Ils sont de plus en plus nombreux, les malades algériens, à lancer des appels de détresse via Internet, par annonce dans la presse nationale ou à solliciter carrément l’aide des associations françaises.
Rupture fréquente de stock de médicaments vitaux, non remboursement de certains médicaments, manque de place dans les hôpitaux, une intervention limitée du mouvement associatif, l’absence de l’assistance médicale à domicile… Le laisser-aller est tel que certaines organisations de malades comme celle des sidéens ont menacé à plusieurs reprises d’introduire une plainte auprès de la justice pour non-assistance à personne en danger.
Youtube s’avère un bon moyen de communication pour ce genre de situations. Une vidéo, diffusée par ce canal, montrant les souffrances de Mounib, un enfant âgé de deux ans et demi, pendant que sa maman lui changeait les pansements couvrant un méningocèle, induit par une malformation congénitale (le spina-bifida).
Cette vidéo a bouleversé les Algériens, établis un peu partout dans le monde. Un incroyable élan de solidarité s’est alors enclenché autour de ce SOS, permettant à l’Association des Algériens du Grand Washington, de collecter 160 000 dollars américains, en peu de temps. Le garçon a été alors transféré aux États-Unis pour être opéré. L’opération a été renouvelée pour deux autres enfants, atteints du même mal. La “publicité” faite autour de ces transferts aux États-Unis a fait sortir les neurochirurgiens algériens de leur réserve. Ils ont accusé les promoteurs de l’opération de se “graisser la patte” en utilisant la détresse des parents. La polémique dure encore.
À travers les forums d’Internet, un père, de Batna cherche des informations relatives aux greffes des mains pour nouveau-né. Sa fille est venue au monde en mai 2004 sans doigts et sans orteils.
Dans un autre message, une famille sollicite une aide urgente pour permettre à un jeune de dix-neuf ans d’être transféré rapidement en France pour y subir une transplantation de rein grâce à un don de son père et lui assurer un suivi médical et un traitement anti-rejet à son retour dans son pays d’origine. Ces forums constituent également un exutoire pour toutes ces personnes désespérées qui critiquent avec de mots durs les hauts responsables de la santé, les médecins et le personnel médical.
Les médecins eux-mêmes ne sont pas contents de leurs conditions de travail. C’est le cas de ce médecin rééducateur qui ne supporte pas de voir les chances de récupération de Brahim, paraplégique à 21 ans, compromises par des séances de rééducation insuffisantes et caduques. Il décide alors de contacter un centre de rééducation en France.
Brahim a été victime d’un traumatisme vertébro-médullaire survenu en 1999 à cause d’une chute d’une hauteur de 6 mètres. “Après une laminectomie décompressive, ce patient, estime son médecin traitant, a évolué favorablement avec une récupération nette de la force musculaire et pourra remarcher s’il est pris en charge convenablement en rééducation”. La Caisse nationale d’assurance a diminué considérablement la délivrance des prises en charge pour ce type de malades, tout en sachant que la réadaptation fonctionnelle a toujours été le parent pauvre de toutes les politiques de santé qui se sont succédé ces dernières années.
Les associations françaises assaillies de messages et de courrieR
Certains services pourtant à vocation de rééducation fonctionnelle n’acceptent pas de paraplégiques, arguant que ce type de malades deviennent très vite des “cas sociaux”. Ils sont devenus des mouroirs et des lieux ou le malade contracte toutes les complications que ces structures sont censées en devoir de lui éviter. À commencer par les escarres, cette ulcération de la peau résultant d’un alitement prolongé sans bouger.
La guérison des escarres peut prendre des mois et dans le cas d’une prise en charge non adéquate provoquer la mort. Ce laisser-aller, Ahmed, paraplégique la quarantaine, l’a payé de sa vie.
Il habitait au sixième étage d’un immeuble à Alger. Pour se rendre à ses rendez-vous médicaux, il devait compter sur son voisin pour le faire descendre les escaliers en le portant dans les bras comme un bébé. Pour cela, il devait être prêt à 6 heures et demi du matin et ne pouvait remonter à la maison qu’à l’heure du retour du travail de son bienfaiteur. Souffrant d’une escarre au bas du dos, il tente à plusieurs reprises de trouver une place à l’hôpital. À bout de force, il abandonne et perd la vie quelques mois plus tard.
Le pays compte environ 3 millions de personnes atteintes d’une paraplégie ou d’une tétraplégie. Il vivent dans leur majorité dans un isolement total, sans assistance médicale à domicile, sans soutien social ou financier de la part de l’Etat, mis à part la pension d’invalidité de l’ordre de 4 000 DA par mois.
