Inondations d’el Bayadh,Dix jours après, la vie reprend son cours …

Inondations d’el Bayadh,Dix jours après, la vie reprend son cours …
inondations-del-bayadhdix-jours-apres-la-vie-reprend-son-cours.jpg

Aucun de tous ceux qu’on a rencontrés à El Bayadh n’a trouvé les mots justes pour dire ce qu’il a vu et ce, dix jours après le déluge. Les mines désertées par leur jovialité proverbiale, les Géryvillois semblent sourds aux cortèges nuptiaux trop nombreux, voire insolents, ce jeudi.

Alors que la vie a repris son cours au niveau des artères du centre-ville, les chiffres alignés par les commissions dépêchées par l’administration ne peuvent décrire le désarroi. Elles ne disent rien du dénuement, de la précarité des conditions dans lesquelles vivent les riverains de l’oued. Au quartier d’El Graba, Boukhouada et autres, le sinistre était bien là, et ce bien avant le déferlement meurtrier des crues.

Seul le silence est grand

Au premier abord, l’un de mes interlocuteurs attira mon attention sur un jeune qui était attablé seul en retrait au café Aoued. Discrètement, il m’expliqua que le jeune en question est un Palestinien… Par pudeur et peut être bien par respect, les Baydhis refusent de trop en parler.

Ils retiendront sûrement de cette journée fatidique le geste de ce jeune Palestinien qui, au péril de sa vie, a plongé sans hésitation aucune dans les torrents de boue pour secourir des personnes encerclées par les eaux de toutes parts.

Avec le concours d’un jeune qui suivit son exemple, sept personnes dont des femmes et des enfants ont pu être sauvés d’une mort certaine. Le fait a eu lieu au quartier dit El Graba.

Au niveau d’une étroite ruelle de ce quartier labyrinthique, des gardes forestiers de Laghouat s’emploient à aider une fillette qui s’essayait avec rage à débarrasser son pas de porte des traces persistantes de boue, tant tout autour il n’y a de couleur que d’ocre.

Le geste n’est pas dérisoire. A quoi bon rendre propre une chaussée quand tout autour il n’y a que de la boue, des décombres .Tout enfant qu’elle soit, Hasnia se refuse à admettre que la ruelle qui l’a vu naître se vide si brutalement de toute pulsion de vie ; ses camarades de jeu ne sont plus là.

Au centre de transit (ex-Sonipec) où ont été regroupées la plupart des familles sinistrées, elles réinventent à l’aide de crayons de couleur la vie qui était la leur avant que l’oued ne rase tout sur son passage.

A peine sortie de l’enfance, la jeune Oumelkheir, qui s’est improvisée psychologue de circonstances, nous confiera que presque tous les dessins, précieusement rangés par ses soins ont pour objet l’oued, le pont détruit, des maisons intactes ! Et des mamans en pleurs.

Dans ce chaos, des grands-mères semblent hanter les habitations dévastées, envasées. Munis de brosses de fortune, elles s’appliquent à réveiller les couleurs des tapis, les biens les plus précieux qu’elles aient pu soustraire à la boue. Contemplateur, un vieillard à la barbe blanche dignement assis dans un coin qui lui semble réservé ne prête aucune attention à l’agitation d’un groupe d’hommes à l’autre bout de la ruelle. Son seul compagnon a péri 1er octobre.

Les sinistrés du Petit pont

Ce sont des dizaines de familles à être restées ainsi livrées à elles-mêmes au niveau du quartier dit du Petit pont. Aux alentours de 19h, neuf jours après la catastrophe, ils recevront la toute première aide. 250 kits alimentaires remis par les soins du personnel de la DJS.

On nous confiera que l’organisme auquel incombait la tâche de distribution des aides a été déchargé de ce rôle suite à une tentative de détournement d’un lot de couvertures.

Tentative démasquée par la vigilance du comité de quartier. «Hormis le P/APC et des passages furtifs et précipités des commissions techniques, personne n’est venu vers nous. On ne figure même sur les listes des sinistrés. S’ils craignent de salir leurs chaussures, on est prêt à tapisser le sol de nos corps. Nous demandons seulement à ce que le wali vienne de lui-même constater de visu qui sont réellement les sinistrés.»

Colère contenue, si Ahmed la cinquantaine passée, respecté par tous, s’exerce à calmer l’ardeur de jeunes qui n’arrivent pas à s’expliquer le fait que leurs cas ( les plus touchés) soient ignorés.

«Il ne servira à rien de s’emporter. Il nous faudra transmettre à qui de droit la situation qui prévaut ici», dit- il avant d’ajouter : «Vous savez tous comme moi qui est derrière les incidents, les jets de pierres qui ont ciblé la délégation conduite par le ministre de l’Intérieur. Acte que nous condamnons tant il vise à maintenir l’opacité sur les dessous du drame que nous vivons.»

Nos interlocuteurs ne comprennent pas que l’on refuse de traiter avec eux sous prétexte de l’inexistence d’une association. Est-il opportun pour nous maintenant, alors que nos familles passent leurs nuits dehors, de nous encombrer avec des démarches administratives auprès de responsables qui, dans un passé récent, ont rejeté catégoriquement notre doléance ? s’interroge-t-on. Après avoir distribué une partie des kits alimentaires,

on a été invité aux alentours de 22 h à faire le tour des zones sinistrées. Alors que femmes et enfants étaient hébergés dans le reste des maisons habitables ou chez des proches, les hommes et tous les jeunes étaient mobilisés autour d’un feu de bois. Ils veillent sur la sécurité des quelques biens envasés dans la gadoue.

