Son indépendance reconquise, l’Algérie s’est trouvée face à un immense défi : construire une nation. Véritable laboratoire, elle n’a pas choisi la voie la plus simple.
Questions identitaires, combats fratricides, luttes pour le pouvoir, apparition du fondamentalisme, ravages de l’économie planifiée, insurrection islamiste… Les Algériens ont beaucoup souffert, mais ils n’ont jamais cessé d’avancer.
Née au forceps d’une guerre de libération après une longue nuit coloniale, l’Algérie indépendante a presque tout connu au cours de ses cinquante premières années d’existence. L’euphorie de la citoyenneté retrouvée n’est pas encore retombée lorsqu’éclate un conflit armé fratricide pour le contrôle du pouvoir. L’été 1962 sera aussi meurtrier que les précédents. Militaires contre politiques, maquisards de l’intérieur contre armée des frontières, le choix des armes pour régler les questions de leadership prend les allures d’un péché originel qui déterminera la suite des événements. Le peuple investit la rue pour crier « sept ans, cela suffit ! » Et si les armes se taisent enfin, les cicatrices, elles, auront du mal à se refermer. Il y a un vainqueur, le colonel Houari Boumédiène, chef d’état-major général de l’Armée de libération nationale (ALN), et de nombreux vaincus : l’élite politique, les chefs historiques des maquis de l’intérieur et les libertés publiques. Tous victimes au nom des « intérêts supérieurs de la révolution ».
Chronologie
5 juillet 1962 Indépendance.
10 septembre 1963 Adoption de la Constitution, qui instaure un régime à parti unique, le Front de libération nationale (FLN). Le premier président de la République algérienne, Ahmed Ben Bella, est élu le 15 septembre.
19 juin 1965 Putsch de Houari Boumédiène, qui abroge la Constitution. Il prend les fonctions de chef de l’État, de Premier ministre et de ministre de la Défense.
1976 Une Charte nationale est adoptée en juin par référendum. Elle sert de base à la deuxième Constitution, votée le 22 novembre. Le 10 décembre, Boumédiène, candidat unique, est élu président. Il décède le 27 décembre 1978.
7 février 1979 Élection de Chadli Bendjedid, réélu en 1983 et en 1988.
Avril 1980 Émeutes en Kabylie pour la reconnaissance de la culture tamazight.
5-7 octobre 1988 Répression sanglante de manifestations de contestation politique et sociale dans plusieurs villes du pays. Le 6, l’état de siège est proclamé.
23 février 1989 Adoption par référendum de la troisième Constitution, qui autorise le multipartisme.
26 décembre 1991 Le Front islamique du salut (FIS) remporte le premier tour des législatives.
11-12 janvier 1992 Chadli démissionne, l’armée se déploie dans Alger, le processus électoral est suspendu et les « janviéristes » appellent à la présidence une figure du nationalisme, Mohamed Boudiaf, qui crée un Haut Comité d’État (HCE).
2 février 1992 Instauration de l’état d’urgence.
29 juin 1992 Le président Boudiaf est assassiné et remplacé en juillet par Ali Kafi.
30 janvier 1994 Le HCE nomme Liamine Zéroual chef de l’État. Élu président en novembre 1995, il finit par démissionner en septembre 1998;
28 novembre 1996 Référendum pour l’adoption de la quatrième Constitution, qui introduit le Sénat.
15 avril 1999 Élection d’Abdelaziz Bouteflika à la présidence. Il sera réélu en 2004 et en 2009.
16 septembre 1999 Adoption par référendum de la loi sur la Concorde civile.
Avril-mai 2001 Le 18 avril, un lycéen est tué dans les locaux de la brigade de gendarmerie de Beni Douala. Le 25, des manifestations se transforment en émeutes sanglantes à travers la Kabylie, jusqu’à la Marche noire de Tizi-Ouzou, le 21 mai.
10 avril 2002 Le Parlement adopte l’amendement à la Constitution consacrant le tamazight comme langue nationale.
29 septembre 2005 Adoption par référendum de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale.
11 décembre 2007 Double attentat-suicide d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) à Alger.
12 novembre 2008 Le Parlement adopte la révision constitutionnelle, supprimant l’interdiction de briguer un troisième mandat présidentiel.
24 février 2011 Levée de l’état d’urgence.
15 avril 2011 Discours du président Bouteflika pour l’engagement d’un processus de réformes.
10 mai 2012 Élections législatives. L’Assemblée populaire nationale doit examiner les projets de réformes issus des consultations de 2011 et, en particulier, celui de nouvelle Constitution.