Interrogé sur ce qu’il faisait de ses journées, un polio quadragénaire répond : “Je dors, je dors pour oublier que j’existe.” Dormir constamment, au point de confondre la nuit et le jour, voilà de quoi est fait le quotidien des ces personnes. Pour les pouvoirs publics, ils n’existent que par les statistiques. “Paraplégique depuis 1983, je présente une escarre de la région sacrée ainsi qu’une autre au niveau de la verge.
Elle est ouverte tout le long, jusqu’au gland. Je porte une sonde urinaire numéro 24 et j’ai constamment des fuites. Je me change 3 à 4 fois par jour. Devant les échecs thérapeutiques dans mon pays et l’aggravation de mon état de santé ainsi que l’impossibilité de me mettre sur le ventre à cause des douleurs au niveau des jambes, je n’ai pas mis le nez dehors depuis sept ans. Je lance un appel à toutes les âmes charitables pouvant me prendre en charge dans d’autres pays”, écrit un citoyen de Blida à l’Association des paralysés de France.
Des mois pour trouver une place à l’hôpital
Ameur espère une scolarisation pour sa fille : “Ma fille est née en 1993, handicapée de naissance. Elle attend de vous la générosité et l’aide dont elle a besoin pour reprendre ses soins et ses études en France. Elle est passée par des moments très durs. Elle n’avait même pas le droit d’aller à l’école comme les autres enfants. Lorsqu’elle avait cinq ans, la chance lui a pourtant souri.
Elle a pu partir en France grâce à son oncle résidant là-bas, elle a passé plusieurs années dans un établissement pour handicapés”. Malheureusement, l’oncle en question, pour qui elle est devenue une charge, la renvoie en Algérie en novembre 2004. “Le but de mon courrier est que vous lui trouviez une solution pour qu’elle puisse reprendre ses études et ses soins en France”, précise le père de Cylia. Ameur, de Bel-Abbès, dispose d’une prise en charge pour soins à l’étranger au nom de sa fille, mais n’arrive pas à obtenir de rendez-vous en France.
Ces SOS renseignent sur l’incohérence de notre politique de santé. Les pouvoirs publics ne lésinent pas sur les moyens pour importer du matériel radiologique sophistiqué, à introduire des techniques de pointe, tout en laissant les malades chroniques recourir à la débrouille pour survivre.
Il peut s’écouler jusqu’à trois mois, entre le diagnostic d’un cancer et la première visite chez le spécialiste dans un hôpital public. Les associations d’aides aux personnes atteintes de cancer dont Fedjr dénoncent régulièrement le manque de médicaments et de structures de prise en charge. Les malades de l’intérieur du pays n’ont souvent pas d’autres choix que de solliciter le service CPMC du CHU Mustapha Pacha, souvent saturé. Des demandes d’aide pour transfert à l’étranger ou de Temgesic sont fréquemment publiées dans nos quotidiens.
Le Temgesic, cet antidouleur indispensable pour les cancéreux connaît des ruptures de stock pouvant aller jusqu’à une année, selon des malades. Les autres produits indispensables pour la chimiothérapie et la leucémie hémato clinique ne sont également pas disponibles constamment. Des histoires poignantes.
Comme celle de ce père cancéreux ayant à charge cinq enfants, dont trois sont atteints d’une maladie invalidante à divers degrés, qui sollicite régulièrement à travers les publications les âmes charitables pour se soigner et subvenir aux besoins de sa famille. Une maman écrit : “C’est avec un cœur brisé et un cri de douleur que je lance à tous ceux qui liront cette annonce pour m’aider à subvenir aux besoins de mon enfant, 20 ans, handicapé à 100% et présentant des crises d’épilepsie et autres maladies rares. J’ai un salaire insuffisant et 3 enfants à charge. Ne serait-ce que m’aider avec des couches.”
Un père de famille de 13 enfants, avec une retraite de 7 000 DA, cherche, lui, un appui financier pour l’achat de médicaments. Une autre famille prospecte pour des couches. Un SOS fréquent depuis au moins deux ans concerne, une enfant victime d’une maladie lui ayant causé une invalidité totale. Elle a besoin d’un médicament dénommé norditropine, couches et lait Régime La récurrence de ce genre de cris de détresse laisse à penser que ni le ministère de la Santé, ni celui de la Solidarité ne se sont préoccupés de ce problème. Du moins au point de le régler définitivement.