Où en êtes-vous aujourd’hui ?

Je ne me suis pas retiré de la scène politique ; je ne m’occupe plus de la vie partisane. Et ce,  parce que, tout simplement, j’ai achevé mon parcours au sein du parti — d’un simple militant jusqu’à la présidence du parti, en passant par de nombreux échelons structurels et de multiples missions militantes, diverses et variées.

Mais je regrette de dire que ma longue expérience partisane m’a fait comprendre que le travail de parti est devenu presque inapte d’opérer le changement  politique voulu, dans le contexte d’autoritarisme et de contrôle total de l’espace partisan que connaît l’Algérie, et en l’absence, dans la classe partisane, de personnalités dirigeantes ayant la capacité et la volonté d’affronter cet autoritarisme.

Quant à l’action politique, j’en suis au cœur, par mes prises de position publiques et mes contributions à l’opinion générale  à travers des interventions  variés, (publications, articles, colloques, conférences, émissions politiques dans divers médias). Chacun peut constater que je suis l’une des personnalités les plus présentes sur la scène politique interne et sur les questions internationales, la cause palestinienne en tête actuellement. Et je fais l’objet d’attaques méthodiques de la part de réseaux divers que je gene par mes positions (le pouvoir, des courants idéologiques et politiques extrémistes…).

À 65 ans, vous choisissez de participer à la « Global Sumud Flotilla » pour briser le blocus de Gaza. Qu’est-ce qui motive cette décision

Il ne fait aucun doute que l’âge a un effet lorsqu’il s’agit d’un voyage long et pénible comme celui-ci, mais la noblesse de la mission, la volonté, l’expérience et l’habitude de l’action aident beaucoup. Les raisons qui m’ont poussé à participer à cette flottille sont nombreuses, mais je peux les résumer en deux points :

Premièrement — ma participation à la flottille fait partie de mon attachement à la cause palestinienne. Mon lien avec cette cause a plusieurs dimensions : la première est un attachement lié à ma foi et à la place de la mosquée al-Aqsa dans notre religion ; la deuxième est le danger stratégique que représente le projet sioniste pour tous les pays islamiques sans exception, y compris mon pays, l’Algérie. Ce danger stratégique a d’ailleurs été proclamé par Netanyahou lui-même.

Celui qui comprend cela réalise que ces héros qui résistent à l’occupation sioniste le font pour leur pays, mais aussi pour protéger la mosquée al-Aqsa. En même temps, ils se tiennent en première ligne pour défendre notre Oumma et tous les pays arabes et musulmans.

En outre, le sionisme constitue une partie essentielle des forces internationales à l’origine des grandes crises auxquelles l’humanité est confrontée. C’est pourquoi il faut, par toutes sortes d’initiatives, y compris la flottille, soutenir ceux qui combattent et résistent pour leur pays, pour la mosquée al-Aqsa, pour le monde arabe et musulman, et dans l’intérêt de toute l’humanité.

DeuxièmementAucun être humain sensé ne peut rester les bras croisés devant les images du génocide perpétré contre les Palestiniens à Gaza par les bombardements, la famine et la destruction de toutes les conditions de vie. Lorsque nous voyons ces images, nous nous mettons en colère, nous pleurons et nous sommes profondément attristés ; mais nous ne devons pas laisser ces émotions nous abattre. Il faut les transformer en actions sérieuses et efficaces qui contribuent à mettre fin à la guerre, à porter secours aux habitants de Gaza et à briser définitivement le blocus qui pèse sur eux.

Et puisque je m’engage à inciter d’autres personnes à entreprendre ces différentes actions, je dois, d’un point de vue moral, me placer en première ligne de ces initiatives, même si elles sont dangereuses.

Certains de vos détracteurs, confortablement installés en Algérie, vous accusent de ne chercher qu’à faire le buzz. Que leur répondez-vous ?

Ceux qui tiennent de tels propos sont guidés uniquement par leurs orientations politiques et idéologiques. Dans ce jeu de rivalités et d’antagonismes, toute initiative que j’entreprends — même si elle incarne les aspirations profondes du peuple algérien — est perçue par eux comme une simple tentative de faire le buzz.

Ils sont, en réalité, soit opposés aux causes nobles pour lesquelles nous luttons, soit engourdis dans le confort de leurs sièges — comme vous le dites — incapables de se hisser jusqu’au sacrifice et de faire face  au danger. Ils supportent mal que d’autres les dépassent dans ce domaine.

Pour ma part, je ne prête aucune attention à leurs jugements, car je n’accomplis que ce que je considère comme un devoir devant Allah et ma conscience. Dans cette mission, ce qui peut réellement m’apporter du réconfort et protection  face aux dangers, c’est la satisfaction d’Allah pour ce que nous entrepenons, et non la vaine recherche du buzz.

Les médias annoncent la présence d’une cinquantaine de bateaux. L’objectif est-il d’arriver simultanément à Gaza ?

Oui, Cependant, de nombreuses difficultés techniques sont apparues, liées aux types de navires, aux aléas des conditions climatiques ainsi qu’à la prolongation de la durée de la mission, ce qui a entraîné une diminution du nombre de bateaux. Actuellement, il en reste environ quarante en route, mais de nombreux autres bâtiments tentent de rejoindre le convoi, et, selon les organisateurs, l’idée de lancer une flotte encore plus importante est à l’étude.

En 2015, lors de votre première participation à Estoul El-Houria, les conditions étaient différentes. Cette fois, vous traversez sur de petits et moyens bateaux : comment vivez-vous ce trajet ?

C’était en 2010 — il s’agissait de la première Flottille de la Liberté, à laquelle participait le navire Mavi Marmara, sur lequel nous nous trouvions. Ce grand bâtiment a été attaqué par les forces israéliennes, et dix participants y ont trouvé la mort en Martyre.

