Yebda : «Ce qui était choquant, c’est que les agresseurs n’ont pas eu de respect pour des personnes âgées comme Saâdane et Raouraoua»
Belhadj : «En arrivant à Khartoum, c’est comme si nous avions été libérés de prison»
Encore marqués par la qualification pour la Coupe du monde et la liesse populaire qui s’en est suivie, Nadir Belhadj et Hassan Yebda se sont quand même remis au travail avec leur club, Portsmouth, en difficulté en championnat. C’est au centre d’entraînement du club, situé à Eastleigh, que nous les avons rencontrés pour revenir sur la folle semaine au Caire et à Khartoum.
Nous vous proposons cet entretien croisé où les deux internationaux algériens répondent aux questions comme dans une discussion conviviale.
La fête a eu lieu, les lampions se sont éteints et vous êtes tous deux revenus à votre club, Portsmouth. Etes-vous redescendus de votre nuage ?
Hassan Yebda : Oui, il le fallait bien puisque nous avons des obligations avec le club. Nous sommes retombés de notre nuage, mais ce que nous avons vécu est toujours présent dans notre esprit, surtout après ce que la qualification a engendré comme liesse en Algérie.
Nadir Belhadj : Comme l’a dit Hassan, nous sommes obligés de nous concentrer de nouveau sur le championnat d’Angleterre. Notre club, Portsmouth, connaît une situation délicate. Nous sommes derniers au classement et nous devons nous ressaisir. Cela dit, nous pensons toujours à la formidable joie qu’a connue le peuple algérien.
Vous deux êtes habitués aux folles ambiances dans les stades européens, vous, Yebda, avec Benfica dans les grands matches du championnat portugais et dans la Coupe de l’UEFA et vous, Belhadj, en ayant joué dans des stades grands et prestigieux tels Old Trafford, Anfield Road et Emirates Stadium.
Avez-vous, pour autant, été impressionnés, voire intimidés par l’ambiance du Cairo Stadium ?
H. Y. : Non, pas du tout. Certes, il y avait beaucoup de gens qui nous disaient qu’il y aurait 80 000 personnes, que ça allait être impressionnant. Cela l’avait été effectivement lorsque nous sommes rentrés sur le terrain, mais c’était tout simplement un match de foot, avec 22 joueurs sur le terrain, et puis c’est tout.
Pour vous, il y avait donc 11 joueurs contre 11, abstraction faite de l’ambiance autour…
H. Y. : Absolument. Une fois sur le terrain, les supporters ne nous y accompagnent pas. Il y a sur le terrain 11 joueurs contre 11 et chaque équipe essaye de gagner le match et ça s’arrêtait là.
N. B. : Moi non plus, je n’ai pas été impressionné. Cela fait longtemps que je joue en sélection et j’ai joué pas mal de matches dans des grands stades. Même chez nous, en Algérie, c’est impressionnant dans les gradins quand nous jouons. Il ne faut pas le nier : le Cairo Stadium est un très beau stade et il y avait une superbe ambiance. Cependant, nous sommes rentrés sur le terrain en nous concentrant exclusivement sur ce qu’il fallait faire.
Dès que l’arbitre a donné le coup de sifflet pour le début du match, ça y est, nous sommes rentrés dans le match.
Compte tenu de l’enjeu du match, vous vous attendiez certainement à beaucoup de choses en matière de guerre psychologique, mais sincèrement, vous attendiez-vous à être accueillis à coups de pierres ?
N. B. : Personnellement, non. Nous avons fait notre préparation en Italie afin de bien nous concentrer et, en nous rendant en Egypte, nous nous attendions à certains trucs, comme à ce qu’ils fassent du bruit près de l’hôtel ou à ce qu’ils organisent des mariages dans l’hôtel même, mais une agression à coups de pierres ne nous est pas venue à l’esprit. Nous n’avons pas du tout pensé à ce scénario-là.
H. B. : Non, nous n’y avons pas pensé du tout. Il y a certains joueurs qui ont été un peu choqués par ces faits, mais d’autres non. En tout cas, moi, je ne l’ai pas été, tout comme Nadir (Belhadj, ndlr), Karim (Ziani, ndlr) ou Rafik (Djebbour, ndlr).
Vous avez quand même été inquiets après les blessures dont ont été victimes vos coéquipiers…
H. Y. : Bien sûr ! Ce qu’il y a, c’est qu’au départ, quand les pierres premières pierres ont été lancées dans le bus, nous nous sommes mis par terre et nous n’avons pas vu ce qui se passait. C’est vrai que le bruit des bris de vitre était impressionnant, mais nous ne nous imaginions qu’il allait y avoir des blessés.
N. B. : C’est une fois descendus du bus pour rentrer dans l’hôtel que nous nous sommes rendu compte que c’était grave. Ce qui était vraiment choquant, c’est que cela s’est passé alors que nous venions juste d’arriver. Nous avons été agressés direct ! Pour être accueillis, on a été bien accueillis !
