Interdiction des joueurs étrangers: L’arbre qui cache la forêt

Interdiction des joueurs étrangers: L’arbre qui cache la forêt

La mesure d’interdiction des joueurs étrangers dans le championnat national ne serait finalement pas définitive, à en croire Mahfoud Karbadj, président de la LFP, mais, d’ores et déjà, on peut constater l’état de confusion dans la gestion du football national.

Rien que pour avoir décidé que les clubs ne peuvent plus signer de nouveaux contrats avec des joueurs étrangers, le bureau fédéral se déjuge suffisamment et opère un revirement brutal par rapport à la politique qu’il menait depuis plusieurs années. Une politique conduite à marche forcée malgré les résistances de certains milieux dans le football professionnel et dont les dispositions étaient inscrites sous le slogan de la «professionnalisation » du football.

Cette réforme qui devait en principe mettre à niveau le management du sport roi vis-à-vis des autres pays avancés dans ce domaine, les pays européens notamment, n’aura pourtant été qu’une réforme de libéralisation comme on peut le constater aujourd’hui et rien de plus. Ainsi, les clubs de football, au prétexte des difficultés financières récurrentes dans le contexte d’une concurrence internationale croissante, surtout en Afrique, se sont vu disposer des coudées franches pour accroitre leurs activités au-delà du seul marché national.

En quelques années seulement, on en est venu à «importer» de plus en plus de joueurs d’Afrique, puis du reste du monde ; puisque des joueurs, on s’est mis à en chercher jusqu’au Brésil. Bien entendu, il serait stupide d’être contre le principe de la venue des joueurs étrangers, surtout quand on est fiers de voir les Algériens réussir à l’étranger.

Qui plus est, la réglementation a posé des limites pour le nombre des joueurs à trois par clubs et à deux sur chaque feuille de match et les joueurs algériens n’auraient rien à craindre de la concurrence. Mais force est de constater aussi la facilité avec laquelle les dirigeants des clubs se sont mis à accélérer les transferts et cela a de quoi inquiéter les joueurs locaux.

Car la situation de ces derniers n’est pas des meilleures, malgré ce qui se dit sur leurs gros salaires, à commencer par le fait que la perspective de jouer en équipe nationale est très réduite, en dépit des assurances du staff des Verts. Depuis bientôt une décennie, ce sont les professionnels à l’étranger qui sont l’ossature et qui occupent la majorité de l’équipe titulaire. Les joueurs locaux représentaient 75% de l’EN en 1982 en Espagne, ils n’étaient que 25% en 2014 au Brésil.

Ce ne sont ni la vision des entraîneurs étrangers, ni les objectifs d’une nouvelle qualification à la Coupe du monde 2018 et l’obligation de maintenir son rang parmi le Top 20 du football mondial qui feront changer cette tendance. Aujourd’hui, les joueurs locaux vivent une concurrence plus forte dans leurs propres clubs, au prétexte que les clubs algériens jouent de plus en plus les compétitions africaines (Champions League et CAF) et que ces derniers auraient donc besoin de plus de joueurs africains. Quelle trouvaille ! Sont-ce là les résultats de la réforme du football ? Ne sommes-nous pas plutôt en train de découvrir que la professionnalisation a surtout alimenté des ambitions marchandes où les valeurs du football ne sont pas du tout la priorité ?

Ce sont là les effets d’un processus qu’on ne pouvait pas admettre puisqu’on vient tout récemment de vivre, en 2014, ce qui a été la meilleure année du football algérien, avec une qualification au 2eme tour de la Coupe du monde pour l’équipe nationale et un trophée de la Ligue des champions africaines obtenu par l’Entente de Sétif. Mais qu’en est-il du joueur algérien, le véritable capital de ce sport et celui qui devrait être au centre de toutes les attentions, à l’heure où l’on assiste à un star-système planétaire et même une héroïsation médiatique des joueurs de foot ? Le joueur algérien le plus cher du dernier mercato européen a été Yacine Brahimi, de Grenade à Porto, pour… 6 millions d’euros seulement.

