Un décret exécutif daté du 9 juillet dernier et signé par le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, fixe les modalités du fichage des contrevenants en matière d’infraction à la législation et à la réglementation des changes et des mouvements de capitaux de et vers l’étranger.
Cela ressemble fort à une législation d’exception où la justice n’intervient vraiment qu’en bout de chaîne. Le décret exécutif n°12-279 du 9 juillet 2012 a pour but de fixer les «modalités d’organisation et de fonctionnement du fichier national des contrevenants en matière d’infraction à la législation et à la réglementation des changes et des mouvements de capitaux de et vers l’étranger. C’est un fichier qui est mis en place au niveau du ministère des Finances et de la Banque d’Algérie.
La banque de données en question va contenir des informations sur «toute personne, physique ou morale, résidente ou non-résidente, ayant fait l’objet d’un procès-verbal de constat d’infraction à la législation et à la réglementation des changes et des mouvements de capitaux de et vers l’étranger».
C’est le ministère des Finances qui sera chargé de gérer cette centrale d’informations dont la finalité, indique le décret, est d’être utilisée aussi bien pour élaborer des politiques préventives contre l’infraction de changes, le blanchiment et financement du terrorisme que pour vérifier les «antécédents» des contrevenants et prendre des «mesures conservatoires» à leur égard. Le fichier servira aussi à établir des statistiques et à établir le rapport annuel soumis au président de la République.
D’où viendront les informations qui alimenteront cette banque de données ? De la Banque d’Algérie sur la base des «procès-verbaux de constat d’infraction établis par ses agents assermentés et des mesures conservatoires prises par le gouverneur à l’encontre des contrevenants à la législation et à la réglementation des changes et des mouvements de capitaux de et vers l’étranger».
Elles proviennent aussi du ministère chargé des Finances «à partir des données provenant des procès-verbaux de constat d’infraction établis par les autres agents habilités et des décisions prises par le comité national et les comités locaux des transactions».
UN FICHIER À ACCÈS «RESTREINT»
Le décret désigne les structures et institutions qui peuvent avoir accès au fichier. On y retrouve naturellement le comité national et les comités locaux des transactions qui examinent et tranchent sur les demandes de transaction formulées par les contrevenants.
La transaction est conditionnée par le dépôt d’une caution égale à 200% de la valeur du corps du délit. Y accèdent également la direction générale des changes de la Banque d’Algérie, des douanes, des impôts, de la comptabilité, l’agence judiciaire du Trésor, la cellule du traitement du renseignement financier et la direction générale du contrôle économique et de la répression des fraudes du ministère du Commerce ont également accès à ce fichier.
Le décret indique aussi que les autorités judiciaires «compétentes » et les officiers de la police judiciaire «peuvent demander au gestionnaire du fichier des renseignements sur les antécédents de toute personne physique ou morale inscrite sur le fichier».
Les informations collectées portent sur l’identification du service qui a constaté l’infraction et ses circonstances que sur l’auteur de l’infraction ou de celui qui en est civilement responsable dans le cas où il s’agit d’un contrevenant. En cas de demande de transaction, des informations sont également portées sur le fichier sur le comité des transactions compétent concerné ainsi que la date et la teneur de la décision de transaction, l’exécution ou non de la transaction.
LA JUSTICE… EN BOUT DE CHAÎNE
Le décret présente quelques gardefous pour la consultation du fichier qui n’est ouvert qu’aux institutions citées. En outre, ceux qui consultent le fichier sont enregistrés ainsi que l’objet, la date et l’heure de la consultation.
Enfin, l’article 12, le dernier du décret, stipule que «toute personne physique ou morale ayant bénéficié d’une décision définitive d’acquittement peut introduire une demande auprès du ministre chargé des Finances aux fins de sa radiation du fichier».
C’est en définitive, un processus qui relève de l’administration et n’est pas encadré par la justice. Cette prééminence de l’administration, en dépit des précautions que le décret semble prendre, porte un grand potentiel d’atteinte au droit des citoyens… dont celui de ne pas être fiché sur la base d’un simple PV d’un agent des douanes.
Salem Ferdi