H. Y. : Si cela était arrivé aux joueurs seulement, cela aurait pu passer, mais il y avait avec nous des personnes âgées : le coach, le président de la Fédération… Il y avait un minimum de respect à avoir envers les personnes d’un certain âge. C’est cela, à mon sens, qui choquait le plus.
Avant ce match, vous étiez, au sein de la sélection, des amis, des coéquipiers, des potes…
L’épreuve que vous avez traversée tout ensemble a-t-elle ressoudé les liens entre vous au point de devenir une véritable famille ?
N. B. : La sélection était une famille depuis que M. Saâdane a repris les rênes. Quand il prend la parole, c’est en père de famille qu’il s’adresse à nous. Tout le monde prend la parole.
Lorsqu’il y a un problème, on le règle tout de suite, sur place. Il n’y a rien à dire : c’est une vraie famille. Hassan nous a rejoints récemment et il s’est très vite intégré. On dirait qu’il est avec nous depuis 10 ans ! Pareil pour Djamel Abdoun et Mourad Meghni. Cela dit, cette épreuve en Egypte nous a soudés encore avantage.
H. Y. : C’est vrai. Je suis arrivé en sélection il n’y a pas si longtemps et je n’ai pas eu besoin d’intégration. J’ai joué contre le Rwanda directement. Je connaissais la plupart des joueurs avant que je ne vienne et j’ai été très bien accueilli. Franchement, il faut le vivre pour le croire.
Pouvez-vous me donner une image que vous gardez du séjour au Caire ?
N. B. : Moi, l’image qui m’est restée dans l’esprit, c’est qu’après le match, on nous a laissé attendre deux heures dans le bus et, sur le chemin du retour vers l’hôtel, on nous insultés et on nous a également lancé des pierres, mais nous chantions dans le bus. Cela voulait dire que nous sommes des Algériens.
Nous n’avons pas baissé la tête, nous n’avons pas cédé devant la difficulté. Nous avons continué à chanter.
A quel moment avez-vous senti que le match de Khartoum sera tout à fait différent de celui du Caire ?
H. Y. : Moi, c’est aussitôt à notre arrivée au Caire.
N. B. : C’est vrai. Nous avons senti un accueil vraiment différent. Des Soudanais étaient là, tenant des drapeaux algériens.
C’est comme si nous n’étions emprisonnés au Caire et que nous avions été libérés à Khartoum. Nous étions des otages et la libération a été à notre arrivée au Soudan. Et puis, la FAF a tout fait pour nous mettre dans de bonnes conditions en nous réservant dans un très bel hôtel. D’ailleurs, il faut souligner que même au Caire, elle avait fait un bon travail en matière d’organisation en nous mettant dans un étage de l’hôtel où il n’y avait que des Algériens.
H. Y. : Même la sécurité était assurée par des Algériens dépêchés sur place avant notre arrivée. Vraiment, la FAF a fait du bon travail dans ce domaine, que ce soit au Caire ou à Khartoum.
Comment receviez-vous les nouvelles sur l’arrivée massive des supporters algériens ?
N. B. : Avec joie puisque c’est ce qui nous manquait : nos supporters ! Au Caire, nous avons été victimes de hogra. Cela nous avait fait plaisir de voir qu’il y avait des supporters algériens au Cairo Stadium, mais on les a placés tout en haut et il y avait des places vides autour d’eux où plusieurs milliers d’autres pouvaient s’installer.
Certains d’entre eux ont été bastonnés après le match…
N. B. : Oui et nous n’avons pas du tout aimé. En revanche, ce que nous avons aimé, c’est de voir les supporters algériens déferler à Khartoum. Au début, on disait que le Soudan est un pays frontalier de l’Egypte et que les supporters égyptiens allaient être très nombreux, mais nous avons été agréablement surpris de voir que les Algériens s’étaient tous mobilisés pour nous soutenir.
Nous avions la télévision algérienne dans nos chambres à Khartoum. Franchement, cela nous a donné du cœur et ça nous a fait très plaisir de voir nos supporters là-bas.
Y a-t-il une phrase que le sélectionneur Rabah Saâdane a prononcée lors de la causerie d’avant-match et qui vous a fait prendre conscience que c’était jouable ?
N. B. : Il n’y avait pas besoin de phrase. Même au Caire, nous croyions à la qualification. Nous savions que ça allait être difficile, mais faisable. Nous allions jouer à Khartoum sur terrain neutre et nous avions donc toutes les chances de notre côté.
H. Y. : Quand il parle, le coach sait trouver les mots qu’il faut pour nous motiver. Tout ce qu’il dit est intéressant et motivant. Sur ce plan, il a pleinement joué son rôle.
N. B. : Et puis, après ce que nous avions subi au Caire, nous étions naturellement motivés. Lorsque les Egyptiens étaient venus chez nous, nous les avions bien accueillis. Là, ils nous ont fait le contraire.
Il y avait une revanche à prendre et cela nous motivait particulièrement.
Entretien réalisé à Eastleigh par Farid Aït Saâda
(à suivre)