Pour attirer leur argent dans les banques, le ministre des Finances en appelle au “patriotisme de ces intervenants de l’informel”.
L’argument qu’il leur agite est qu’“échanger cent soixante-dix dinars pour un euro sur le marché parallèle est inacceptable”. Le ministre estime que, par cette pratique, “c’est la crédibilité du dinar qui a été remise en cause”.
Si le gouvernement recourt au sentiment national des concernés, c’est que la démarche d’amnistie n’a pas eu l’effet escompté. Les “intervenants de l’informel”, pour reprendre le doux pléonasme du ministre, n’ont pas été convaincus par la promesse gouvernementale de ne pas être regardant sur l’origine — à l’exception de l’origine criminelle — des fonds déposés. Ils n’ont pas, non plus, trouvé quelque avantage particulier à remettre leur argent dans le circuit officiel. Et s’ils préfèrent changer leurs dinars en devises, quoi de plus naturel quand l’État lui-même laisse la monnaie nationale se déprécier à la vitesse que l’on sait ? Les “intervenants de l’informel” sont des opérateurs économiques clandestins, mais des opérateurs économiques tout de même. C’est donc par intérêt qu’ils recourent au marché des devises et se soumettent aux prix de la devise qu’il leur fixe.
Et ce marché est le fait de la gestion monétaire de l’État. C’est l’État qui a institué deux marchés de la monnaie : l’un, institutionnel, est soumis à la réglementation des changes ; l’autre, parallèle, au sens littéral, et libre, au sens économique, mais pas clandestin ; et c’est là que se rencontrent l’offre et la demande parallèles de devise. Si l’État ne réprime pas l’activité, osons penser qu’il y trouve quelque intérêt pour l’économie nationale.

Si le patriotisme guidait le monde des affaires, les “intervenants de l’informel” auraient commencé par payer leurs impôts et les charges de leurs éventuels personnels ; ils se seraient donc déclarés et ne se retrouveraient pas dans ce statut d’“intervenants informels”. Ce n’est pas le patriotisme qui les a poussés à fuir le cadre réglementaire pour se soustraire à leur devoir fiscal et social.
Ils savent aussi l’impuissance de l’État à prendre les véritables mesures qu’appelle une réelle volonté d’assainir le mode de circulation des capitaux. Son impuissance à imposer les règles de traçabilité des flux de fonds, dont le minimum réside dans l’obligation de paiement par chèque et l’obligation de facturation des transactions commerciales. C’est au gouvernement de s’expliquer sur cette incapacité à instaurer les règles de base d’organisation de l’activité commerciale.
Il ne fait pas de doute que, dans une économie régie par le principe de transparence, ce qui précède relève de l’élémentaire. Mais puisque les autorités enjambent l’évidence pour aller recourir à l’irrationnel, pourquoi ne pas rappeler ces banalités ?