Le Front de libération nationale (FLN) est érigé en quasi-divinité, mais le pouvoir est ailleurs que dans cette coquille vidée de sa substance. Au nom de la délicatesse de l’étape, les sujets qui fâchent sont courageusement évités, la question de l’identité plurielle de ce pays de plus de 2 millions de kilomètres carrés occultée.
Conséquence : en 1963, le Front des forces socialistes (FFS, de Hocine Aït Ahmed, grande figure du mouvement national) fait le choix des armes et lance son éphémère maquis en Kabylie. Quelques semaines plus tard, c’est l’armée marocaine qui pénètre en territoire algérien. Ce bref conflit, réglé par une médiation malienne, entre dans l’Histoire sous l’appellation de « guerre des Sables ».
Modèle pour le Tiers Monde
La menace extérieure fédère quelque peu les forces politiques, mais l’illusion fait long feu. Les intrigues politiques ne cessent pas et l’Algérie émancipée, modèle pour le Tiers Monde, Mecque des indépendantistes de tous les continents, voit ses héros d’hier tomber en disgrâce les uns après les autres. Elle vit son premier coup d’État le 19 juin 1965. Déjà au pouvoir, l’armée s’impose comme le rouage essentiel du système. Le Conseil de la révolution, présidé par Houari Boumédiène, prend les commandes d’un pays déjà fatigué de ses politiques. Le président qu’il a renversé, Ahmed Ben Bella, plus populiste que populaire, sort brutalement des livres d’histoire. Il en sera ainsi de tous ses successeurs, dès lors qu’ils quittent le pouvoir, créant ainsi une sorte de jurisprudence typiquement algérienne.
Craint par la population, le taciturne Boumédiène entreprend une opération de séduction. Il lance des plans de développement régionaux, récupère les richesses du pays à travers la nationalisation des hydrocarbures, dote l’Algérie d’institutions « qui puissent survivre aux hommes » (selon sa formule), démocratise l’enseignement, généralise la médecine gratuite… Et l’État devient providence.
C’est au summum de sa popularité que Boumédiène est emporté, en décembre 1978, par un mal étrange. Plus de un Algérien sur vingt (la population est alors estimée à 20 millions de personnes) l’accompagne à sa dernière demeure. Son successeur naturel est alors un certain Abdelaziz Bouteflika, fidèle camarade du défunt président et chef de la diplomatie depuis toujours, ou presque. Mais l’armée ne fait pas confiance au personnage et l’écarte au profit de l’officier le plus ancien possédant le grade le plus élevé, Chadli Bendjedid.
La mort prématurée de Boumédiène, les scènes d’hystérie collective, les larmes et les cris de détresse au cours de ses funérailles constituent la première tragédie « institutionnelle » de l’Algérie indépendante. Quatorze ans plus tard, le 29 juin 1992, elle vit son premier régicide, avec l’assassinat, à Annaba, du président Mohamed Boudiaf par l’un de ses gardes. S’il n’était au pouvoir que depuis six mois, la douleur n’en est pas moins immense. Mêmes scènes d’hystérie collective, mêmes larmes et cris de détresse lors de ses obsèques.
Les années GIA
On a cru alors que l’Algérie avait atteint le fond. Le pire était à venir : les années GIA (groupes islamiques armés) et leur lot de massacres collectifs de villageois, d’assassinats d’intellectuels et d’artistes, de voitures piégées explosant sur les places publiques et dans les marchés. Au nom de la lutte contre le terrorisme, les libertés publiques sont malmenées : détentions administratives, juridictions d’exception et recours à la torture. C’est la décennie noire.
Les épreuves qu’a traversées l’Algérie ne sont pas toutes d’ordre politique ou militaire. Elle a eu droit, aussi, à ses catastrophes naturelles. Sévère sécheresse au milieu des années 1970, séismes destructeurs en 1980, 1989 et 2004, inondations meurtrières à Alger et ailleurs… Dans chacune de ces épreuves, les Algériens ont très vite transcendé leur douleur et fait preuve d’une grande solidarité.
C’est sans doute le secret du miracle algérien, la succession de malheurs a consolidé le sentiment d’appartenir à une nation, qui a résisté dans l’unité face aux tragédies dont le sort l’a accablée tout au long de son parcours. « Mazal waqfin » (« encore debout »). Tel fut le mot d’ordre de la campagne contre l’abstention pour le scrutin législatif du 10 mai 2012. Une élection au cours de laquelle l’Algérie s’est une nouvelle fois distinguée de ses voisins. Hier douloureusement mise à l’épreuve par l’islamisme armé, elle est le seul pays d’Afrique du Nord à résister à l’islamisme qui triomphe aujourd’hui en Égypte, en Libye, en Tunisie et au Maroc.