Et encore, il ne s’agit pas d’un joueur formé en Algérie, mais en France. Car chez nous la formation a sensiblement reculé au fur et à mesure que les grands clubs peuvent acheter et vendre les joueurs dans une sorte de marché libre où ils n’ont plus besoin de produire des talents. Quand on dit que le mot «professionnalisation» voulait dire plutôt «libéralisation», on en veut pour preuve que cette politique n’a pas pu inverser le désinvestissement dans la formation qui existait auparavant, au fameux temps du «sport de masse».

Dès les années 1990, quand l’Etat et ses sociétés publiques financièrement déstructurées ont abandonné les clubs de football, les premières décisions prises par les dirigeants nouvellement arrivés aux commandes étaient de supprimer les petites catégories et de dissoudre les sections des sports individuels ou féminines, bref, celles qui ne rapportaient pas. Signalons, au passage, qu’à chaque réforme du football en France, visiblement notre unique référence, on tente de faire la même chose chez nous.

Dans le passé, nous avions une Division 1 et 2 lorsque ces appellations étaient ainsi appliquées en France. Puis, nous avons emprunté le système de Ligue 1 et 2, dans le sillage des réformes en France, et créé une Ligue, «la LFP», dans un parfait «copier-coller» par rapport à l’instance du même nom en France. De la sorte, et surtout en apparence, le football algérien est mis au niveau d’une des plu grands championnats en Europe. Le problème n’est pas celui des noms, mais celui du modèle qu’on veut. Le plus important, est que, petit à petit, on se retrouve avec des clubs qui jouent en Ligue 1 sans même avoir un centre de formation digne de ce nom, malgré qu’ils soient obligés d’en avoir un.

Et pour justifier cet abandon de la formation dont on devine les motifs, les présidents de clubs se réfugient derrière le manque de moyens, le faible niveau des droits TV, la frilosité des sponsors, etc. Ce qui ne les empêche pas, à l’approche de chaque saison, de faire profiter l’équipe A d’un stage de préparation à l’étranger payé en devises. Le fait est que pour faire face à la concurrence, les clubs de football, comme certaines entreprises, importent de plus en plus ce qu’ils ne peuvent pas ou ne veulent pas produire localement. Cela dit, ce n’est visiblement pas pour toutes ces raisons que la FAF serait sur le point de revoir sa copie et trouver un arrangement sur ce dossier.

Si dans un premier temps on a pensé à interdire catégoriquement les joueurs étrangers, c’est notamment pour s’inscrire dans ce mouvement général de toutes les institutions du pays qui doivent trouver la parade face à la réduction des recettes budgétaires de l’Etat. Tout comme on doit réduire la facture des importations, eh bien il semble que le commerce sportif extérieur doit lui-aussi se plier à la règle. En la matière, il semble que la priorité n’est pas d’interdire les joueurs étrangers, mais de réduire le transfert illégal des devises. Les joueurs (et les entraîneurs) étrangers sont payés en dinars et ont besoin de rapatrier une partie de leurs revenus chez eux.

La seule option qu’ils ont, dans un pays où la monnaie nationale n’est pas convertible, est d’échanger ces dinars au marché noir avant de faire passer la frontière à leurs devises. Dans sa dernière déclaration, le président de la LFP a laissé entendre que la FAF pourrait revoir sa mesure si les clubs se plient à certaines règles, notamment vis-àvis du circuit bancaire dans toutes les transactions. En cela, on ne peut que donner raison aux instances du football national. Sauf que si l’intention était bonne, le geste manquait de précision, comme disent les commentateurs de football.

Car à travers cette mesure, il se confirme que l’on gère l’argent du football bien plus que le football lui-même. Il est d’ailleurs tout à fait cohérent, à l’heure où ce sont les idées libérales qui dominent les politiques étatiques, que l’on n’ait droit qu’à des solutions s’inspirant de la même philosophie. Ainsi, si on avait un président de la FAF voudrait lui-aussi développer le football, mais qui penseraient autrement, il pourrait par exemple militer contre le rétrécissement continue des espaces dédiés à la pratique du football dans les agglomérations, surtout les terrains vagues qui ne coûtent rien et qui, partout dans le monde, voient les futurs grands joueurs taper leur premier ballon.

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