Interpellés vendredi en marge du Hirak : Des porteurs de drapeaux amazighs devant le juge aujourd’hui

Interpellés vendredi en marge du Hirak : Des porteurs de drapeaux amazighs devant le juge aujourd’hui

La grandiose fête de ce vendredi a été gâchée par les interpellations et surtout les arrestations de porteurs de drapeaux amazighs. Pour certains, au cours de la manifestation, pour d’autres alors qu’ils étaient sur le chemin du retour… Que risquent-ils vraiment ?

L’éclosion de drapeaux amazighs, ce vendredi, lors de l’immense marche populaire pour la réappropriation de la fête du 1er novembre a quelque peu occulté l’autre revendication, majeure, de ce Hirak : le refus de la présidentielle du 12 décembre. Il faut dire que depuis la marche du vendredi 21 juin 2019, qui faisait suite au discours improbateur de Gaïd Salah, criminalisant désormais le port du drapeau amazigh, synonyme d’atteinte à l’emblème et à l’unité, ce vendredi fut donc une double réappropriation : celle de l’histoire et de l’identité nationale. Grande-poste, Didouche Mourad, Asselah Hocine, Amirouche, Place Emir Abdelkader, place des Martyrs… Partout, le drapeau amazigh a flotté, libre de toute entrave, aux côtés de l’emblème national. Et si le patriotisme pouvait se mesurer comme on mesure la glycémie dans le sang, on en aurait trouvé en excès chez les Algériens ce vendredi, en hyperpatriotisme et hypernationalisme. Malheureusement, cela n’a pas empêché les réflexes toujours en cours d’interagir avec cette situation, l’interdiction n’ayant toujours pas reçu de contre-ordre… Combien sont-ils à être maintenus en garde à vue pour une présentation devant le procureur aujourd’hui ? Il faut rappeler, comme le note M. Aouicha Bekhti, «que si les magistrats sont en grève, le service minimum tel que le conçoit leur syndicat concerne, entre autres et comme par hasard, les présentations devant le juge et la mise sous écrou. Par ailleurs, nous avons les noms de six ou sept personnes mises en garde à vue et devant être présentées devant le juge, mais possible qu’elles soient plus nombreu encore…» Aussi bien chez le CNLD, que le Réseau de lutte contre la répression ou les avocats, une première liste de sept personnes arrêtées pour port de drapeau amazigh a été établie dans les dernières heures. Il s’agit de : Fayçal Ghanem, d’El Kseur, wilaya de Béjaïa, arrêté vendredi 1er novembre à 14h, devant la Grande Poste pour port de drapeau amazigh. Selon l’avocat Khaled Ouaklil, Rabah Bouslat, 42 ans, père de quatre filles, originaire de Draâ Ben Khedda (Tizi Ouzou), a été arrêté vendredi 1er novembre à 11h, par la police au niveau de la sortie de la gare routière de Tafourah avec deux de ses compagnons. Il est en garde-à-vue au commissariat de Cavaignac. Arrestation vendredi matin aussi de Ali Yebou, rue Didouche Mourad. Il est en garde-à-vue au commissariat de Cavaignac. Arrestation musclée de Raouf Rais, pour exhibition du drapeau amazigh, actuellement maintenu en garde-à-vue au commissariat de Cavaignac. Mohamed Cheballah et son cousin Lounès arrêtés vendredi, en fin d’après-midi, par la gendarmerie sur le chemin du retour de la marche d’Alger vers Tizi Ouzou, pour port de drapeau amazigh. Actuellement, en garde à vue au poste de la gendarmerie nationale de Baraki. Enfin, Houssem Eddine Mokrani, arrêté hier à la gare Agha et emmené au commissariat de Bab Ezzouar. Pour ce dernier, comme pour les Cheballah, aucune confirmation de leur passage cette matinée devant le juge. M. Allili Yamina de son côté ne s’étonne pas de cet acharnement contre les porteurs de drapeaux amazighs. Arrestations aléatoires ou ciblées ? « De mon point de vue, il y a peu de hasard dans les actions concertées, s’agissant des interpellations qui ont eu lieu pendant ou après et même, pour certaines, avant la marche de ce vendredi. En plus, nous sommes toujours dans la logique d’interdiction et de pénalisation du port du drapeau amazigh. A un moment, j’ai cru, sincèrement, que la situation allait changer en faveur de l’application stricto sensu de loi, c’est-à-dire que les griefs retenus contre les porteurs de drapeaux tombaient d’eux-mêmes, mais là j’ai des doutes bien que j’ose encore espérer une situation de volte-face à la faveur de ce mouvement de contestation des magistrats. Nous serons au tribunal ce dimanche pour apporter notre soutien moral et juridique aux manifestants arrêtés, mais nous refuserons toute démarche qui viserait à cautionner ces pratiques arbitraires et la mise sous mandat de dépôt de nos clients. Nous refuserons de plaider.» M. Allili s’inquiète, d’autre part, de la non-délivrance et le renouvellement, à ce jour, du fait de la grève, des permis de visite aux détenus, aussi bien pour leurs avocats que pour leur familles…

Drapeau amazigh : le casse-tête judiciaire

Autant il est facile d’invoquer mille et une raisons pour poursuivre un activiste ou un militant du Hirak, dont les formules passe-partout de « appel à attroupement non-armé » ou « atteinte au moral des troupes », tant les articles du code pénal en rapport avec ces deux accusations sont suffisamment élastiques pour permettre toutes les lectures, autant, dans le cas du drapeau amazigh, cela relève d’une gymnastique cérébro-juridique que de trouver une véritable corrélation entre l’existence et le « flottage » du drapeau à la « fourchette » et l’atteinte aussi bien morale que matérielle à l’emblème national. Pourtant, dans l’esprit des Algériens qui se revendiquent d’Amazighs, le drapeau berbère a toujours eu une dimension identitaire, notre amazighité et l’emblème national celle de l’appartenance nationale, notre algérianité. Quel sort attend ce matin les porteurs de drapeaux amazighs du 37e vendredi ? En vérité, le droit n’étant pas une science exacte, tout dépendra de l’intime conviction du magistrat qui devra se prononcer sur les accusations portées à l’encontre des prévenus. Faut-t-il se fier à l’esprit du mouvement de contestation des magistrats qui revendiquent une justice indépendante et qui, par la voix du SNM, affirment que « le combat des magistrats est celui des hommes libres et nobles» et que « les juges ne font pas partie de la bande et de ses relais. Ils sont des victimes des politiques autoritaires qui durent depuis des décennies » ? A moins que le tribunal de Sidi M’hamed ne garde, et pour longtemps, son statut de tribunal d’exception…

ZOHEIR ABERKANE