Le nombre de victimes serait plus important

Le lendemain à Boukhouadha, oued El Farrane et Aïn el Mahboula, le même spectacle de désolation s’offre à nous. Par égard pour les pertes humaines et les familles qui ont tout perdu, on n’ose même pas aborder la question des centaines de commerces totalement dévastés.

Contrairement au bilan officiel de douze victimes, chiffre confirmé par le wali, tous nos interlocuteurs s’accordent à dire que le nombre de victimes serait plus lourd. Nos démarches pour vérifier les informations ont abouti. Trois nouveaux corps ont été trouvés à Boukhouadha.

L’identification de plusieurs endroits à la faveur d’odeurs suspectes de cadavres en état de décomposition ont été vaines. Partout, c’est un niet catégorique quand ce n’est pas un refus de communiquer. A l’appui de la révision de la hausse du nombre de victimes, l’on désigne plusieurs endroits comme sites probables, entre autres un dortoir, rt un café réputés pour être fréquentés par des désœuvrés …

Sinistrés depuis toujours

Comme pour conforter l’engagement du ministre de l’Intérieur, la matinée du lundi a été marquée par le relogement de 80 familles d’entre les 160 qui étaient regroupées au sein de l’ex-Sonipec.

Dans la précipitation qui s’explique par la contrainte du JT de 13h, certaines familles n’ont pas eu le temps d’attendre leurs enfants partis en classe. Tout en larmes, deux d’entre eux qui ne comprenaient pas où été passé le reste des membres de leurs familles furent pris en charge par des sapeurs-pompiers qui entreprirent de les emmener auprès des leurs.

L’urgence de l’opération s’explique par la nécessité pour les autorités de libérer trois établissements scolaires occupés par des familles qui refusaient de rejoindre le centre de transit, privant plus de 1900 élèves de cours. Le fait vaut aussi pour plus de 260 familles restées au niveau des sites sinistrés. Sur place, on a pu vérifier que ce n’est pas faute de vouloir qu’ils n’ont pas rejoint le centre de transit, mais parce que leurs noms ne figurent pas sur les listes de la DAS.

L’habitat en question se devait d’être marqué de la lettre R en rouge par les soins d’une commission qui ne s’est toujours pas manifestée. Pris au dépourvu, constatant que seulement deux familles du dit quartier ont été invitées à rejoindre le centre, les sinistrés accusent le coup et dénoncent le fait qu’entre les premiers bénéficiaires figurent au moins 3 cas résidant au centre-ville.

A titre d’exemple, on cite le cas d’une personne qui, à l’appui d’un acte relatif à un lot où seuls des piliers ont été réalisés, figure parmi les bénéficiaires.

«C’est injuste», dira Saïd Bouabaya, «dignité oblige, je ne peux me résoudre à l’idée de faire dans le simulacre du sinistré et parquer ma famille au niveau du centre. Sinistré, je le suis depuis 2000.

J’ai vécu trois inondations en l’an 2000, 2004 et aujourd’hui encore et à ce jour, en dépit de multiples dossiers, j’attends depuis six ans l’indemnisation d’un simple mur pour protéger des regards ce taudis qui me sert de demeure et l’on nous parle de commissions techniques ! Deux walis se sont succédé, sans rien».

Il n’est pas le seul dans son cas, pratiquement tous ses voisins, Koutada, cheikh Ahmed, Marouan ont eu leurs maisons classées habitat précaire depuis l’an 2000 et craignent que les indus postulants ne les privent encore une fois de leur droits.

Pari tenu !

Interpellé par nos soins, le wali qui s’est voulu rassurant a lui même confirmé l’existence de faux sinistrés. Mathématiquement parlant, il ajoutera que les 400 logements disponibles suffiront dans un premier temps à loger les vrais sinistrés.

Et il faudra compter avec les capacités de réalisation pour un deuxième lot de 400 logements. En matière de RHP, le quota affecté à la wilaya dépasse largement les besoins recensés pour dire qu’à moyen terme, la crise sera contenue. Pour le long terme, la solution du problème récurrent des zones inondables passe par l’éradication totale des habitats concernés et la déviation du cours de l’oued, la réalisation de retenues.

Alors que la Sapta est déjà sur place pour le lancement des ouvrages d’art, l’urgence commande de renvoyer à plus tard la question des responsabilités. 100 millimètres en une vingtaine de minutes seraient fatals même pour des ouvrages réalisés dans les normes,

que dire dans le cas d’une étude bâclée, réalisée de surcroît par des entrepreneurs qui, depuis, se seraient évanouis…Confiants, les propos du wali cachent mal le malaise qui règne à el Bayadh. Décriés, les élus brillent par leur absence. Avec un exécutif réduit, on ne sait comment il parviendra, à l’appui du crédit dont il jouit auprès des bayadhis, à contenir les méfaits surannés de potentats locaux qui ont conduit à la situation que l’on sait …

A. M