La différence tient, bien sûr, au nombre de navires : cette fois-ci, ils sont plus nombreux, dont beaucoup de voiliers, mais la majorité reste de petite taille. Cela a entraîné d’importantes difficultés et davantage de problèmes, tels que les risques liés aux tempêtes. Certains bateaux sont tombés en panne, ce qui a contraint à de longues haltes pour le regroupement des embarcations, prolongeant ainsi la durée de la mission.

Des situations imprévues sont apparues — comme le mal de mer durant les premiers jours — ainsi que quelques problèmes organisationnels, la souffrance des personnes atteintes de maladies chroniques dont certaines se sont retrouvées à court de médicaments, et enfin le défi de la promiscuité dans des espaces réduits entre des personnes qui ne se connaissaient pas, venues de nationalités, de cultures et d’habitudes différentes. Jusqu’à présent, tous ces problèmes ont été surmontés, ce qui contribue à enrichir à la fois l’expérience de la Flottille elle-même et l’expérience personnelle de chacun des participants.

Qu’attendez-vous de cette mission et quelles sont vos principales craintes face à l’armée israélienne

L’objectif principal de cette mission est clair : briser le blocus et établir un couloir maritime humanitaire stable et permanent pour secourir la population de Gaza, pendant la guerre comme après.

D’autres objectifs viennent s’y ajouter : acheminer une aide urgente face à la tragédie en cours, accentuer l’attention de l’opinion publique mondiale, et créer des réseaux durables  des quatre coins du monde, de toutes les nationalités et les croyances , pour soutenir la cause palestinienne.

Il s’agit aussi de mobiliser les peuples arabes et musulmans, de mettre en épreuve  l’impuissance et le manque d’engagement de certaines élites, de dénoncer d’avantage les crimes sionistes, et d’accentuer l’isolement international du sionisme et de ses dirigeants — tant sur le plan populaire qu’officiel.

Après l’attaque israélienne contre les dirigeants du Hamas au Qatar, l’Algérie pourrait-elle les accueillir et garantir leur sécurité, sachant que vous avez affirmé qu’elle est désormais une cible d’Israël ?

L’accueil des dirigeants du Hamas par les autorités algériennes ne représente pas seulement un défi sécuritaire, mais avant tout un défi politique. La première question est de savoir si l’Algérie peut assumer l’activité politique de la direction du Hamas, en tant que dirigeants de la résistance ou, au moins, dans leur activité diplomatique, qui ne peut s’exercer que sous une couverture internationale et régionale — couverture dont dispose aujourd’hui le Qatar. La venue des dirigeants du Hamas en Algérie ne devrait pas être assimilée à une détention ou à une résidence surveillée : cela ne ferait pas honneur à l’Algérie.

En réalité, je ne crois pas que les responsables algériens accepteraient de supporter la charge de toute activité de la direction de la résistance sans une couverture internationale et régionale. Comme nous l’a rappelé feu Abdelhamid Mehri, l’exigence américaine signifiée à l’Algérie concernant la question palestinienne est de ne pas s’ingérer dans ce dossier.

La tentative algérienne de rassembler les Palestiniens selon le projet “ la déclaration d’Alger” en octobre 2022 s’inscrivait dans le cadre de transformations particulières que j’ai expliquées dans de nombreux articles et conférences. Lorsque cette initiative n’a pas réussi à convaincre la résistance d’accepter la légitimité internationale, elle est tombée, et l’Algérie est revenue à sa politique de neutralité, s’éloignant d’un rôle de leadership régional et international sur la question palestinienne. Le dossier est alors resté entre les mains du Qatar et de l’Égypte, puis des autres pays du Golfe et de la Turquie.

Quant aux menaces sécuritaires, elles dépendent de la capacité de l’ordre international à freiner la folie de Netanyahou ; sinon, il frappera n’importe où dans le monde sous couvert américain. Il est impensable que l’Algérie soit prête à affronter l’« entité sioniste » et les États-Unis.

Quel message souhaitez-vous adresser en conclusion de cette interview ?

Le message que je veux adresser est le suivant : « la flotille Essoumoud » constitue une étape historique majeure de la question palestinienne qui a accompli une grande partie de ses objectifs avant même d’atteindre Gaza. Et même si la flottille parvenait à Gaza, elle demeurerait une étape fondamentale dans la lutte pour la libération de la Palestine et pour finir avec le sionisme — sans pour autant provoquer un exploit définitif rapide et décisif. Elle représente un cours d’eau puissant dans la construction d’un vaste océan  qui commence à se former en faveur de la cause palestinienne.

À ce cours doivent s’ajouter de nombreux autres fleuves créés par les initiatives des musulmans et des peuples libres du monde, à tous les niveaux — officiels et populaires — et avec une ambition à la hauteur des événements historiques que nous vivons depuis le commencement du déluge d’al‑Aqsa, dépassant les considérations personnelles, partisanes et les positions pusillanimes.

Nous parlions déjà de l’imminence de la libération de la Palestine sur des bases doctrinales, et à partir d’une lecture des événements historiques, des lois sociales et de l’inéluctable disparition de tout occupation quand les peuples occupés s’obstinent à lutter pour la libération de leurs parties  et leurs lieux sacrés. Aujourd’hui, nous constatons de nos yeux l’affaiblissement interne et à l’echelle international de l’entité sioniste, et  face à la résistance et à la résilience du peuple palestinien.

Celui qui s’engage dans ce noble processus et à soutenir ce mouvement historique  victorieux se place du bon côté de l’histoire ; quant à celui qui hésite ou recule, qu’il craint qu’il soit de ceux qu’Allah  « réprouve leur résurgence »  et que l’histoire le maudisse.