Interview de Abdelhak Lamiri expert économiste et PDG de l’INSIM

Interview de Abdelhak Lamiri expert économiste et PDG de l’INSIM

– Le retrait du groupe émirati Emaar a suscité moult questionnements sur les raisons – inexpliquées jusqu’ici – de ce départ. Quelle est votre lecture à ce propos ?

Le gouvernement algérien a le droit de promulguer les lois qu’il juge nécessaires pour développer et protéger l’économie nationale en toute souveraineté.

Le groupe Emaar a le droit aussi d’orienter ses ressources dans les pays qu’il juge les plus attractifs en termes de rentabilité.

Il n’y a pas lieu de s’alarmer sur cet événement. Maintenant, il y a un débat intense entre Algériens, entre responsables économiques et observateurs étrangers.

Il faut que la position officielle soit très claire. L’Algérie peut facilement défendre son cas et être en conformité avec ses engagements internationaux.

Nous devons avoir des concertations très intenses entre Algériens, venir avec des propositions crédibles et tous œuvrer pour expliquer la position des pouvoirs publics.

Même si le gouvernement a raison, il lui manque une stratégie de communication.

– Le gouvernement a fait, il y a quelques années, des investissements directs étrangers (IDE) une option privilégiée pour stimuler la croissance. Pensez-vous que l’affaire Emaar et d’autres investissements arabes témoignent d’un cumul de maladresses chez nos responsables en charge des dossiers économiques ?

Certes, l’importance des IDE dans le processus de développement a été exagérée.

Aucun pays ne s’est développé avec les IDE, bien que leur rôle puisse être important.

Sur les derniers développements, il ne faut pas oublier que les autorités algériennes ont raison sur le fond.

Mais il y a un problème de méthode. N’oubliez pas que les IDE spéculatifs ont causé la crise asiatique.

Des économies industrialisées et superbement gérées ont failli être laminées par des flux d’investissements spéculatifs sur les marchés financiers.

Chez nous, c’est l’immobilier qui était la cible. Il y a eu un problème de mesures correctives et de communication. Mais sur le fond, les autorités algériennes ont raison.

– Les investissements spéculatifs en Algérie, dont une bonne partie sont l’œuvre d’investisseurs arabes, s’élevaient à des dizaines de milliards de dollars. Quel serait le risque pour l’économie algérienne, si la tendance venait à être soutenue davantage ?

Les risques pour l’économie algérienne sont énormes. Nous sommes un pays qui ne sait pas exporter.

Nous devons orienter les investissements étrangers vers les secteurs d’exportation ou de substitution à l’importation.

La Corée du Sud a de tout temps fonctionné comme cela. Je ne vois pas pourquoi on ne permet pas à l’Algérie ce que les autres pays ont fait de tout temps.

Nous courons le risque de voir un jour, peut-être dans dix ans, toutes nos recettes d’exportation transférées en dividendes, alors l’effet sera dévastateur sur l’économie algérienne.

Comment remédier à cela ? La seule mesure efficace, non controversée et qui respecte les engagements internationaux de l’Algérie vis-à-vis de l’UE, est celle que j’ai proposée, à savoir que l’impact de tout investissement doit être positif sur la balance des paiements.

Je peux même vous donner la formulation succincte : impact = investissements (en monnaie de réserve) + exportations + substitution aux importations – achats à l’étranger (équipements et matières) – dividendes.

Bien sûr, il faut former nos financiers à calculer l’impact dans les détails. Ce qui a faussé complètement le débat, ce sont ces propositions de 51% et 30% qui sont inutiles et controversées.

Lorsqu’un investissement fait rentrer plus de devises qu’il n’en fait sortir (y compris les dividendes) même s’il est à 100% étranger, son impact sur l’économie algérienne serait bénéfique.

Pourquoi avoir introduit une disposition inutile et controversée ? L’impact sur la balance des paiements est suffisant.

– Pensez-vous que les dernières décisions du gouvernement Ouyahia sur l’investissement étranger sont en mesure de mettre un terme aux investissements spéculatifs ? Pensez-vous qu’une autre affaire, semblable à celle d’Emaar, est encore possible à l’avenir ?

Sans nul doute, les investissements spéculatifs vont se réduire comme peau de chagrin. La plupart des entreprises, comme Emaar, vont sous d’autres cieux.

Il faut expliquer à nos frères arabes que les pays développés accueillent favorablement les investissements dans l’immobilier pour plusieurs raisons.

Ils ont des secteurs très compétitifs et bien régulés. En second lieu, cela libère le capital national pour l’investir dans la recherche et le développement et la haute technologie, pour continuer à exporter et à dominer l’économie mondiale.

L’Algérie n’est pas dans cette situation. Si les dividendes atteignent 30 milliards de dollars, ils deviennent un danger pour l’économie nationale.

Nous ne pouvons pas nous permettre n’importe quel type d’investissement. Que ceux qui défendent tous azimuts l’investissement étranger fassent des recherches approfondies sur la crise asiatique et ils comprendront les dangers d’investissements internationaux mal orientés.

Pour l’Algérie, il faut travailler sur ces grands axes : provoquer une concertation élargie sur la question au niveau national, former nos banquiers à l’analyse de l’impact sur la balance des paiements (ce qui n’est pas compliqué), introduire avec force l’analyse de l’impact sur la balance des paiements et éliminer les autres dispositions qui sont tout à fait inutiles et posent problème.

Il s’agit aussi de revoir la stratégie de communication. Nous avons beaucoup d’atouts dans nos dispositions face aux IDE, surtout les crédits bancaires.

Il faut continuer, bien sûr, à améliorer le climat des affaires, à former des ressources humaines qualifiées, à promouvoir l’entreprise algérienne et à introduire de doses massives d’un management institutionnel efficace au sein d’une stratégie de développement clairement comprise par tous.